Présidentielle 2018: Ambazonie, le vrai obstacle d'Akéré Muna

Akéré Muna Ambazonie L’absence de projet est aussi préjudiciable que son entrée tardive en course électorale

Wed, 21 Feb 2018 Source: Christian Alain Djoko

Les deux ont la particularité d’être de brillants juristes. Ils sont parfaitement bilingues. Bien plus, ils jouissent d’une riche expérience professionnelle et d’un immense aura tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Cela dit, pensons en revue les forces et les faiblesses de ces deux protagonistes qui par leur présence publique rafraîchissent à l’aridité de l’arène politique camerounais.

Maurice Kamto (I)

Commençons par Maurice Kamto dit Maurika. En plus d’être un excellent praticien du droit, c’est un enseignant chevronné, un pédagogue aguerri. Sa prétention à l’érudition se traduit par une importante production scientifique et activité professionnelle aussi large que variée. On notera qu’il fut président de la Commission du Droit International. Ce n’est pas rien quand on sait le mandat de codification et du développement progressif du droit international donné à cette instance onusienne créée en 1947. Loin de se cantonner au droit où ses écrits tiennent depuis longtemps lieu de doctrine, il a également publié de nombreux travaux en gouvernance, et philosophie politique.

Vous me direz que l’intelligence n’est pas un gage absolu de probité ou d’habilité politique. Je n’en disconviens pas. Loin d’être moi-même un adepte de la diplomite aiguë dont souffre nombre de camerounais, force est cependant de reconnaître qu’au concert des nations, dans un monde définitivement mondialisé, la connaissance théorique et pratique des rouages du système-monde est un atout indispensable.

Au niveau politique, Maurice Kamto jouit d’un important crédit de confiance. Les différentes critiques dont le jeune parti (MRC) qui préside fait l’objet depuis sa création, témoignent de l’importance et de l’influence que lui prêtent à juste titre ses adversaires politiques. Selon une expression proverbiale bien connue: « on ne lance les cailloux qu’à un arbre qui porte du fruit ».

Par ailleurs, l’existence d’un projet de société et la stratégie de déploiement sur le terrain (meetings, formation des membres, activités sociales, etc.) depuis 3 ou 4 ans confère au MRC une certaine assise électorale. A date, on peut dire que Kamto et son équipe parviennent avec succès à transcender les clivages ethniques. Mieux encore, ils réussissent à donner au MRC une vocation nationale, une envergure multiethnique. Toutefois, il y a des raisons de penser que lors des prochaines élections, les « stratèges » du RDPC tenteront grâce aux magouilles habituelles de régionaliser les gains électoraux de ce parti. Le but étant de le faire passer pour un parti régional voire ethnique.

En outre, j’ai toujours pensé que Maurice Kamto a accepté d’entrer au gouvernement pour d’une part parachever le dossier de Bakassi et d’autre part comprendre le système de l’intérieur. A titre de comparaison, je me rappelle qu’on reprochait à François Hollande avant son élection d’être totalement inexpérimenté. Certains allait jusqu’à affirmer qu’il n’avait été qu’un simple secrétaire du PS et ne savait pas comment se déroulait un conseil des ministres. Dès lors, on peut postuler que Kamto a choisi d’être à un moment donné dans le bateau de son adversaire pour mieux saisir la réalité du pouvoir de l’intérieur. Cela peut s’avérer bénéfique pour la suite de sa vie politique, comme ce fut le cas pour Kaboré (Burkina) ou Maky Sall (Sénégal).

En réalité, je pense que l’ambition présidentielle habite Maurice Kamto depuis longtemps. Sa trajectoire et ses prises de positions depuis les années 90 confirment à bien des égards cette hypothèse. Une chose est certaine: Il a un projet perfectible mais solide pour le Cameroun et les ressources humaines pour le réaliser.

Cela dit, son expérience ministérielle est et demeurera la principale critique que les opposants à sa candidature brandiront constamment. En fait, il ne parviendra jamais à convaincre ceux qui de toutes les manières n’auraient jamais voté pour lui. Ceux-ci diront toujours « qui a bu boira » ou encore « qui s’assemble se ressemble ». En revanche, il n’aura pas de mal à convaincre ceux qui le voient déjà à Etoudi. Il sera toujours temps pour cette catégorie de personnes d’affirmer que « le soleil peut côtoyer ou pénétrer les latrines sans se souiller ».

Comme faiblesse majeure de Maurice Kamto, je noterai la cacophonie qui entoure la communication numérique du MRC. Tout porte à croire que la présence de plusieurs responsables de ce parti sur les réseaux sociaux n’est pas supportée par une véritable stratégique de taxation publique et de marketing politique. La communication politique a changé. Il faut en prendre acte. S’il est évident que la vraie bataille électorale se gagne sur le terrain et non à coup de « likes » émanant pour la plupart des membres de diaspora qui, hélas, ne peut voter en raison de la loi inique interdisant la double nationalité, nul doute qu’une présence numérique de qualité est un précieux atout pour rejoindre le plus de sympathisants potentiels et étendre sa sphère d’influence. Il va sans dire que dans une élection chaque voix compte. Ainsi, tout camerounais (ayant le droit de voter ou pas) présent sur les RS est potentiellement, par effet contagion, un ambassadeur du parti. Cela vaut pour tous les partis.

Mais le plus gros handicap du MRC est d’ordre interne. Si le MRC à travers la diversité de ses figures de proue parvient à atténuer considérablement l’image de « parti d’intellectuels » qui lui avait été accolée à sa création, on ne peut en dire autant de son président-fondateur, himself. Je m’explique.

En fait, je n’avance pas que le statu d’intellectuel est un handicap pour Kamto. Loin s’en faut. Le handicap apparent réside dans son incapacité jusqu’ici à se départir quelques fois de ses habits de professeur pour se revêtir des habits de tribun, de prédicateur qui annonce ou prétend annoncer une bonne nouvelle politique. On ne se refait diront certains. Et pourtant, il gagnerait à devenir cet orateur-là qui allie prestance, présence scénique, éloquence et pertinence. Si Kamto veut franchir un pas supplémentaire dans sa course vers Etoudi, il devrait sans plonger dans le sophisme et la démagogie, haranguer les foules, surtout les jeunes. Mieux encore, doit illuminer par son verbe la profondeur qu’il attribue à sa vision et son projet pour le Cameroun.

Eu égard à sa déformation professionnelle (universitaire), nul doute qu’il en est capable (c’est un avocat après tout). Il faudra s’y atteler dans les prochains mois.

Akere Muna (II)

C’est un praticien du droit hors pair l’ai-je dit. Mais au-delà du droit, Akere Muna est aussi un fin connaisseur de la réalité politique camerounaise. Comment pourrait-il en être autrement pour celui dont le père, Salomon Tamdem Muna, a été président de l’assemblée nationale? Il y a très peu d’articles de science politique portant sur le Cameroun qui m’ont marqué comme les articles de Me Akere, notamment un article issu d’une conférence prononcée à l’Enam 2005. C’est un cocktail d’intelligence, de pédagogie et de sagacité.

Les compétences avérées de cet ancien bâtonnier de l’ordre des avocats lui ont sans doute permis de réaliser une carrière professionnelle impressionnante. Ainsi, il a été tour à tour Vice-Président de transparency Internationnal, président de l’union panafricaniste des Avocats, président de l’ECOSOCC de l’UA. La liste est loin d’être exhaustive. À 66 ans, on peut dire que Akere Muna est un homme d’expérience. Il est ambitieux sans être carriériste.

Sa principale force c’est son charisme naturel. A le voir aller, il inspire le respect et la sérénité. Et en ces temps incertains, nulle doute qu’une partie de l’électorat peut voir en lui une forme d’assurance qui rassure. En tant qu’anglophone et parfaitement bilingue, il peut représenter pour beaucoup de francophones une option de compromis pour sauver l’unité du pays. C’est peut être pourquoi à peine avoir manifesté son intention de se présenter à l’élection présidentielle, il fait déjà office de poids lourd de l’opposition.

Du point de vue politique, sa démarche est très atypique. Pour l’instant elle se veut plus citoyenne que politique. Ainsi, Akere travaille à rassembler le plus de membres de la société civile, de leaders d’opinion et d’influenceurs Web. Dans cette phase pré-campagne, il s’appuie énormément sur des jeunes actifs en politique depuis quelques années. Constitués en petite cellule, ceux-ci ont pour mission de ventiler dans leur circonscription l’idée qu’une nouvelle république est possible grâce au mouvement NOW. Une démarche politique qui n’est pas sans rappeler les élections américaines où de nombreux groupes sont formés pour aller de porte en porte prêcher la bonne nouvelle du parti et convaincre les électeurs. C’est une stratégie qui peut s’avérer payante lorsqu’on sait que ce pays est à majorité composé des 18-35 ans.

L’autre force de Mouvement NOW dont Akere est le fondateur, c’est la qualité de son marketing politique. Il brille par une présence numérique professionnelle, contrôlée et efficace. La passion d’Akere Muna pour le numérique n’est sans doute étrangère à cet état des lieux. En tout cas, il gagnerait à préserver cet acquis sinon à l’enrichir davantage. Gare cependant à l’effet miroir grossissant et trompeur des RS. On ne le dira jamais assez, aujourd’hui et pour longtemps encore, la bataille électorale se gagne sur le terrain. L’échec relatif de l’opération d’inscription supporté par le mouvement de Cabral Libii et plusieurs partis politiques importants illustre à bien des égards l’écueil auquel je fais référence.

Ceci me permet d’embrayer à présent sur les faiblesses de l’idée NOW. Je dis idée parce que pour l’instant, à 8 mois des élections présidentielles, on n’en sait pas plus. Je suis convaincu que la rédaction est en cours ou achevé et que l’équipe Muna n’attend que le « bon timing » (selon l’équipe) pour le publiciser.

La question qui se pose alors est celle de savoir si d’ici l’élection présidentielle, les camerounais auront eu suffisamment de temps pour pour prendre connaissance et d’apprécier les différentes propositions issues de ce projet-là. Peut-être fait-il le pari que l’existence d’un projet ne constitue pas, historiquement du moins, une pièce centrale et décisive pour se faire élire au Cameroun… Seuls le charisme et le jeu des alliances seraient alors nécessaires. Si une telle hypothèse venait à se confirmer, ce serait une grosse erreur. Car je pense qu’une part importante de l’électorat camerounais cherchera par exemple à savoir quelle est la forme de l’Etat que Muna propose…..Quelles sont ses propositions pour sortir de la crise anglophone qui s’enlise chaque jour un peu plus? Quelle est sa position sur le FCFA?

Quelle relation envisage-t-il avec la France? Quel est son plan pour développement du pays et la justice sociale? Quel est son plan pour lutter contre le chômage des jeunes? Quel est son avis sur les questions de société comme l’homosexualité, les sectes ? Etc.

L’absence de projet (actuellement) est aussi préjudiciable que son entrée tardive en course électorale. Il a certes le charisme et s’attèlera à peaufiner progressivement sa machine de guerre électorale, mais là une question demeure: Cette machine sera-t-elle suffisamment à point pour refaire son retard sur ses concurrents les plus sérieux? J’en doute fort. On peut cependant faire l’hypothèse qu’en homme expérimenté, mûr et averti, il avait conscience de ce retard et s’est sans doute assurer d’avoir le soutien et ressources (nationaux et internationaux) pour espérer remonter la pente, telle une remontada. « Attendons voir ».

Enfin, parlons de l’énigme majeure. Quel est le poids électoral que représente réellement Akere Muna en zone anglophone? Akere est-il capable de faire ombrage aux velléités sécessionnistes de plus en plus marquées ou au SDF si fortement implanté dans cette zone-là? Pour l’instant, j’ai tendance à penser que la candidature de Muna est potentiellement beaucoup plus consensuelle du côté francophone que du côté anglophone. L’histoire nous dira.

Auteur: Christian Alain Djoko