Des questions, Amadou Vamoulké doit s’en poser beaucoup en ce moment. Comme il a dû s’en poser également, peut-être avec moins d’ahurissement, à certains moments précis de sa vie.
Alors que des rumeurs persistantes faisaient état de son arrestation prochaine et qu’il avait été plusieurs fois entendu au Tribunal criminel spécial, l’homme est resté convaincu de son innocence.
Jusqu'à ce fatidique vendredi 29 juillet 2016 où il a été conduit à la prison centrale de Yaoundé à Kondengui. Y a-t-il eu un complot pour le conduire à tout prix derrière les barreaux ? En attendant d’avoir une réponse à ces nouvelles questions, on peut remonter à d’autres, plus anciennes.
Comment comprendre cette vague d’adversité qui, peu de temps après la nomination d’Amadou Vamoulké à la tête de la Cameroon Radio and Television (Crtv), s’est déversée sur lui ?
Provenait-elle de la méfiance, de la crainte de perdre de certains privilèges ou était-ce la déception de voir arriver quelqu’un qui n’avait pas le profil de l’emploi ?
D’emblée, l’on pourrait écarter la dernière hypothèse lorsque l’on s’intéresse aux parcours professionnel exceptionnel de l’homme qui a finalement passé 11 ans à la tête de l’office, alors que plusieurs personnes lui prédisaient un bail plus court.
Né en 1950, Amadou Vamoulké est originaire de Gobo dans le département du Mayo Danay, région de l’Extrême-Nord. Il a obtenu un baccalauréat A4 en 1971 avant d’être reçu à l’Ecole supérieure internationale de journalisme de Yaoundé (Esijy). Major de sa promotion, il refuse cependant d’être fonctionnaire. Ce qui ne l’empêchera pas d’être recruté à Cameroon Tribune en 1974.
Il va y travailler pendant dix ans et sera notamment rédacteur en chef du quotidien national de 1981 à 1984. Les personnes qui ont travaillé sous sa direction pendant cette période-là se souviennent d’un chef accommodant. « Vamoulké comme patron fixe le cap.
Ce n’est le type qui va avoir la chicotte, ce n’est pas la caporalisation. C’est quelqu’un qui exige la qualité. Et même quand le cap est fixé, ceux qui travaillent avec lui bénéficient d’une présomption de compétence et même de bonne foi. Ce n’est pas quelqu’un qui a sur le collaborateur qui vient un préjugé défavorable.
Il a un a priori favorable et juge le collaborateur à son travail. Ça ne veut pas dire qu’il va s’accommoder de la médiocrité », nous indique un ancien journaliste de Cameroon Tribune. Il poursuit en relevant l’humilité et la très vaste culture de celui qui fut son rédacteur en chef : « C’est l’intellectuel même, qui aime les idées, la discussion intellectuelle. Il est très attaché à certaines valeurs, mais est ouvert à la discussion sur toute sorte de sujets. C’est par la force de tes arguments que tu vas le convaincre ».
Un autre ancien collaborateur d’Amadou Vamoulké à Cameroon Tribune se souvient également de ces grandes qualités humaines et intellectuelles. « C’est quelqu’un de très intelligent et de très humble. Nous avons partagé un même bureau. Quand il écrivait un article, il venait me le présenter et me demandait de le lire et de faire des suggestions.
Quand une suggestion était bonne, il n’hésitait pas ». Ce collaborateur se rappelle surtout du billet que rédigeait à l’époque Jean Mboudou et que la direction du journal a décidé de confier à quelqu’un qui était plus présent au sein de la rédaction.
Amadou Vamoulké lui a demandé de le faire, mais aussi de proposer un titre. Au milieu des nombreuses propositions, il n’a pas hésité un instant à encercler « Autant le dire ».
6 avril 1984
Comment ne pas évoquer l’épisode du coup d’Etat manqué du 6 avril 1984. Amadou Vamoulké, déjà connu pour ses prises de position fortes, rédigea dans l’édition n°2946 du dimanche 8 et lundi 9 avril de Cameroon Tribune un éditorial qui fit sensation.
Il était intitulé « L’unité nationale a triomphé ». « Comment faire croire aux Camerounais que parmi eux, il y a des gens qui sont faits pour être gouvernés et d’autres pour gouverner ? C’est proprement absurde et il faut être aveuglé par le fanatisme, l’argent, l’appât du pouvoir pour le pouvoir ou tout simplement par la sottise pour ne pas s’en rendre compte », écrivait-il notamment.
Avant de conclure, plus loin : « Cultiver la paix passe aussi par la tolérance mutuelle, même si cette vertu est rarement prise comme telle et est plus souvent assimilée à de la faiblesse. Mais une vertu reste une vertu, quoi qu’en pensent les imbéciles ». Le texte a plu. Et même en lieu, paraît-il. Amadou Vamoulké devient membre suppléant du comité central du Rdpc dès sa création en 1985.
Il est donc l’un des premiers cadres du parti de Paul Biya. « Ce qui n’est pas rien », pense un observateur. Amadou Vamoulké avait entre-temps quitté Cameroon Tribune en 1984 pour un autre challenge. La direction générale de l’Imprimerie nationale.
A l’époque, il arrive déjà à la tête d’une entreprise en crise. Et il va engager immédiatement des mesures pour tenter de la sauver. L’une d’elle est la réduction du salaire du directeur général. Déjà ! Mais la tâche va s’avérer plus complexe dans cette entreprise sans le sou. Amaldou Vamoulké va démissionner en 1994.
Mais il ne restera pas inactif bien longtemps. On le retrouve à Sitabac où il devient le conseiller du Pdg James Onobiono. Ses fonctions de conseiller du Pdg, qui a beaucoup de respect pour lui, ont un large rayon d’action. Avec James Onobiono, Amadou Vamoulké va parcourir plusieurs conférences économiques à travers le monde.
A Sitabac, il sera également directeur de l’administration, de la logistique et des ressources humaines. Il y a plus de dix ans qu’Amadou Vamoulké a quitté les salles de rédaction, mais un certain nombre de journalistes pensent qu’il peut être encore d’une grande utilité à la profession au Cameroun. Au moment de mettre sur pied l’Union des journalistes du Cameroun (Ujc), ils iront à Douala le convaincre d’être candidat à la présidence.
Il répondra positivement à cet appel des siens et sera élu quelque temps plus premier président de l’Ujc. « Du fait de la stature de son premier président, l’Ujc a immédiatement acquis une importance qu’elle n’a jamais perdue », affirme un membre. Il sera plus tard président du Réseau de l’Audiovisuel Public d’Afrique Francophone (Rapaf) et de l’Union des Radios et Télévisions Internationales (Urti).
Détaché des biens matériels
Alors, du fait de ces diverses expériences et des sollicitations dont il fait l’objet, rien à redire sur la compétence ou l’expérience de l’homme. Mais alors quoi ? Un penchant pour l’argent ? « Non ! », répondent instantanément ceux qui l’ont côtoyé avant et pendant son séjour à la Crtv, aussi bien dans le cadre professionnel qu’en dehors.
Certains racontent avec amusément ses contributions financières pour des événements qui leur semblaient toujours dérisoires pour un Dg. D’après l’une de nos sources, pour comprendre les inimitiés qui sont nées de l’arrivée de Vamoulké à la Crtv, il faut penser au contexte de celle-ci. A l’époque, en 2005, on parle déjà de succession à la tête du pays.
Et l’arrivée de quelqu’un qu’on ne contrôle pas forcément à la tête d’une entreprise considérée comme un outil de pouvoir ne fait pas que des heureux. Ce sera la première vague d’adversaires. Il y a également ceux qui, sous Gervais Mendo Ze, bénéficiaient d’avantages faramineux qu’ils perdent avec le nouveau Dg. En réalité, à son arrivée, l’équipe est démobilisée. D’où les appels à candidature qui seront lancés pour les postes de directeurs à la suite d’un audit.
« D’autres inimitiés viendront du fait que les employés sans avantages particuliers sous l’ancien Dg espéraient voir leur situation s’améliorer. Or, du fait des difficultés de l’entreprise, rien n’a pu bouger. En plus, il n’était pas dans les prérogatives du Dg de procéder par exemple à une revalorisation des salaires », précise notre source.
« Je crois que le personnel, et je leur ai déjà dit à plusieurs occasions, doit avoir un minimum de culture économique. On ne peut pas supprimer les avantages pour le simple plaisir de supprimer, ou pour être désagréable envers les gens. La science de l'économie, dit-on, c'est la science de l'allocation des ressources rares.
Autrement dit, lorsque les sources sont rares, il faut les distribuer de manière optimale qui permette à l'organisation de fonctionner et de se perpétuer. Si les ressources de la Redevance audiovisuelle (RAV) diminuent de quelques milliards, si comme je l'ai dit plus haut, le fisc ponctionne 1,6 milliard de Fcfa dans nos comptes, c'est autant d'argent qui ne peut pas être redistribué. A mon avis, il n’y a aucun miracle de ce point de vue.
Je pensais que le personnel pouvait se féliciter d'avoir eu régulièrement son salaire à bonne date, et que ce même personnel devait se féliciter de savoir que son entreprise revient dans l'estime du public ; que le travail qu'il fait est apprécié. Le seul critère ce n'est pas seulement l'estomac, car cette attitude ne permet pas de construire une entreprise », indiquait-il dans une interview accordée en 2006 à l’Effort camerounais.
Le 26 août 2006, des employés de la Crtv ont signé une lettre pour dénoncer la gestion d’Amadou Vamoulké. Ce dernier dira, quelques jours plus tard dans une interview au Messager : « J’ai vu en ce document l’expression d’un ressentiment légitime, mais également et surtout beaucoup de manipulation.
En ce qui me concerne, j’estime que l’incident est clos, s’il ne revêt que des aspects corporatistes. J’ai réuni mes directeurs le 29 août 2006. Je me réjouis de constater que dans leur immense majorité, ceux-ci ont dénoncé l’initiative des rédacteurs de la lettre ouverte, et se sont engagés à remobiliser leurs troupes, pour les batailles futures que nous devons livrer et gagner ».
L’ultime combat ?
Pourtant, les problèmes sont loin d’être terminés. La gestion du Dg sera régulièrement traquée. Des missions de la Conac défilent à la Crtv sans rien trouver.
Mais ceux qui en ont après Vamoulké ne se lasseront pas. Jusqu’à cette fameuse affaire de coaction avec Gervais Mendo Ze, son prédécesseur à la Crtv. Une inculpation à laquelle il ne comprend toujours rien. Tout comme il continue de s’interroger sur ce qu’il ce qu’il considère comme un acharnement contre sa personne.
Une légende veut que ses ennuis sont liés au fait qu’il a dû sa nomination à la Crtv à l’ex-Sgpr Jean-Marie Atangana Mebara. Nos sources, pourtant, ne leur reconnaissent pas une si grande proximité. Encore moins avec Marafa Hamidou Yaya, qui fut l’un de ses cadets au lycée classique de Garoua.
La rigueur et l’intégrité d’Amadou Vamoulké auraientelles quelque chose à voir avec ses ennuis ?
« Ils sont en tout cas nombreux à penser que s’il s’était davantage intégré dans le système il s’en tirerait mieux au regard de son talent et de sa ompétence que personne ne conteste », écrivaient Aimé Robert Bihina et Eric Benjamin Lamère dans le livre « Bienvenue à l’Extrême-Nord.
Radioscopie d’une province à travers ses personnalités incontournables ».
Il ne s’est certes jamais appuyé sur l’ethnie ou la région d’origine. Une anecdote raconte d’ailleurs qu’à la suite de sa nomination à la Crtv, des journalistes de l’Extrême-Nord se sont constitués en délégation et sont allés vers lui, espérant tirer des avantages de sa position, en tant que « frères ».
Il leur aurait répondu que la Crtv est une entreprise publique appartenant à tous les fils du Cameroun. Et s’il n’est pas n’est pas non plus homme à distribuer des billets de banque au village, Amadou Vamoulké est resté très attaché à ses origines.
Il a organisé en 1999, la conférence économique du Danay, il est le concepteur et le promoteur du Festival international des arts et de la culture Moussey, dénommé Kodomma, il est en outre depuis 2013, président International de la Fondation Moussey.
Celui qui a également été pendant plusieurs années président de la fédération camerounaise de lutte mène actuellement l’un des combats les plus importants de sa vie. Celui pour la vérité. Et il espère bien pouvoir le remporter.