Depuis bientôt deux mois, les Kamerunais sont envahis par une vague d’initiatives autour de la candidature de Paul BIYA à l’élection présidentielle de 2018.
Ses partisans veulent qu’il soit candidat et certains opposants, lui reconnaissant des mérites de patriotisme, souhaitent qu’au nom de cette valeur, il ne soit pas candidat.
Ce dernier serait-il donc toujours le centre de gravité de la politique de notre pays ? Les partisans de Paul BIYA lui demandent, non seulement de renouveler sa candidature à sa propre succession pour la nième fois, mais également de modifier la constitution aux fins notamment d’anticiper l’élection présidentielle.
Face à eux des partis d’opposition, dont le Manidem, voudraient qu’au nom de l’intérêt supérieur de notre pays, il ne se représente pas à cette élection.
Ceci fait du président de la république et néanmoins, chef d’une ses parties, le RDPC, le centre de la vie politique du Kamerun, alors que son histoire à la tête du pays fournit la preuve que ce n’est qu’accessoirement que ce dernier l’intéresse.
Ceci amène à se poser deux questions : pourquoi cette agitation maintenant ? Quelle riposte possible pour les partis et le peuple d’opposition face à cette opération politicienne?
Pourquoi une telle agitation ?
Les appels et contre-appels à candidature de BIYA posent un problème à notre classe politique, celui de l’alternance politique.
Comment l’inscrire dans nos institutions et la mettre en pratique ?
Les amis du président font appel à leur coutume : les motions de soutien élaborés par les élites, mais suscitées par qui on sait, pour apporter la démonstration que ce dernier est plébiscité par son peuple, et qu’en réalité,
c’est sa soumission à la volonté populaire qui le contraint à se présenter.
La manœuvre est cousue de fil blanc, depuis Ahidjo, adoubé au fil des années et décrié, en 1983 comme l’auteur des pires crimes contre notre cher et beau pays.
Les observateurs savent que cette vision politique, couvre mal les intérêts que ses promoteurs tentent de préserver, en soutenant qu’il n’y aurait aucune autre politique possible, à part celle antinationale que mène BIYA depuis bientôt 34 ans. Qu’est-ce que cette dernière a changé, sur le plan socio-économique depuis AHIDJO ?
Voici quelques éléments de réponse :
* l’exode rural. Il s’expliquait, sous la colonisation, par le fait que les populations venaient en ville, pour rechercher des emplois nouveaux.
La première république a été incapable d’inverser la tendance ; le seconde n’en fait même pas une préoccupation : elle encourage plutôt des métiers comme sauveteurs ou benskineurs, alors que ces milliers de compatriotes, convenablement encadrés dans les plantations seraient en mesure de produire la nourriture nécessaire à leurs concitoyens des villes et de permettre d’atteindre l’autosuffisance alimentaire.
Mais il faudrait pour cela, que les amis de BIYA libèrent au préalable des terres qu’ils ont acquises, pour des bouchées de pain aux fins de spéculation ;
* le développement des métiers du sexe. Abandonnées à elles-mêmes, exploitées et abusées nos jeunes filles ne trouvent d’autre moyen pour combattre la pauvreté que de vendre leur corps, comme le révèle une récente étude de l’Institut National de la statistique
* la politique de la santé. Voici ce que disait le Président en 1983 : « l’une des préoccupations majeures de tout gouvernement est de prendre toutes les dispositions appropriées dans le but d’assurer les soins de santé adéquats à toute la population.
L’évaluation doit accompagner tous les aspects de la planification afin de donner les informations objectives des succès et des échecs. » (Discours d’ouverture des 2ème journées médicales de Yaoundé).
Sauf inadvertance de notre part, nous n’avons pas eu l’impression que ces orientations ont été les préoccupations de Popol ;
* l’encadrement de la jeunesse. Le règne de BIYA a commencé par des vœux ainsi exprimés : « le gouvernement comme par le passé et même mieux que par la passé, ne ménagera aucun effort, ne négligera aucune occasion pour réaffirmer et concrétiser sa conviction, que la jeunesse camerounaise constitue à la fois un capital pour l’action d’aujourd’hui et une espérance pour les projets futurs. »
Cette jeunesse est aujourd’hui frappée par toute forme d’ostracisme, dont le chômage et la pauvreté.
Et qu’est-ce qu’on lui propose ? Le retour à l’entreprenariat agricole (sans garantie d’accès à la propriété foncière et aux ressources financières), les réseaux sociaux, les feuilletons d’amour et d’autres activités aussi abrutissantes, les unes que les autres ;
* quant à l’économie, il n’y a qu’à évoquer le manque de politique énergétique et les lenteurs administratives, responsables du retrait de plus d’un investisseur, pour se rendre compte que le développement n’est pas une priorité pour notre futur candidat.
Mieux, le ministre qui en a la charge vient de confier à la presse que « le jour de mon installation, j’ai réuni mes collaborateurs et leur ai indiqué que mon objectif n’est pas d’avoir 100 projets dont seulement trois ou quatre fonctionnent.
Je préfère en avoir dix qui fonctionnent tous de façon optimale. Le constat qui est fait aujourd’hui, c’est que plusieurs projets sont plombés… » (Investir au Cameroun, N° 47, mars 2016) ;
* Enfin la sécurité. A la sortie de la promotion « vigilance » de l’EMIAC, Paul BIYA disait à juste titre que « la défense nationale ne saurait plus être l’affaire des seules forces armées bien que celles-ci, cela va sans dire, continuent d’en être le principal responsable et l’élément déterminant.
Elle postule désormais, en raison même de la nature des problèmes qu’elle pose, une symbiose permanente entre les forces armées et la nation ».
Est-ce là qu’il a appliqué, dans la lutte contre BOKO HARAM ? Bien sûr que non ! Il a commencé par ignorer les institutions de la nation, pour déclarer la guerre à cette organisation.
Et comme à son habitude, il s’est servi et continue de se servir des fonds publics, sans aucune autorisation de la représentation nationale. Il ne cesse pourtant de se prévaloir du rôle de garant de la constitution.
Si ce n’est donc pas sa préoccupation d’améliorer le sort des Kamerunais, qu’est-ce qui pourrait justifier que ses amis souhaitent qu’il soit de nouveau Président de la république ?
Il faut comprendrequ’il s’agit là d’une pratique bien coutumière au RDPC, dont les fondements se situent à quatre niveaux :
* d’abord, l’opportunisme des « grands » du RDPC qui, soucieux de la sauvegarde de leurs privilèges, estiment que le retrait de leur mentor, signifierait qu’ils devront affronter d’autres politiciens, sans qu’ils aient acquis le contrôle de la préfectorale, « électrice majeure », après les urnes.
Ils souhaitent donc que BIYA, soit Président et que pour une raison ou une autre, il ne finisse pas le mandat, ce qui leur donnerait quelques temps, pour s’assurer le contrôle de « l’électrice majeure » ;
* ensuite, une éventualité du départ de Biya risque d’ouvrir la voie à l’obligation de devoir rendre des comptes au peuple kamerunais sur les multiples forfaitures et les détournements de deniers publics.
* puis l’angoisse réellement ressentie par beaucoup des militants du RDPC à la suite des nombreuses batailles internes déjà vécues lors du renouvellement des organes de base, ainsi que les tensions manifestées entre les clans du sérail, situation qui semble laisser penser à certains militants du RDPC que seule la candidature de Biya pourrait faire taire ces déchirements internes et maintenir ce qui resterait encore de cohésion apparente,
* et enfin une initiative délibérée de M. Biya lui-même cherchant à anticiper une élection française susceptible de voir arriver à l’Elysée, quelqu’un qui, n’ayant pas trop de sympathie pour lui, serait tenté d’hypothéquer sa brillante « réélection ».
Les choses sont donc claires pour les amis de BIYA. Mais ce n’est pour les mêmes raisons que certains partis d’opposition animent cette agitation. Eux ont à l’esprit, une autre préoccupation : une élection libre et indépendante risque de remettre en cause une certaine hiérarchie, établie à travers les luttes politiques menées depuis les années 1990.
En effet, certains dirigeants des luttes ont entamé la soixantaine et ne voient toujours pas venir, en termes matériels, les bénéfices de leurs sacrifices. Or, depuis quelques années, ils ont renoncé à aider les populations à s’organiser pour la défense de leurs intérêts, ce qui a eu comme conséquence que leurs partis ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient.
Et cela va se savoir, s’ils doivent participer à une telle élection. Ils ont donc tout intérêt à ne pas continuer la lutte pour des élections justes et transparentes. Leur calcul à eux consiste à tout mettre en œuvre pour que BIYA ne soit pas candidat, pour que cela conduise éventuellement à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale.
Ainsi, avec un peu de chance – qui sait ?- ils pourraient entrer dans un tel gouvernement. Mais de quel poids pèsent-ils, pour pouvoir influencer les décisions qui se prendraient dans un tel cadre ? C’est une question superflue, pour eux, dès lors qu’une telle ascension leur procure quelques avantages matériels ?
On le voit donc, cette agitation résulte d’une alliance objective, fondée sur l’impératif de tout faire pour que les intérêts des masses populaires soient ignorés. Les Kamerunais vont-ils laisser une telle politique prendre la suite de BIYA ?
Que peuvent faire les partis et le peuple d’opposition ?
Le parlement vient d’ouvrir sa session de mars qui, théoriquement, ne devrait concerner prioritairement que le renouvellement des bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat.
La question que se posent beaucoup d’observateurs est de savoir dans quelle mesure cette institution pourrait prendre sur elle, d’engager une modification de la constitution, notamment pour permettre à M. Biya d’orienter le pays dans les préparatifs d’une élection présidentielle anticipée.
Une telle initiative signifierait que la représentation nationale embraie le pas à la « démocratie apaisée » de BIYA, qui se refuse systématiquement de résoudre clairement la problématique de l’alternance.
Elle la ramène à la vision de la succession néocoloniale, qui se résume à trois modalités : le dauphinat (la latitude laissée au président sortant de choisir son successeur constitutionnel, comme lors de la succession de Ahidjo par Biya), le coup d’Etat (cas de la succession de Gbagbo par Ouattara), l’insurrection populaire organisée par les néo-colons eux-mêmes (cas de la Lybie et de la Syrie).
Pour ce qui est du cas du Kamerun, il est à noter que toutes les institutions mises sur pied par M. Biya et son prédécesseur ne visent qu’à leur assurer les moyens d’une confiscation du pouvoir ad vitam aeternam.
Ainsi, avec les Chefs de village devenus tous des fonctionnaires, les Sous-préfets, Préfets et Gouverneurs devenus tous des rabatteurs et des scrutateurs, l’Assemblée Nationale, le Sénat et la Cour Suprême aux ordres et enfin ELECAM, cette grande machine qui a même dépassé le Minadt dans la manipulation électorale, Biya ne peut perdre aucune élection.
Dans ces conditions, accepter de participer à l’élection présidentielle, au-delà de quelques arguments spécieux du genre « profiter de la campagne électorale pour s’exprimer et s’adresser au peuple après une longue période de censure et de répression», c’est explicitement accepter de lui apporter une caution morale et politique.
Ceci ne signifie aucunement qu’il ne faut pas y participer.
Au contraire, y aller suppose que parallèlement, on organise un dispositif insurrectionnel. Le Manidem, lors de son 3ème congrès en mai 2015 a défini une démarche en trois composantes, pour se faire :
* une stratégie de rupture. L’Etat kamerunais est dans une logique où le président est élu, sans qu’il ne se sente l’obligation d’apporter des solutions aux problèmes des kamerunais.
Au contraire, il se sert de toute démarche des populations, ou de leurs représentants, pour les tourner en dérision et les affaiblir. C’est pour cela qu’il faut rompre avec ses tromperies et promouvoir un large front d’organisations, autour des revendications essentielles, contenues dans un programme minimal ;
* une stratégie de large alliance. Les luttes qui sont menées, depuis quelques années, sont caractérisées par un cloisonnement catégoriel. Il faut en sortir, en créant des passerelles entre les diverses revendications.
Dans cette perspective, il faut signaler le travail de réflexion, conduit par le MANIDEM, le CPP et l’UPC « des fidèles », dont l’ambition est d’imposer « une transition qui pose les fondations d’une transformation de la société kamerunaise sur une base consensuelle et démocratique, avec des institutions légitimes, pour le bénéfice de toutes et de tous. »
Le projet, qui vient d’être finalisé devait être présenté au grand public, à Yaoundé le 29 mars dernier.
La conférence de presse prévue à cet effet a été sauvagement interrompue, avec l’arrestation de quelques leaders. Comme par hasard, le MANIDEM à l’origine d’une lettre à BIYA, pour ne pas être candidat, y était absent ;
* une forte mobilisation des populations, pour la défense de leurs intérêts. Pour qu’une stratégie de large alliance se fasse autour d’un objectif, comme celui qui vient d’être énoncé,
il faut que préalablement, les masses soient organisées, pour poser clairement leurs problèmes et avoir la force nécessaire pour imposer qu’ils soient pris en compte, dans la définition de la politique nationale. Il faut sortir de la politique fondée sur la soi-disant magnanimité du président.
Une telle stratégie peut prendre beaucoup de temps, à se mettre en œuvre, surtout dans un contexte, où le pouvoir en place est opposé à toute expression d’une opinion différente de la sienne.
Pour l’amener à organiser des élections transparentes, à travers lesquelles le peuple joue son rôle d’arbitre entre les candidats, il faut non seulement que les règles soient claires, mais aussi qu’il crée les conditions d’empêcher toute manœuvre frauduleuse. Ces règles sont :
* un code électoral fondé sur un ensemble de règles minimales dont entre autres: l’âge minimal de vote, le bulletin unique (en cas de pluralité de candidats), des élections à 2 tours, la limitation du nombre de mandats et la mise en place d’un organe électoral indépendant ou consensuel etc. ;
* la levée du monopole constitutionnel confié aux partis politiques de concourir seuls au suffrage universel ;
Le principe de l’élection à un tour n’a qu’un seul objectif, à savoir, priver l’opposition de la seule possibilité de se donner un candidat unique. Il faut bien noter qu’à côté de l’opposition véritable qui fait face à M.Biya existe une opposition créée de toutes pièces par lui-même pour jeter le trouble, diviser et éparpiller les voix d’une opposition qui ne dispose d’aucun référentiel pour désigner a priori, de façon objective et consensuelle, un candidat unique.
Par l’élection à deux tours cette responsabilité est dévolue au peuple. Le premier tour qui constitue une sorte de phase éliminatoire, permet de connaître auquel des candidats de l’opposition la majorité du peuple accorde sa confiance pour porter ses aspirations.
Le but de ce premier tour est de choisir celui jugé comme étant le « meilleur » candidat de l’opposition.
Cette procédure présente deux avantages. Le premier est de permettre la différenciation entre d’une part, l’opposition que nous qualifierons d’aujoulatiste (qui n’accepte d’alternance qu’au sein du parti au pouvoir sous la forme de dauphinat ou alors entre le parti au pouvoir et ses affidés de la majorité présidentielle, sous la supervision bienveillante des chancelleries occidentales) et d’autre part, l’opposition véritable qui lutte pour une alternance anti-néocoloniale.
Le deuxième est de garantir au peuple un choix judicieux et pacifique du « meilleur candidat de l’opposition » contre le candidat sortant du pouvoir en place. En effet, l’ensemble des candidats sont obligés de se regrouper automatiquement derrière l’un ou l’autre des deux premiers challengers.
Le président issu d’une telle consultation sort alors revêtu de la légitimité car élu par la majorité des camerounais.
A la vérité, c’est donc au peuple que revient le choix du candidat unique de l’opposition.
En conclusion, face aux nombreux appels à candidature adressées à M. Biya, la réponse des partis de l’opposition ne devrait pas être des contre-appels inopérants, ni des appels illusoires à la « lucidité » de M. Biya pour une gestion « patriotique » « de sa succession, ni enfin la lutte systématique contre la révision constitutionnelle.
Les partis de l’opposition se doivent au contraire de se rassembler en un front uni afin d’exiger la révision de la constitution ainsi que du code électoral sur la base de la plateforme minimale, ci-dessus énoncée.
Une fois la constitution de ce front engagée, l’opposition doit bien garder à l’esprit que le RDPC et son administration devraient, dans les mois à venir, redoubler de violences et d’intimidations contre elle et la société civile en interdisant systématiquement toutes les manifestations et réunions.
Face à cette situation, l’opposition n’aura pas d’autre choix que de tourner le dos à la peur contre l’arbitraire du pouvoir de M. Biya, organiser ses meetings et les tenir quel qu’en soit le prix. Car, c’est celui de la liberté.
C’est le pouvoir de la rue seul qui peut imposer le changement. En dehors de cela, toutes autres démarches et déclarations ne seront que fanfaronnades et folklores.
Les récentes manifestations organisées devant l’hôpital Laquintinie, la marche contre les coupures d’eau et les délestages, la multiplication des grèves même dans les sociétés en charge de nos grands projets structurants ne se sont pas faites à l’invite « d’apprentis sorciers ».
Le mouvement social est en marche. Les conditions objectives de vie (ou plutôt de misère) des camerounais ne vont faire que l’amplifier et ce, malgré toutes les promesses lénifiantes servies à notre peuple le 31 décembre 2015 et le 10 février 2016.
La quête de la démocratie a déjà énormément coûté à notre peuple et exigera sans doute encore des sacrifices. Mais au bout, ce sera immanquablement la victoire.
Tout dépend de nous, tout dépend du peuple en lutte.