Les modifications apportées le 2 octobre 2015 au Gouvernement ressemblent plus à une retouche technique pour régler quelques comptes, en attendant.Depuis les dernières élections législatives et municipales au Cameroun il y a 3 ans, l’opinion attendait un remaniement d’après élections.
Le président de la République Paul Biya est resté de marbre, faisant mentir ceux qui croyaient en une règle non écrite, celle d’un nouveau gouvernement après chaque élection, ne serait-ce que pour redistribuer les cartes. Pour finir, le « Sphinx » a encore confirmé tout le « bien » qu’on pense de lui : il prend son temps.
Et non seulement il prend son temps, il frappe surtout là où on s’attend le moins, même comme le réaménagement du 2 octobre semble répondre à quelques exigences populaires. Au total, 12 ministres quittent le gouvernement.
En lieu et place du tsunami attendu, Paul Biya s’est contenté de faire des retouches, avec une précision importante cette fois, « sur proposition du Premier ministre », peut-on le lire dans les décrets. Comme pour dire à ceux qui restent et qui entrent que le poste de Chef du gouvernement veut bien dire quelque chose dans son pays. Ceux qui sortent sont : Adoum Garoua, Bakang Mbock, Robert Nkili, Jean Pierre Biyiti bi Essam, Essimi Menye, Ama Tutu Muna, Pierre Titi, Louis Bapes Bapes, Hans Nyetam Nyetam, Emmanuel Bonde, Pierre Moukoko Mbondjo, et Patrice Amba Salla. Parmi eux, il y en a dont les têtes étaient réclamées depuis par l’opinion, pour une raison ou une autre.
Pas de surprise pour eux
Ama Tutu Muna, la ministre de la Culture quitte, et cède son poste à Narcisse Kombi Mouelle. Elle incarnait désormais le défi permanent de la hiérarchie au sein du gouvernement, avec l’affaire de la gestion des droits d’auteurs des artistes. Elle avait pris l’habitude, dans ce conflit, de faire le contraire de ce que le Premier ministre Philémon Yang instruisait de faire, au point de passer outre une commission permanente mise sur pied par le Pm, commission dont les travaux devaient aboutir à la création d’une nouvelle société de gestion des droits d’auteurs. Ama Tutu est l’un des ministres dont le maintien en poste inspirait la question de savoir si ce pays est gouverné.
L’autre départ attendu depuis plus d’un an, c’est celui de Louis Bapes Bapes, qui trainait la réputation de « ministre bagnard », pour avoir été écroué pendant une journée à la prison de Kondengui un matin après le passage chez le juge, alors qu’il était encore en fonction. Paul Biya lui-même l’a fait libérer dans la nuit et le lendemain il est repartit dans son cabinet comme si de rien n’était. Il a ainsi continué à présider au sort de l’éducation secondaire, dans ce pays où le ridicule, loin de tuer, grandit plutôt. Depuis son départ du gouvernement hier, un internaute a fait ce simple commentaire, mis à la disposition de la justice.
Biyiti Bi Essam qui quitte le ministère des Postes, est l’un des ministres dont l’entrée, ou mieux, le maintien dans le précédent gouvernement était un miracle. C’est lui qui avait défrayé la chronique avec « l’argent de la visite du pape », à l’époque où il était ministre de la Communication. Une somme d’argent débloquée par le ministère des Finances pour la location des écrans géants et autres commodités liées à l’évènement, s’est retrouvée dans son compte personnel, et il avait expliqué que c’était pour la mettre en « sécurité. »
L’opinion s’était émue de ce que l’argent de l’Etat soit en sécurité plutôt dans un compte personnel d’un citoyen fût-il ministre, et réclamait déjà sa tête lors de la formation du gouvernement suivant. Mais le président Biya avait alors préféré le muter au Postes et télécommunications. Ici encore on se demande ce qu’il a fait de la fibre optique dont il a annoncé et même inauguré l’arrimage à plusieurs atterrissements de câble sous-marins. Mais on attend toujours la pénétration effective de l’internet dans le pays et l’accès par la population, et surtout la baisse des coûts
Essimi Menye quitte le ministère de l’Agriculture, désormais confié à Henri Eyebe Ayissi, qui était au Contrôle supérieur de l’Etat. L’on ne vendait plus cher la peau de cet ex Minagri. Il trainait déjà avec lui des casseroles du ministère des Finances, où on l’accusait à tort ou à raison d’être l’auteur de plusieurs forfaits, même comme jusqu’ici la justice ne s’est véritablement pas intéressée à lui. Au ministère qu’il quitte, il s’était illustré comme le précurseur de l’agriculture de seconde génération, mais il lui est reproché la gestion catastrophique de l’usine à tracteurs d’Ebolowa, dont personne ne peut prédire l’avenir.
Et le reste ?
On note pour les autres ministres qui sont concernés par les décrets du 2 octobre 2015, qu’il y a des promotions, des déceptions, et des récompenses et mêmes des bonnets blanc, blancs bonnets. Joseph Beti Assomo, jusqu’ici gouverneur de la Région du Littoral, est le plus heureux de la liste, lui qui gère désormais le très sensible portefeuille de ministre délégué à la Présidence de la république chargé de la Défense.
Et sa promotion entraine la déception de son prédécesseur, Edgar Alain Mebe’e Ngo, muté au ministère des Transports. Il se dit que ce dernier vivait déjà dans la peau de Dauphin de Paul Biya, et sortait avec un cortège qui n’avait rien à envier à celui d’un président de la république. Pour lui, le portefeuille des Transport n’est qu’un menu fretin comparé à son ancien poste.
Pour finir, les décrets de Paul Biya ne manquent pas une note de cynisme. Pierre Moukoko Mbondjo, l’ex ministre des Relations extérieures est en la victime, lui qui le représente à l’Assemblée Générale des Nations Unis à New York, étaient à quelques heures de sa prise de parole à la tribune, quand il a été remercié.
Reste que beaucoup de ministres peuvent se dire pour le moment « sauvés », mais il est évident que les décrets d’hier ne seraient pour le Prince qu’une mesure conservatoire. Il a à plusieurs reprises, lors des discours officiels, critiqué l’action de ce gouvernement, et il n’est pas exclu qu’il refasse parler de lui très rapidement.