Pourquoi les choses vont-elles si mal au Cameroun?

Sat, 13 Feb 2016 Source: Hugues SEUMO

Nul n’ignore que l’année 2018 est une année charnière au Cameroun car une importante échéance électorale attend le peuple camerounais. C’est l’année de tous les espoirs, mais aussi celle qui peut être la pire pour la démocratie, la justice, les droits de l’Homme. 

Tout dépendra des personnes inscrites sur les listes électorales, tout dépendra des électeurs fabriqués par le pouvoir en place, tout dépendra enfin du taux de participation et surtout des différents scores qui seront issus de ce scrutin à venir et notamment du score du président-candidat Paul Biya. En tout état de cause, il nous faudra demeurer très vigilants pour : 
• éviter à tout prix la dérive monarchiste du pouvoir ; 
• refuser la discrimination économique, la paupérisation et la descente aux enfers ; 
• oser revendiquer avec encore plus de force nos droits afin de ne plus être les complices des dérives des tenants de l’ethnicisme et du régionalisme au sein du pouvoir 

1) Les risques de monarchisation du pouvoir d’Etat 

Nous l’avons dit, il existe au sein du pouvoir actuel un regroupement d’individus, un clan qui ambitionne de tout mettre en œuvre pour que le pouvoir d’Etat soit maintenu à jamais entre les mains de Paul Biya et sa clique. On peut être certain que pour les adeptes du courant anachronique ci-dessus évoqué, il s’agira de reconquérir et de conserver le pouvoir d’Etat à leur profit, quitte à ne pouvoir se prévaloir que de la légitimité de Paris comme cela semble de mise dans les pays africains francophones. 

Et tant pis pour la République et la démocratie. Plus de cinquante ans après notre indépendance, que de changements négatifs avons-nous à déplorer ! Ce qui était inimaginable est vu et vécu aujourd’hui sous nos yeux comme s’il ne s’agissait pas des mêmes Camerounais qui sont devenus des Camerounais. Ceux qui nous gouvernent aujourd’hui sont des gens qui sont arrivés au pouvoir en se prévalant des titres de « moralisateurs », de « redresseurs de torts » mais qui s’avèrent être en réalité des gens sans foi ni loi, des anti-démocrates, des détourneurs et des prédateurs de biens publics tels qu’on en a jamais vu. 
Qu’il s’agisse de la vie politique, du domaine de l’économie et des mœurs sociales, tout a basculé dans le népotisme, l’ethnocentrisme, le régionalisme, la corruption, la délinquance à visage découvert, l’injustice et l’impunité. A tel point que l’on ne reconnaît plus ce peuple digne, travailleur et courageux qu’était le peuple camerounais. Avouons-le, beaucoup d’entre nous ne se reconnaissent plus dans la société actuelle et ont honte d’être Camerounais tant la situation est désespérante. 

Tous les jours que Dieu fait, nous avançons d’un pas sûr vers l’abîme tellement nos mœurs socio-politiques sont dépravées. Le pouvoir de Paul Biya a apparemment fabriqué une nouvelle race d’hommes pour le servir : des gens qui ont tué leur conscience, prêts à toutes les forfaitures, ignominies, compromissions et gangstérismes pour amasser de l’argent et des gains faciles. Aujourd’hui, l’abus de biens sociaux et l’enrichissement illicite sont célébrés comme des vertus. 

Nous l'avons si bien dit ici et nous continuons le dire . Tout comme le poisson qui commence à pourrir par la tête, c’est tout le corps social qui est progressivement gangrené à la faveur de l’ethnocentrisme, du clanisme, du régionalisme et de l’achat des consciences érigés en méthodes de gestion de la République. De nos jours, la vie politique est entièrement régentée par les méthodes ci-dessus et par l’argent (la corruption) qui sont autant de ficelles par lesquelles les tenants du pouvoir manipulent et asservissent aujourd’hui tous ceux qui veulent lever la tête. Et si tout cela ne marche pas, alors c’est la violence et la terreur qui s’abattent sur tous les récalcitrants. 

Incontestablement, l’année 2018 sera décisive pour la survie de la démocratie au Cameroun face au danger de la dérive unilatéraliste et régionaliste qui se profile après l’élection présidentielle. Pour la famille régnante des Biya et son clan du RDPC qui nous gouvernent, c’est la communauté des oui-oui de la république qui est le vivier électoral et le socle du pouvoir. C’est donc d’elle que viendra la légitimité tant recherchée par le président Biya. Ensuite, ils pourront être assurés du soutien du patron du pré carré.. qui est peu regardant sur la démocratie dans ses anciennes colonies. Voilà pourquoi ils ont érigé en système le népotisme et le clientélisme. 

Naturellement, cela a pour conséquence le développement du sous-développement du Cameroun. Pour prévenir une telle dérive, il serait souhaitable et urgente que toutes celles et tous ceux qui ont encore le sens des responsabilités et de l’honneur à réfléchir profondément sur la gestion inique et clanique de la chose publique au détriment de la plus grande partie du pays et des autres nationalités qui forment le Cameroun. Les hommes politiques issus des rangs du RDPC, parti politique au pouvoir depuis 1982, ne doivent plus se contenter de suivre aveuglément leur leader fatigué, en mal d’inspiration . Ils ne doivent plus se renier pour des raisons inavouées et accepter de servir de faire-valoir comme ils le font depuis 1982. Ils devraient se poser courageusement les questions suivantes : 

• Pourquoi les choses vont-elles si mal au Cameroun? 

• Pourquoi le pays d’où ils sont originaires est-il délaissé et privé des actions de développement ? 

• Pourquoi depuis environ 33 ans la chose politique est-elle devenue l’affaire d’une famille, d’un clan, etc. ? 

• Quelle est leur part de responsabilité dans cette dérive du pouvoir d’Etat, dans la décadence des mœurs politiques et des dangers que leur comportement fait planer sur la démocratie et l’unité nationale ? Ils doivent savoir que partout ailleurs en Afrique, la recherche effrénée de facilités, la cupidité, l’appât du gain et la duplicité ont toujours fait le plus grand tort à la démocratie et à l’unité nationale. 

Les hommes politiques et les intellectuels des nationalités dites minoritaires, qui ont ainsi assassiné leur conscience sont ceux-là même qui, ailleurs, fabriquent les monarques, et autres « Père de la nation », « Premier magistrat », « Grand timonier », "Premier sportif"... Alors, soyons lucides, le Cameroun n’est pas au-dessus des autres, il ne fera pas exception. 

2) Les disparités économiques régionales 

Alors que les dirigeants du pays chantent sur tous les tons le développement harmonieux du Cameroun, il faut sortir un tant soit peu hors de Yaoundé, ville mirage pour une infime minorité de privilégiés, pour mesurer encore plus l’état de pauvreté avancée et de dénuement total dans lesquels se trouvent nos populations du pays réel. 

Il est indéniable que ces dernières années, l’on a assisté progressivement à la prise de contrôle de tous les postes-clés et des leviers essentiels du pouvoir politique d’Etat par le même groupuscule et les lobbies politico-ethniques. 

Parallèlement, ils ont développé une stratégie de monopolisation de tous les secteurs de l’économie du pays à leur seul profit . Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir les yeux et de voir entre quelles mains se trouvent les secteurs essentiels de l’économie, du commerce, des plus importants projets, des sociétés d’Etat, et à qui reviennent les marchés publics les plus juteux, etc. A ce très inquiétant et sombre tableau, il faut ajouter la répartition ségrégationniste des actions de développement, selon les régions du pays. 

La fourberie et le mépris du régime pour les autres régions est constante. Les hommes politiques et les intellectuels, que nous interpellons aujourd’hui pour leur comportement, le savent et sont mal dans leur peau. Ils avouent en aparté que la situation est mauvaise et que les déséquilibres vont croissants. Certains sont bien conscients, mais d’autres ne prennent conscience des disparités et du mauvais traitement réservés à eux et à leur région que quand ils tombent en disgrâce et sont écartés des affaires. C’est alors qu’ils découvrent de leur société de base ainsi que l’humiliation et le mépris dont ils sont quotidiennement l’objet de la part de leurs anciens maîtres... Malgré tout, très peu d’entre eux ont le courage de prendre leurs responsabilités, de réveiller les consciences et mener les actions utiles pour mettre fin aux inégalités. Ils s’en trouvent qui se morfondent, s’avilissent davantage, multiplient les courbettes et le servilisme, vivant dans le sombre espoir de pouvoir rebondir politiquement un jour ou l’autre. 

Quelle déchéance et quelle honte ! 

D’autres encore sont désabusés, désemparés et sombrent dans le fatalisme quand ils sont confrontés à la vraie nature de ce régime qui est le plus cynique de toute l’histoire politique de notre pays. Chaque citoyen et chaque homme politique en particulier doit s’interroger sur son engagement politique et décider si oui ou non il faut encore apporter son soutien à Paul Biya et à son système pour quelques miettes ou encore parce que le régime ferme les yeux sur les larcins qu’ils commettent ici et là. Que l’on se comprenne bien ! Nous devons vivre ensemble et nous sommes tenus de vivre ensemble. 

C’est pourquoi nous osons dire toutes les vérités, y compris celles qui dérangent. Notre objectif est de sauver ce qui peut l’être encore, c’est-à-dire, la paix et la cohésion nationales. Il faut que tous les citoyens de ce pays se sentent Camerounais à part entière et qu’il n’y ait pas certains qui se sentent exclus ou traités comme des citoyens de seconde zone. C’est bien pourquoi nous mettons le doigt sur toutes ces questions sans aucun faux-fuyant. 

En tout état de cause, au sein de notre peuple, l’occasion est donnée aux citoyens d’exprimer leurs vraies préoccupations et d’interroger tous les dirigeants actuels, sur la politique sur le fait que le développement du Cameroun est l’affaire de tous et doit profiter à tous. Malgré tout, il n’y a aucune raison de se laisser aller au pessimisme et au fatalisme. On dit généralement que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. Mais il est admis aussi que personne ne peut venir faire le bonheur du peuple à sa place. Alors, il faut se réveiller. 

Le peuple peut et doit sortir de sa torpeur pour oser affronter son destin, revendiquer l’amélioration de son sort et le respect de ses droits fondamentaux. Le prochain scrutin présidentiel au Cameroun doit être mis à profit pour exprimer nos mécontentements et rejeter massivement la politique de ceux qui sont aux affaires depuis plus de trente trois (33) ans, mais qui ne nous proposent que la pauvreté et la misère, les détournements et la gabegie, la corruption, la répression, l’injustice et l’impunité comme programme politique. Ce sera surtout l’occasion de dire non ! Aux discriminations de toutes sortes. De dire non à l'impunité

Auteur: Hugues SEUMO