Regagnez vos campus où vous attendent vos maîtres

Etudiants En Cours IRIC1 Illustration

Thu, 16 Feb 2017 Source: Pr. Dominique Mvogo

En ces temps troubles qui ont vu la « bête », le « Léviathan » faire irruption dans le « saint des saints », l’Université, considérée jusqu’à présent comme un « lieu clos et apolitique », il est de notre devoir à tous, qui que nous soyons et quelle que soit notre posture, de prendre position pour réaffirmer la sacralité de ce lieu génésiaque où se forge le destin de notre pays. Renoncer à ce devoir en se réfugiant dans un silence hypocrite, c’est se rendre complice de ce qui est en train de se tramer et qui n’est, ni plus ni moins, que la destruction, la fin de notre université et conséquemment, l’hypothèque de notre avenir à tous.

Répondant à cette exigence, j’ai choisi de m’adresser, à titre personnel et en tant que citoyen soucieux de la « res publica », aux étudiants de l’Université de Bamenda, dans une lettre, genre littéraire qui relève prioritairement de l’intime, du privé. Une lettre, c’est quelque chose qui est destiné à quelqu’un de particulier et dans une visée singulière.

L’ouvrir, sans l’autorisation expresse du destinataire, constitue un déni de l’un des droits fondamentaux de l’homme : le droit à une vie privée. Violer la correspondance de quelqu’un comme cela arrive souvent dans certains milieux comme la prison, les internats… c’est entrer par effraction dans la subjectivité même de cette personne. On comprend dès lors la virulence des protestations du célèbre prisonnier de Robben Island, Nelson MANDELA, dont les lettres étaient systématiquement ouvertes par ses geôliers.

Lorsqu’elle est ouverte, la lettre ne relève plus exclusivement des catégories de l’intime et du privé. Elle devient la propriété de tous, une sorte de champ public, « ager publicus » d’où chacun peut tirer quelque élément pour son propre gouvernement.

En choisissant ce genre littéraire, j’indique donc, d’emblée, que ce que je vais dire transcende la situation particulière des étudiants de l’université de Bamenda pour interpeller ceux de l’ensemble de la région et pour quoi pas, des autres régions. Cette méthode m’a été suggérée par l’un des plus brillants intellectuels que ce pays ait produits, feu le professeur Bernard FONLON, arraché à notre affection il y a quelques décennies déjà.

Dans un texte de plus de soixante-quinze pages intitulé « Lettre ouverte aux étudiants africains » publié en 1969 dans la vénérable revue « Abbia », nos 29-30, Bernard FONLON, un des pères fondateurs de l’université camerounaise, pointait, avec une rare lucidité, les missions impératives qui étaient celles de l’Afrique au lendemain des indépendances :

« L’Afrique doit s’unir et se mobiliser afin de barrer la voie à la vague de fond de l’impérialisme qui ressurgit et consolider son indépendance économique… » (1969 : 77). Pour y parvenir, l’universitaire camerounais indiquait deux moyens fondamentaux et absolument indispensables : le savoir et le capital. Tout au long des soixante-quinze pages que compte son article, Bernard FONLON va montrer la pertinence et la justesse de ces deux moyens, tout en insistant sur le premier, le savoir, comme étant le plus important, celui-là même pour lequel l’université joue un rôle incontournable.

Tout en exprimant mon admiration pour cette étoile filante qui s’est éclipsée trop tôt, je ne répéterai plus ici, ce qu’il a dit avec tant de profondeur et d’élégance dans la revue sus-citée. Je réduirai volontairement mon propos aussi bien du point de vue de l’extension que de celui de la compréhension.

Du point de vue de l’extension, je m’adresserai non pas aux étudiants africains en général, mais à ceux de Bamenda, de l’Université d’Etat de Bamenda, plus précisément. Du point de vue de la compréhension, je ne traiterai ni de l’éthique de l’université, ni de l’ensemble de ses missions, renvoyant les lecteurs de ces lignes à mes ouvrages antérieurs consacrés aux enjeux de l’éducation et à la refondation de l’université camerounaise. Ici, je ne parlerai, compte tenu des contraintes temporelles et spatiales que des raisons objectives qui militent en faveur d’une reprise immédiate des activités à l’université de Bamenda.

Chers étudiants,

Faisant retour sur ces malheureux événements qui ont fait leur apparition dans la région du nord Ouest et du Sud Ouest en novembre 2016 et qui jusqu’à présent, ont paralysé les activités scolaires et universitaires, la première chose qui s’impose à moi avec une fulgurante évidence est que ni les étudiants, ni les enseignants du supérieur n’ont été à l’origine de l’apparition desdits événements. Ils sont tombés sur vous comme un météorite et vous les subissez aujourd’hui comme vous subissez la pression atmosphérique, sans que vous puissiez leur opposer quelque résistance que ce soit.

Vous ne les avez ni pensés, ni programmés dans votre agenda de cette année universitaire. Des individus d’ici et d’ailleurs et dont le dessein semble aux antipodes de vos intérêts immédiats et médiats vous font subir ces événements avec une violence insupportable. Ils ont décidé de faire usage de la force, de l’intimidation, pour s’attaquer à la frange la plus fragile, la plus vulnérable, de notre société : la jeunesse. Ayant achevé de construire leur vie, ils ont décidé de vous empêcher de vous construire et de construire la vôtre. Comment ce dessein funeste se présente-t-il, concrètement ?

En entrant à l’Université, vous étiez habités par un projet précis : acquérir les armes de la science et de la technologie qui pourraient vous permettre de vous battre, de vous débrouiller (comme vous aimez le dire) dans la vie.

Vous avez eu raison de choisir ces armes-là parce qu’elles « constituent le fondement de la supériorité de l’homme (…) et de sa domination dans le monde » comme le disait le regretté B. FONLON, alors que l’ignorance représente l’obstacle dirimant qui barre notre chemin vers le progrès. Marcien TOWA, autre père fondateur de notre université, lui répondait presque dans les mêmes termes, en insistant sur la maîtrise de la science et de la technologie dans ce combat que nous menons contre le sous-développement et l’obscurantisme. Vous vous êtes donc engagés sur ce chemin, certains dans les Ecoles professionnelles, d’autres dans les Facultés classiques, appelées à se professionnaliser.

En vous empêchant de réaliser votre projet, de creuser votre sillon, ces gens qui vous veulent du bien, en prétendant se battre pour votre avenir, ruinent au contraire vos espoirs d’épanouissement personnel, tant du point de vue intellectuel que professionnel. Si la situation actuelle venait à perdurer certains d’entre vous, atteints par la limite d’âge, n’auraient plus la possibilité d’entrer dans la Fonction publique ou de présenter les concours d’entrée dans des Ecoles professionnelles. Vous voyez donc le risque que vous courrez et que vous faites courir à vos familles en écoutant le discours démagogique de ces gens-là et en restant cloîtrés dans vos studios.

Vos familles, marquées pour la plupart au fer rouge de la pauvreté, fondent un espoir légitime sur vous, entant qu’agents potentiels de leur émergence, de leur relèvement. Depuis l’école primaire jusqu’à l’université en passant par le secondaire, elles n’ont ménagé aucun effort et n’ont lésiné sur aucun moyen pour assurer le financement de vos études. Pour cette année universitaire par exemple, elles se sont privées de tout ce à quoi elles pouvaient avoir droit pour payer vos droits universitaires, vos chambres dans les mini-cités, vos toges pour ceux qui devaient achever leur formation cette année.

Imaginez donc le préjudice financier, matériel et moral que pourraient subir vos parents si la situation actuelle venait à perdurer. Je ne me trompe pas en disant que certains d’entre eux s’étaient déjà psychologiquement libérés à l’idée que vous sortiriez de l’université cette année, nantis de votre diplôme et que les sacrifices qu’ils se sont imposé prendraient fin. Certains, et ils sont nombreux, commençaient même déjà à fantasmer sur votre premier bulletin de salaire.

Que feraient-ils si l’année universitaire venait à être déclarée blanche ? Ceux qui, de leur eldorado parisien, londonien ou new-yorkais vous inondent de messages à travers les réseaux sociaux pour vous inviter à boycotter les cours alors que leurs propres enfants les poursuivent tranquillement ailleurs ont-ils pensé un seul instant au drame qu’ils feront subir à vos familles ? Et que dire alors de l’Etat, de son projet de société dans lequel vous occupez une place centrale ?

Comme vous le savez, l’Etat fonde d’immenses espoirs sur l’enseignement supérieur en tant que moyen de production des ressources humaines de haut niveau, capables de booster le développement économique, culturel et social. Dans un souci de justice sociale et afin qu’aucune région ne soit lésée, l’Etat a doté la Région du Nord Ouest d’une université dont l’ambition affichée est de devenir l’une des meilleures du Cameroun et de la sous-région.

Cette Institution abrite aujourd’hui des établissements dont l’originalité et la performance font la fierté de notre pays. Je pense ici à l’Institut de Commerce et de Management, à l’Institut de Transport et de Logistique que l’Université de Bamenda a été la première à ouvrir. Je puis vous dire, sans forfanterie, que j’ai eu des échos très favorables concernant ces établissements avant-gardistes dont nous devons assumer fièrement la paternité.

Compte tenu de cette volonté farouche de l’Etat de mettre en place un système d’enseignement supérieur efficace et correspondant aux normes universelles, d’importants moyens financiers sont débloqués chaque année en termes de subvention. L’université de Bamenda, comme toutes les autres universités d’Etat, reçoit chaque année des milliards de francs CFA, en vue de l’accomplissement de ses missions académiques, heuristiques et sociales (appui au développement). C’est grâce à cette intervention massive de l’Etat que des infrastructures académiques (amphithéâtres, blocs pédagogiques, laboratoires…) et sociales (restaurant universitaire, terrains de sport et équipements sportifs…) ont été mises en place.

Le Campus de Bambili affiche aujourd’hui, grâce à cet appui institutionnel, un paysage infrastructurel dont l’esthétique et la fonctionnalité n’ont rien à envier à celles des autres universités.

Cependant, au regard de l’immensité des besoins de l’Université tant en personnels qu’en équipements, les responsables de cette institution, déployant leur imagination créatrice et leur pouvoir d’inventivité, ont fait signe aux élites de la Région du Nord Ouest et d’ailleurs.

Dans un élan patriotique, celles-ci, sous la houlette de Mme le Vice-Chancellor, se sont mobilisées pour la création d’un fonds pouvant venir en appui aux efforts colossaux que fait déjà le président de la République en vue du financement de l’Université de Bamenda qui lui est si chère. Ce fonds, baptisé : « The University of Bamenda Development Fund » (UBaDEF) et dont le Comité directeur rassemble les personnalités les plus éminentes, toutes fils et filles du Cameroun dans sa diversité ethnique et linguistique, est la parfaite illustration de notre volonté commune de bâtir à Bamenda, une institution de référence pouvant faire rayonner notre pays.

Au regard de cette détermination qu’affichent l’Etat et les toutes les âmes de bonne volonté pour donner à l’Université de Bamenda les moyens nécessaires d’accomplir ses missions, il apparaît urgent que vous disiez « non » à ces personnes étrangères et opposées à votre beau projet. Aucun de vous ne doit accepter que les sacrifices consentis par vous-mêmes, par vos familles et par l’Etat tombent à l’eau.

Si le Gouvernement a fait le choix du dialogue comme méthode de résolution de la crise en mettant en place un Comité interministériel ; si le Chef de l’Etat s’est impliqué personnellement dans cette affaire en créant la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme en vue de trouver une solution politique durable au « problème anglophone », il vous faut aussi jouer votre rôle et exprimer clairement et publiquement votre position. La meilleure façon de le faire, à mon avis, est de reprendre le chemin de l’université.

Chers étudiants,

En prenant ma plume ce jour pour vous écrire, je mesure parfaitement le risque que je cours moi-même.

Mais c’est avec joie que je prends ce risque inhérent au métier que j’ai choisi d’exercer : l’enseignement. En embrassant, il y a plus de trente ans, le métier d’enseignant, j’ai pris consciemment, volontairement, la décision de consacrer ma vie au service de la science, de la vérité, de la justice et de la vie. Or, de quelque côté qu’on regarde aujourd’hui, l’on s’aperçoit que ces valeurs sont foulées au pied, jetées aux orties. Des écrivains et autres acteurs sociaux aux talents phénoménaux n’ont cessé, depuis des années, de mettre à nu les mensonges, les injustices, la barbarie qui triomphent dans notre société. Sans avoir à traverser les océans pour découvrir de tels « prophètes », il suffit de feuilleter notre histoire récente pour voir briller quelques figures comme celles de Bernard Fonlon déjà cité, de Marcien Towa, d’Anomah Nguh, d’Engelberg Mveng, de Njoh Mouelle, de Dorothée Njeuma. Ce sont ces hommes et ces femmes, que je ne pourrais pas tous citer ici, qui nous ont donné la force d’être debout et l’envie de marcher, malgré tout…

Je vous invite donc à vous lever et à marcher à la suite de ces pères fondateurs qui ont œuvré pour la mise en place d’une université camerounaise forte, dynamique et crédible. L’heure de l’affirmation de l’autonomie de cette université a sonné. Très souvent, en évoquant cette autonomie que consacrent les textes en vigueur, nous la réduisons à la seule sphère économique et financière, oubliant qu’elle se réfère à d’autres domaines tels la vie académique et les activités heuristiques.

Il nous importe aujourd’hui de crier, « urbi et orbi » que notre université a besoin de poursuivre ses missions en toute autonomie, sans se faire phagocyter par des éléments exogènes et fondamentalement mycologues. Ce cri destiné à attirer l’attention sur la violation actuelle de votre droit à l’éducation ainsi que le prévoient les instruments juridiques internationaux et nationaux (cf. Déclaration universelle des droits de l’homme. Loi fondamentale du Cameroun), ce cri, dis-je, doit se rendre audible. La revendication de ce droit inaliénable doit se faire entendre, quitter le cadre intime des messages SMS et éclater sur la place publique. C’est à cela qu’est destinée cette lettre ouverte que je vous adresse aujourd’hui et par laquelle je vous invite à ne pas vous laisser paralyser, tétaniser par la peur et à regagner votre beau campus où vous attendent déjà vos maîtres…

Bon courage. Que Dieu vous accompagne et vous bénisse tous.

P.S. : Au moment où je termine cette lettre, j’apprends que les responsables syndicaux, acteurs-clés de la situation que nous connaissons, ont décidé de suspendre le mouvement de grève qui a entraîné la paralysie des établissements scolaires et universitaires du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Cette décision sage et cet engagement patriotique ne frappent cependant pas de caducité le contenu de cette correspondance.

Auteur: Pr. Dominique Mvogo