La session parlementaire du mois de mars s’est achevée, sans tambour ni trompette. Députés et politologues croisent le regard sur le rétropédalage politique de Paul Biya.
Les députés de la majorité sont les premiers surpris de voir la session parlementaire du mois de mars s’achever sans que le projet de loi portant modification de la constitution ne leur soit envoyé pour examen.
Depuis fin novembre 2015, des sources à la présidence de la République du Cameroun indiquent avec insistance que Paul Biya, 83 ans, au pouvoir depuis 33 ans, envisage de modifier la constitution, afin d’écourter son mandat et organiser une élection présidentielle anticipée.
Les appels à l’anticipation de cette élection lancée à Bamenda et à Monatélé respectivement par Paul Atanga Nji, ministre chargé de mission à la présidence de la République et Henri Eyebé Ayissi, ministre de l’Agriculture et du Développement rural, ont fini par conforter l’opinion. D’ailleurs, pour les parlementaires rencontrés d’abord la veille puis vendredi dernier à la fin de la session, il n’y a pas de doute.
Le projet de loi existe. Son dépôt au Parlement à juste été différé. Pour justifier cet ajournement, certains évoquent le climat sociopolitique qui prévaut actuellement au pays. En effet, pour nombre de politologue à l’instar de Hans De Marie Heungoup (analyste Cameroun international Crisis Group) «la situation sociale actuelle est explosive».
Elle est notamment électrisée par les coupures d’électricité à répétition, les pénuries d’eau potable, le chômage, le sous?emploi et les scandales à répétition dans les hôpitaux.
Et pour ne rien arranger, le climat politique s’est aussi crispé. Surfant sur ce mécontentement social, le MRC de l’ancien ministre Maurice Kamto, le CPP de Kah Walla, l’UPC de Ndema Same et le parti Univers de l’universitaire Nkou Mvondo ont institué depuis le 1er avril les « vendredis noirs».
Avec cette initiative, ils essaient malgré la répression de mobiliser les Camerounais contre «le projet de perpétuation du régime par les moyens non démocratiques» et «toute modification constitutionnelle qui ne prend pas en compte la modernisation du système électoral et la nécessité d?un consensus national». Même au sein du RDPC, le parti au pouvoir, ce n’est pas la grande sérénité.
Un conflit s’est ouvert entre le sommet du parti et certain parlementaires. Le secrétariat général du RDPC, estimant que ceux?ci avaient une prise de parole trop libre, a tenté de l’encadrer au cours d’une réunion au Palais des congrès.
L’un d’entre? eux, le député Martin Oyono, lui a donné la réplique. Dans une interview publiée le 05 avril dernier par le journal Mutations, ce dernier affirme qu’il n’accordera pas son soutien aux ministres qui brillent par l’inertie et l’incompétence. Rétropédalage Les signes d’une rétraction du pouvoir étaient perceptibles depuis plusieurs semaines.
Après la levée de bouclier qui a suivi les premiers appels à l’anticipation, on n’a plus entendu ce type de motion. Certaines analyses politiques y voient d’ailleurs un recadrage informel.
Entre la fin du mois de mars et le début du mois d’avril, le ministre Grégoire Owona, secrétaire général adjoint (SGA) du RDPC est même monté au créneau. On a ainsi appris de ce baron du pouvoir que les appels à la candidature de Paul Biya et à l’anticipation de l’élection présidentielle n’ont pas été organisés par le parti.
Et pour convaincre, le SGA explique qu’il n’a signé aucun de ces appels et ne se sent pas menacé. Plus révélateur encore, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale a dit être opposé à l’anticipation de l’élection présidentielle, estimant que les raisons évoquées par ses camarades pour justifier une telle démarche ne sont pas convaincantes.
Pour Grégoire Owona, la priorité est de conduire à bon terme les chantiers de développements et permettre à Paul Biya d’avoir un bon bilan à présenter aux Camerounais en fin de mandat.
Et c’est cela que semblait d’ailleurs suggérer le thème de la célébration du 31e anniversaire du RDPC, le 24 mars dernière : «Mobilisation totale derrière le président national, chef de l’Etat, chef des armées, dans la lutte pour l’accélération de la croissance et le combat contre Boko Haram».
Mais le politologue Owona Nguini invite à la prudence : «On peut, quand on a un objectif, faire semblant de reculer pour endormir ses rivaux et puis mieux agir au moment M». En effet, à bien y regarder, le rétropédalage se résumerait seulement à un changement d’éléments de langage.
Au regard du contenu que certains responsables du RDPC prêtent au projet de modification de la constitution (voir ci?dessous), on peut penser que le pouvoir n’a vraiment pas renoncer à anticiper l’élection présidentielle.
Car une révision de la loi fondamentale, qui apporterait de telles modifications, rendra nécessaire l’organisation dans de bref délai d’une élection présidentielle. Question de désigner au plus vite le successeur constitutionnel qui devrait être après la modification projetée au poste de vice?président.