Le régime Biya a misé sur le découragement des populations du Southern Cameroons
Depuis quelques mois, il est question de plus en plus dans les arcanes du pouvoir de Yaoundé de reconstruire les régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest (à la base le Southern Cameroons/Ambazonia). Un plan présidentiel de reconstruction et de développement des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il s’agit là de l’une des retombées du Grand Dialogue National organisé du 30 septembre au 4 octobre 2019. Pour conduire la mise en œuvre dudit plan, le dévolu du gouvernement camerounais a été jeté sur l’anglophone Paul Tasong, ministre délégué auprès du ministère de l’Economie, originaire du Lebialem (sud-ouest anglophone).
Pour rendre possible cette reconstruction, le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MINEPAT), Alamine Ousmane Mey, a signé le 5 mai dernier, un accord de financement de 8,9 milliards de F CFA avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Le programme de reconstruction des régions anglophones dévastées par la guerre d’indépendance nécessite un financement de l’ordre de 89,6 milliards de FCFA. En décembre 2019, la France avait promis de débloquer plus de 40 milliards de FCFA dans le cadre du Contrat de désendettement et de développement (C2D).
Qu’est ce qui rend le pouvoir de Yaoundé si confiant en une possible reconstruction des régions anglophones alors que les armes continuent d’y crépiter, alors que l’armée continuent de massacrer des civils et d’incendier des maisons, alors que des soldats camerounais continuent de tomber sous les balles des indépendantistes armés ? En effet, le régime de Paul Biya compte sur la France et sur des éléments infiltrés ou retournés au sein de la révolution anglophone. Pour mémoire, le 19 avril dernier, l’ambassadeur de France au Cameroun, Christophe Guilhou, a déclaré que « la France accompagnera la reconstruction du NOSO (nord-ouest et sud-ouest, ndlr) mais avant, il faut un accord de paix entre le gouvernement et les bandes armées ».
En réalité, celui avec qui le pouvoir de Yaoundé entend signer les accords de paix est le leader séparatiste emprisonné Sisiku Ayuk Tabe. Pour avoir créé depuis la prison principale de Yaoundé un gouvernement intérimaire concurrent à celui dirigé par son remplaçant Dr Sako Ikome, Sisiku Ayuk Tabe est accusé au sein de la révolution anglophone d’avoir été « acheté » par le pouvoir de Yaoundé. Les « bandes armées » dont parle le diplomate français sont en réalité les Ambazonian Defence Forces dont les agissements contre-révolutionnaires et ceux de leur commandant-en-chef, Ayaba Cho Lucas, donne à croire qu’ils ont eux-aussi été empochés par le régime Biya.
C’est donc sur cette alliance Sisiku-Ayaba que compte le régime Biya pour signer le fameux accord de paix qui va favoriser la mise à exécution du plan de reconstruction des régions du nord-ouest et du sud-ouest. La convocation récente de Sisiku Ayuk Tabe et de 2 membres de son staff dirigeant au bureau du commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Yaoundé, Engono Eric Thadée, n’a rien de fortuite. Yaoundé a choisi Sisiku et Ayaba pour négocier.
Mais la fameuse reconstruction ne s’annonce pas de tout repos car l’Interim Government (gouvernement de la République en devenir d’Ambazonie) dirigé par Dr Samuel Sako Ikome depuis les Etats-Unis, est aux aguets. Pour empêcher la mise en œuvre de ce plan de reconstruction, l’Interim Government a lancé dimanche 3 mai dernier l’opération « Amba War Draft ». Il s’agit d’une campagne de fundraising dans chacun des 13 départements des régions anglophones afin d’accroître l’armement des Ambazonians Restorations Forces, les forces indépendantistes anglophones. Les effets de cette campagne se font déjà ressentir sur le terrain. Ce dimanche 10/05/2020 à Eshobi, non loin de Mamfe, le maire de Mamfe, Prisley Ojong, a été mortellement atteint par des tirs de séparatistes armés sur un convoi militaire dans lequel il se trouvait. Un soldat de ce convoi a lui aussi été tué.
En infiltrant la révolution anglophone et en achetant les consciences de certains activistes pro-indépendances pour semer la confusion, le régime Biya a misé sur le découragement des populations du Southern Cameroons vis-à-vis de cette lutte armée pour mettre en place son plan de reconstruction. C’était sans compter sur la popularité de l’Interim Government sous la houlette de Dr Sako Ikome, si l’on en juge toute la vaste mobilisation autour de la campagne Amba War Draft. Les services de renseignement ont-ils donné la bonne information aux autorités camerounaises au regard de l’optimisme de ces dernières quant à la faisabilité de ce plan de reconstruction ?