Pourquoi la France m’a-t-elle abandonné ? - Michel T. Atangana

Thu, 21 Apr 2016 Source: Natacha Tatu

Libéré en 2014 après avoir passé dix-sept ans dans une prison de Yaoundé, le Français Michel Thierry Atangana réclame aujourd’hui justice et continue de dénoncer les silences de l’Etat français.

Michel Thierry Atangana connaît toutes les voix de RFI. Emprisonné dix-sept ans durant dans une cellule de 7 m2 sans fenêtre, soumis à l’isolement, ce Français d’origine camerounaise a réussi à obtenir de ses geôliers un poste de radio.

Une faveur pendant toutes ces années, dans ce sous-sol du Secrétariat d’Etat à la défense du Cameroun où il est confiné, la bande FM sera sa seule compagne.

Grâce à elle, il suit de près toutes les affaires d’arrestations de Français à l’étranger, comme celle de Florence Cassez. Il connaît dans les moindres détails l’histoire de cette jeune femme arrêtée au Mexique et inculpée de complicité d’enlèvement.

Il découvre la vaste campagne de mobilisation en sa faveur, sa libération en grande pompe, la campagne de réhabilitation qui a suivi… Du fond de sa cellule, il se demande s’il aura droit un jour, lui aussi, à une vague de soutien, à la compassion, aux honneurs…

Las. Rien de tel pour le financier français. Pas de mobilisation, pas d’avion de la République, pas de ministre pour l’accueillir sur le tarmac.

Quand il est sorti de prison, le 24 février 2014, l’ambassadrice de France à Yaoundé l’a bien invité à déjeuner.

Mais c’était pour lui signifier qu’il devrait payer lui-même son vol retour.

“Gangstérisme d’Etat”

L'”affaire Atangana” commence en 1994, lorsque le jeune ingénieur financier français, diplômé de l’Université de Clermont-Ferrand, est envoyé à Yaoundé pour gérer un consortium regroupant cinq géants français du BTP, supervisé par une structure publique franco-camerounaise.

Objectif : développer un réseau d’autoroutes au Cameroun pour un budget de quelque 500 millions d’euros. Chargé d’attirer des investisseurs, Michel Atangana a la haute main sur le projet et l’oreille du président Paul Biya, dont il est le protégé.

Tout lui sourit. Mais à l’approche de l’élection présidentielle de 1997, le climat entre les deux hommes se dégrade.

Le pouvoir le soupçonne de soutenir le ministre de la Santé Titus Edzoa, présenté comme un possible concurrent de Paul Biya. Le 20 avril, le ministre démissionne et annonce sa candidature. “Pour le pouvoir, ça a été la goutte de trop”, dit Michel Atangana. Le 12 mai au petit matin, il est arrêté et jeté en prison. “Je n’avais aucune idée de ce qu’on me reprochait” dit-il, jurant aujourd’hui encore ne s’être “jamais mêlé de politique”.

Accusé d’avoir utilisé les caisses du consortium pour soutenir l’opposant, il passe 57 jours en prison avant de pouvoir rencontrer un avocat. Lors d’un premier procès en octobre 1997, puis en appel en 1999, Michel Atangana est accusé de détournement de fonds publics.

Chef d’inculpation : “Grand gangstérisme d’Etat”. Aucune preuve de détournement n’a jamais pu être apportée. Mais il est condamné à quinze ans de prison ferme et dépouillé de tous ses biens.

Les comptes du Consortium sont bloqués. Le président, qui a promis de faire de la lutte contre la corruption la priorité de son mandat, a décidé de faire de son cas un exemple. L’opinion publique camerounaise applaudit :

“J’étais français, avec un job prestigieux, qui aurait dû naturellement échoir à un haut fonctionnaire du pays ; j’avais forcément touché des commissions.”

Pour les Camerounais, qui ne reconnaissent pas la double nationalité, il est français. La France n’a pas bonne presse dans le pays. C’est le coupable idéal.

Mais pour la France, malgré son passeport bien français, il est camerounais.

Pourquoi dès lors s’en mêler ?

Derrière cette indifférence, sans doute un zeste de realpolitik : Paris entretient d’étroites relations avec le gouvernement en place à Yaoundé.

Pas question de les mettre en péril pour cette sombre histoire. Atangana soupire :

“Quand la France est intéressée, elle sait s’impliquer. Là, ils se sont dit que c’était une histoire d’Africains entre eux, forcément louche. Que je ne valais pas la peine de créer un incident diplomatique.”

Quinze ans durant, il attendra en vain la visite d’un diplomate, une enquête parlementaire, au moins un peu de compassion.

“La simple protection consulaire m’a été refusée. Même si la France considérait que j’étais coupable, on aurait pu au moins s’assurer que mes droits étaient respectés, vérifier mes conditions de détention.

J’ai eu le sentiment que je n’étais pas un Français comme les autres.”

“Un Français de couleur”.

Le soutien tant espéré viendra paradoxalement des Etats-Unis : en 2005, le département d’Etat Américain lui reconnaît le statut de prisonnier politique. En 2013, Amnesty International lui accorde le statut de prisonnier d’opinion.

L’ONG américaine Freedom House le soutient. Mais pas une seule ONG française ne se mobilise.

En 2009, le Défenseur des droits, Dominique Baudis, ému de son sort, regrette de ne rien pouvoir faire pour lui, mais lui promet d’en référer au Quai d’Orsay. En vain.

Sur sa petite radio, le prisonnier a suivi de près l’affaire de l’Arche de Zoé, dont les responsables, accusés d’enlèvements d’enfants, ont pu être extradés et jugés en France. “Même eux ont eu droit à plus d’égards que moi.” Il parle doucement, avec calme et beaucoup de dignité.

“C’est ma meilleure thérapie. Je n’ai pas de place pour la haine. Mais je suis français. Pourquoi la France m’a-t-elle abandonné ?”

Il en est convaincu : “Il n’y a pas le même intérêt pour un Français de couleur.” En 2012, quinze ans après son arrestation, François Hollande sera le premier président à lui écrire, s’engageant à faire son possible pour l’aider.

Il lui en est reconnaissant, sans savoir si l’intention a été suivie d’effet. “Mon cas n’était pas stratégique.” Il ne suscite guère d’émotion dans les médias.

“Il y a eu un grand silence organisé”, accuse-t-il. A quelques exceptions qu’il a méthodiquement recensées : un papier du “Canard Enchaîné”, des passages sur RFI…

Et cette enquête du journaliste François Caviglioli, grande plume du “Nouvel Observateur”, qu’il évoque avec reconnaissance et émotion…

“Cet article a été décisif. Jusque-là, mes geôliers disaient : si tu étais vraiment français, la Frances s’occuperait de toi. Là, c’était la preuve, enfin, que je n’étais pas abandonné par mon pays. Sans lui, je serais peut-être encore en prison, ou mort.”

Au Cameroun, cet article (lire ci-dessous), publié en avril 2013, mille fois photocopié, a circulé dans toutes les rédactions, sortant son cas de l’oubli. Enfin, la presse camerounaise finit par prendre son parti.

Quelques mois plus tard, grande victoire : un groupe de travail sur la détention arbitraire de la commission des droits de l’homme de l’ONU reconnaît le statut arbitraire de sa détention et réclame sa libération, sa réhabilitation, et son indemnisation.

Le 24 février 2014, Paul Biya lui accorde la grâce présidentielle. Depuis, soutenu par plusieurs avocats français, et des personnalités politiques, il réclame inlassablement justice, frappe à toutes les portes, multiplie les courriers à la République…

En retour, il ressent beaucoup de condescendance. A 52 ans, sa vie est brisée. Divorcé, père de quatre enfants, il n’a plus rien.

Reçu au Quai d’Orsay et à l’Elysée, il n’est à ce jour ni réhabilité ni indemnisé.

En guise de réparation, il lui a été suggéré de tourner la page. Et de s’inscrire au RSA.

Auteur: Natacha Tatu