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Président Antonio : l'humoriste qui a refusé Hollywood pour rester fidèle au terroir

Antonio attaché à son terroir décline l’invitation alors que tout le dossier est complet

Sat, 29 Apr 2023 Source: Calvin Djouari

Le célèbre humoriste camerounais Antonio a rendu l’âme le jeudi 27 avril 2023. L’écrivain Calvin Djouari revient sur la vie et la carrière du meilleur imitateur du Chef de l’Etat qui a conquis l’Afrique.

Ce jeudi, sera pour la famille et les amis de l’humoriste Antonio, un jeudi noir, tout camerounais qui aimait rire trouvait en Antonio le meilleur de la scène dans ce domaine. Malade depuis un an, il a connu une dégradation ces jours-ci au point d’entrer dans le coma, pourtant, il a reçu les soins appropriés, entouré de l'amour et de l'inquiétude de la famille et de ses amis. THOHE ANTOINE de son vrai nom, était mon frère aîné. Il est né à Nkongsamba. C’est dans cette ville, qu’il a grandi, auprès de notre père Lamdjar Théodore. Il a bouclé ses études classiques à Yaoundé sommairement en classe de 1ere. Puis, il fera la capacité en droit. Il pouvait continuer mais il décide de fermer le dossier pour se consacrer à une carrière d'humoriste. Il obtient dans la foulée un diplôme d’animateur. A l’école, ALI BABA comme on l’appelait au groupe 5, avait des attitudes orientées vers le théâtre qu’il faisait par le biais des récits épiques.

Il adorait son look à la Yul Brynner, sa façon particulière d’imiter les personnalités du monde. Par ce fait, il s’était inventé une identité. L’imitation des gestes et des voix.

Sa carrière de comédien démarre en 1977 à l’école groupe 5 gendarmeries mobiles en classe de CM2 sous la conduite du célèbre maître d’école primaire qui s’appelait TAFOU DE BANA. C’est là qu’il fait des récitations du genre : « Je m’appelle Alibaba…je suis né le 11/11 /1971 à 11h 11minutes 11secondes 11 tierces. À ma naissance, il y avait autour du moi tous les présidents du monde… » Un récit composé par lui-même qui fascinait tous les camarades de classe. En 1979, il gagne le concours de poésie en classe de 5ème au lycée du Manengouba. Il est remarqué par le magazine Kouakou de l’époque qui fait apparaitre les photos des jeunes africains.

En seconde, il récite, alors qu’il fait le cours du soir à Ekoudou à Yaoundé, tout le contenu de Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. En 1985 il fait la rencontre de Justin Betty qui devient son mentor et son ami. Il trouve aussi en Kouokam Narcisse un vrai parrain. Il reprend la plupart de ses sketchs. Il évolue à Yaoundé sous le pseudonyme de Prince Tony. Il côtoie jean Michel Kankan et Essindi Mindja, Otsama et Dave K.Motor qu’il affectionnait particulièrement. Il est fasciné par Massa Moyo, Massa Batré et le journaliste Jean Claude Ottou dont il suivait tous les matins le journal de 7h.

Bento Gazolo lauréat du concours de la chanson RFI admire son incroyable talent souhaite l’amener aux Etats-Unis, pour le propulser au-devant de la scène internationale, cette fois dans le cinéma, mais Antonio attaché à son terroir décline l’invitation alors que tout le dossier est complet.

C’est une légende de l’humour et l’imitation, en avance dans la mise en scène de l’écriture créative. Il a fait de la presse ; il a fait du cinéma en jouant comme acteur dans les « trois petits cireurs », le pêcheur et le poisson de Baseck Ba-kobio » ; il a accompagné Manu Dibango lors de la célébration de ses trente années de carrière. Il a été fait citoyen d’Honneur de la ville Dakar, de la ville de Moundou au Tchad, de la ville de Libreville, et meilleur humoriste au Masa 97, meilleur humoriste africain en 1998. (Titre qu’il m’avait envoyé récupérer au Hilton). Jeune Afrique économique lui consacre un reportage culturel en 1998.

Sur le plan scolaire, comme son frère, je peux témoigner avec ses camarades d’enfance, qu’il fut un élève de classe exceptionnelle. Il est entré dans l’art à tout hasard, en remplaçant un absent au cours d’une répétition de trois prétendant un mari, dont JUSTIN BETTY jouait le rôle de metteur en scène. Dès ce moment la comédie devient son rêve, il voulait être connu.

Au début, il pratique le style de comédie pour enfant, « mon papayer », « le biberon de papa. » puis sa première livraison les résultats du Bac qui présentent en dérision les noms rébarbatifs de certaines tribus du Cameroun. Ses sketchs constituaient une véritable diatribe contre le système en place et les maux de nos sociétés ; il s’attaquait aux dirigeants africains. Il combattait la corruption de cette administration, il dénonçait également ses tares dans ses débordements en tous genres.

C’est une grande référence de l’humour camerounais qui vient de s’éteindre. Une belle âme perdue à la fleur de l’âge, Antonio était un vrai génie de la comédie. C’est le premier imitateur camerounais du président Paul Biya. Sa contribution sera toujours reconnue et son héritage continuera à influencer les générations futures comme cela se passe-partout actuellement.

C’est donc l’artiste de grand calibre, l’homme rigoureux dans son art, mais aussi le patriote convaincu, passionné d’abord de sa tribu, les Baboutés, de son histoire et de son pays. Il était un intellectuel de l’art, toujours prêt à partager la scène avec ses collègues, les jeunes talents, les animateurs de tous bords, surtout lorsqu’il s’agissait de mettre en exergue les valeurs de la comédie, les motifs d’espérance.

Il est parti dans un moment très difficile pour la famille. Antonio avait fait de la comédie un sacerdoce. Presque toute sa vie, a été consacrée à la formation des jeunes qui composent aujourd’hui la société des comédiens. Il était d’une immense stature dont on ne cesse de vanter le talent. Très attaché à ses convictions. Les mots ne suffiront jamais pour camper le portrait de l’homme, de l’artiste. « C’est une perte énorme pour la famille et pour le Cameroun. Beaucoup s’inclinent devant son talent, « C’est dommage comme a pu dire Elisabeth Mekenda « quel gâchis ! » puisqu’il pouvait encore émerveiller.

Mais comme tous les artistes camerounais, Antonio n’échappera pas aux sorts qui leur sont réservés. A savoir pauvreté, maladie, dissidence, indigence appel au secours, pour ne pas en dire trop, j’aimerais compléter cet extrait par un article que j’ai publié il y a deux mois dans les mêmes circonstances au sujet de leur triste fin.

« Une fois la carrière terminée, les artistes camerounais deviennent comme des niches de sainteté. Comme si à leur époque, ils étaient au service de tous, pourtant, ils assument les conséquences de la mauvaise gestion de leur carrière.

Revoyez ces hommes, à l’époque. Souvenez-vous de ses grandes soirées d’apparat, des concerts au Zénith ou au capitole. Mais il n’y avait pas un siècle ; il y a quelques années seulement. Ces foules immenses qui voulaient les toucher, ce lot de billets de banque qu’on déversait sur eux pendant les soirées festives ou mondaines. Les premières loges dans lesquelles ils étaient protégés. Les costumes d’apparat qu’ils arboraient, les voitures de luxe dans lesquelles ils roulaient ; leur dédain pour les bas-fonds des quartiers qu’ils essayaient de contourner. Leur foi en l’avenir qu’ils se juraient. Les mépris et les injures sur l’entourage. Leurs habillements les plus extravagants qui oscillaient entre 3000 et 5 000 euros, auréolés de succès qui les rendaient présomptueux. Les fêtes mémorables qu’ils organisaient, sapés dans des chemises aux boutons d’or. Les banderoles de leur concert qu’on affichait dans toutes les villes…Les anniversaires scintillants qu’ils orchestraient. Les privilèges qu’ils avaient en toute circonstance. Les largesses qu’ils avaient auprès des présidents, des ministres ou des grands directeurs. Les femmes qui s’alignaient devant leur porte et l’amour qu’il faisait toute la nuit en éloignant allègrement la matinée.

Et quand on les voyait maintenant quelques années après seulement, dans les dispensaires des quartiers pauvres, traînant leur grand corps malade qu’ils étaient devenus, avec des grandes voix de gémissements, croupissant comme des ouvriers de Germinal. Ces images squelettiques qui leur servent d’appât pour demander l’aumône à ceux à qui ils n’avaient rien donné.

Être artiste aujourd’hui

Être artiste, c’est faire carrière dans un métier. Tout n’est pas spectacle, ce n’est pas tout qui fait rire, il faut savoir entrer sur scène au bon moment, il faut aussi savoir la quitter.

Toutefois, la prise répétée des médicaments, le manque répété de sommeil, et la mort de ses proches pousseront ANTONIO à un retour sur scène sans fanfare, où il meurt ce 27 avril 2027, Malgré nos efforts, l’artiste va finalement rejoindre ses deux parents.

C’est la fin d'un artiste qui a marqué l’humour durant 30 ans laissant derrière lui une œuvre inspirée, emprunte des rythmes du pays Babouté qu’il a tant aimé.

Auteur: Calvin Djouari