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Qui a tué Evgueni Prigojine ?

Wagner est une organisation paramilitaire russe

Thu, 24 Aug 2023 Source: www.camerounweb.com

La mort de Prigojine

DÉVORÉ PAR LE KRAKEN !

« Savez-vous pardonner ? »

« Oui... Sauf la trahison ».

Nous sommes le dimanche 11 mars 2018 à Moscou. Dans quelques jours, c'est-à-dire le samedi 18 mars, se tiendra le scrutin présidentiel qui portera Vladimir Poutine pour la quatrième fois (non-consécutive) à la tête du Kremlin. Sur la chaîne de télévision "Rossiïa-1", un documentaire d'environ deux heures capte l'attention de tout le monde. Il est réalisé par un certain Andreï Kondrachov, directeur de campagne du président sortant, et est entièrement consacré à la promotion de celui-ci. Mais alors que les deux hommes discutent calmement de l'OTAN, de la Syrie, de Dieu et du monde, Kondrachov sort soudain de son chapeau la question suivante :

« Savez-vous pardonner ? »

Ce à quoi son interlocuteur lui répond sans ambages :

« Oui... Sauf la trahison ».

Pour quiconque s'intéresse à la politique russe à ce moment-là, cette partie de l'échange n'a rien d'anodin ou de spontané. Au contraire, elle ressemble en tous points à un dialogue préparé à l'avance, histoire de bien faire passer le message à tous ceux qui auraient pris un peu trop de libertés envers la mère patrie. Car en effet, cet intrigant documentaire intervient comme par hasard au moment où une étrange affaire d'empoisonnement secoue l'actualité : le 4 mars 2018 (soit à peine sept jours plus tôt), un homme et sa fille sont retrouvés dans un parc de Salisbury en Angleterre, tous deux inconscients et tous deux à l'article de la mort. Il s'agit de Sergueï Skripal, citoyen en exil, et de sa fille loulia, venue de Moscou la veille pour lui rendre visite.

Skripal est en réalité un agent double, ayant travaillé à la fois pour Moscou et pour Londres. Condamné en 2006 (sous Vladimir Poutine) à 13 ans de prison ferme pour avoir livré des documents sensibles aux Anglais, il sera libéré en 2010 (sous Dmitri Medvedev) dans le cadre d'un échange de prisonniers russes détenus en Occident. Il sera alors extradé vers l'Angleterre, où il s'installera définitivement. Sauf qu'en 2018, cela fait six ans que Poutine est de nouveau aux commandes, et à l'inverse de son prédécesseur, il n'a manifestement rien oublié ! Lui qui clamait déjà en 1999 pendant la guerre de Tchétchénie que les Tchétchènes seront poursuivis « jusque dans les chiottes », entend de toute évidence réserver la même attention aux déserteurs nationaux. C'est en tout cas ce que pense le bloc otanien et ses alliés.

Sergueï Skripal et sa fille seront emmenés d'urgence à l'hôpital, où on leur diagnostiquera un empoisonnement au Novitchok, une molécule neurotoxique parmi les plus mortelles jamais conçues par l'homme (Elle a notamment été diffusée dans de très grosses proportions sur le parvis d'entrée de sa maison). Skripal passera ainsi 25 jours dans le coma, ne reprenant connaissance que le 29 mars, de façon quasi miraculeuse. Et comme évoqué plus haut, l'hypothèse la plus répandue - et largement considérée comme la plus crédible - porte sur une « punition » du « traître » par les services de renseignements russes.

Bien entendu, Moscou a toujours nié tout en bloc. Mais « on se connait », comme on dit chez moi au Cameroun.

L'OCÉAN PACIFIQUE

C'est de la même façon que, sur le décès d'Evgueni Prigojine survenu ce mercredi 23 août 2023, le Kremlin rejettera allègrement toute version l'impliquant de près ou de loin dans ce mystérieux crash d'avion. La politique des puissants fonctionne davantage sur des pichenettes subtiles que sur des aveux directs. Il ne faut donc pas s'attendre à un mea culpa du dimanche. Mais de toute façon, ce n'est pas ce qui nous intéresse ici. Au contraire, c'est plutôt le moment pour moi de faire un amusant constat : parmi ceux qui sont convaincus que c'est Vladimir Poutine qui a liquidé le patron de Wagner, on trouve 100% de ceux qui nous expliquaient il y a deux mois que Vladimir Poutine est « archi-faible » et que c'est pour cela que Wagner a pu avancer vers Moscou en quelques heures « comme dans du beurre ». Ils avaient alors abouti à cette conclusion absurde : c'est Prigojine lui-même qui, par complaisance, aurait décidé de renoncer à son coup d'Etat ! Et ce alors même que les portes du Kremlin lui étaient a priori grandes ouvertes !

Mais maintenant qu'il a perdu la vie dans les circonstances que vous savez, je profite pour reposer ma question d'alors : a-t-on jamais vu dans l'histoire un homme renoncer volontairement à un pouvoir qui lui tend les bras, tout en sachant qu'en faisant marche arrière il s'expose au bannissement, à la prison à vie, à la condamnation à mort, ou tout simplement à un assassinat en règle ? Qui serait assez cinglé pour se compliquer l'existence de façon aussi stupide ?

Vu sous cet angle, vous n'avez évidemment aucune chance de répondre de façon sensée. Car la seule réalité, c'est celle que nous vous avions présentée depuis le début, à savoir : si Wagner a reculé, c'est parce qu'il avait fini par comprendre qu'il n'avait absolument aucune chance de renverser le régime, et que ça ne servait à rien de lancer une guerre civile sans lendemain, et de sacrifier les vies des compatriotes pour du vent. Et la seule raison pour laquelle ils ont pu avancer aussi rapidement jusqu'aux portes de la capitale, c'est que Vladimir Poutine avait pour sa part compris d'emblée que répondre à cette provocation et tomber dans le piège d'une guerre fratricide arrangerait fort bien les affaires de ses ennemis occidentaux ! Alors, avec la médiation de son allié biélorusse Aleksandr Loukachenko, il a privilégié la solution du dialogue, la seule et unique voie rationnelle qui s'imposait.

Oui, le dialogue. Loin de la gesticulation débile de ceux qui y voyaient « une faiblesse » (parce qu'ils espéraient justement profiter de la situation d'une Russie déchiquetée de l'intérieur). Et loin de la danse macabre d'un Alassane Ouattara ou d'un Bola Tinubu, qui ne comprennent absolument rien à la géopolitique internationale, et qui se montrent si prompts à aller tuer leurs semblables au Niger pour le bonheur de l'ennemi. Des valets coloniaux aussi stupides que séniles !

Dans un article que j'ai publié le 28 juin sur cette page et que j'ai baptisé « l'Océan Pacifique », je décris de façon détaillée la méthode Poutine devant cette incursion éclair de Wagner vers Moscou. Une méthode où il a évité la guerre que ses adversaires souhaitent qu'il fasse (et de perdre ainsi en forces humaines), et où il a vraisemblablement préféré couper quelques têtes individuelles ce 23 août.

L'ÉPILOGUE DU FILM

Et si vous êtes aujourd'hui unanimes sur le fait que c'est Moscou qui vient de neutraliser Prigojine, alors vous donnez du crédit au chef du Kremlin qui a su préserver le grand nombre et éliminer la poignée de meneurs renégats. Qui plus est, vous validez la naïveté de ce Prigojine qui, loin d'être le sphinx tant vanté comme étant supposément capable de renverser Poutine en deux jours, se révèle n'être en fait qu'un mercenaire influençable ayant eu un jour les yeux plus gros que le ventre, et ayant joué à des jeux qui le dépassent. Il faut se dire en effet que le coup d'État (qui n'était pas du tout une Maskirovka, c'est-à-dire une mise en scène) reposait sur trois probabilités : soit il s'est soudain senti pousser des ailes en raison de la popularité du groupe Wagner et il s'est tout à coup imaginé en président, soit il a été berné par les USA qui ont fait exploser l'un de ses engins militaires en lui faisant croire que c'était son propre gouvernement et en le poussant à la révolte, soit il a tout simplement craint de voir Wagner intégré à l'armée régulière comme annoncé depuis plusieurs mois, ce qui l'aurait effrayé, vu qu'il en perdrait le commandement intégral.

Quoiqu'il en soit, sa solution (à savoir s'attaquer à l'État central et risquer ainsi de fragiliser la Fédération de Russie au profit des otaniens) fut la pire de toutes. Et devant sa mort aujourd'hui, on ne peut qu'entendre encore et encore cette interview de Poutine, qui bourdonne dans nos oreilles comme une abeille téméraire :

« Oui...Sauf la trahison ».

La Russie n'est certainement pas un modèle d'éthique à suivre (pas plus que ne le sont d'ailleurs la France guerrière de Sarkozy et de Macron, ou les USA belliqueux de Bush et d'Obama), mais je trouve la méthode russe assez inspirante (si l'on en exclut bien sûr le facteur assassinat). Car je souhaite que l'Afrique applique la même stratégie que la Russie, notamment sur le cas de la crise au Niger. Concrètement, plutôt que de se faire la guerre entre nous et de sacrifier des milliers de vies pour satisfaire Ouattara, Sall, Tinubu et consorts, il serait plus raisonnable de capturer tous ces sorciers et de leur offrir une belle prison à perpétuité pour « haute trahison », puis de régler nos contentieux politiques par le dialogue, chose qui à long terme nous rendrait assez unis (et donc assez solides) pour contrer les pillages impérialistes, d'où qu'ils viennent.

C'est par exemple ce qui se passe avec la séquestration de Mohamed Bazoum (l'homme qui demande aux Américains de venir tuer du Nigérien), et c'est un excellent début !

Ekanga Ekanga Claude Wilfried

Auteur: www.camerounweb.com