Respect des traditions Bamiléké: le message de Nadia Fotso à Fô Sokoudjou et Nabil Njoya

Christelle Nadia Fotso

Mon, 11 Apr 2022 Source: Nadia Fotso

Sa lettre est d'abord adressée à Nomtema, mais la fille de feu Victor Fotso en profite pour interpeller les rois de plusieurs tributs des grasfields pour qu'enfin, certaines traditions soient respectées. Des traditions, notamment celles que les rois bamilékés par peur du pouvoir n'ont pas respectées. Nadia parle (comme on pouvait s'y attendre) aussi et surtout des obsèques de son père. Ci-dessous, la tribune de Fotso Nadia.

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"Nomtema, votre venue hier à Bruxelles me permet enfin de vous rappeler publiquement que ni vous ni moi n’avons de nouvelles de Fô Nyap Ngouong. Aucun de ceux qui l’ont coupé de Maptué ne nous a annoncé son décès ; nous n’avons pas vu sa dépouille qui a été abandonnée à l’Hôpital Américain de Paris pour être laissée entre les mains d’étrangers pendant 90 jours en pourrissant dans le funérarium de Ménilmontant. Il y a donc à Bandjoun un Patriarche qui serait mort et qui n’est pas enterré. Votre silence et même la parenthèse belge de votre séjour en Europe participent activement au njitapage de Fotso Maptué.

Nomtema, vous ne m’avez pas vue parmi vos sujets qui vous ont accueilli à Bruxelles parce que je reste couchée depuis deux ans sur les feuilles de bananier. J’attends mon enfant et je regarde ce village, ce pays bamiléké sans honneur qui ignore la mère du Fô en oubliant qu’il a fait d’elle la première reine de sa chefferie. J’observe cette décrépitude morale, ces silence sots, sournois ou indifférents lourds de petitesses et d’inculture qui ne font que singer le vôtre.

Je n’étais pas présente pour vous accueillir pour ne pas avoir à me mettre nue devant vous en terre étrange et vous rappeler ce que les vôtres et vous faites tout pour oublier : un deuil qui n’a pas traditionnellement commencé, qui prend donc toute la place et qui devrait pourtant forcer tout le monde à vous demander si vous savez quelles ont été les dernières volontés de Fô Nyap Ngouong.

Nomtema, à travers vous, je m’adresse au doyen des rois Bamiléké Fô Sokoudjou pour lui demander s’il sait que son absence de curiosité et de care face à Maptué rétrécit sa personne et ses combats, au roi Bamougoum,, pour lui rappeler devant son silence et celui de sa cour face au combat de sa petite-fille le prix du sang , et enfin au nouveau Sultan Bamoun, le roi de mon grand-père qui sait ce que veut dire perdre un père à l’Hôpital Américain de Paris et devrait être capable d’imaginer ce qu’il faut de cruauté et de vénalité pour laisser mourir un Patriarche seul en laissant sa dépouille à des étrangers et son honneur à des chiens. Comment est-il pour possible d’occulter cette humiliation qui ne concerne pas qu’une famille ou un village mais tous les Grassfields ? Un Fô Bandjoun ancré, enraciné, qui est violé devant les yeux de tous et son roi se tait, détourne les yeux, va en Europe et fait un détour expéditif à Bruxelles sans voir Maptué ! Ses pairs qui banalisent le njitapage du sacré.

Nomtema, je m’excuse de trop vous en demander. Vous n’êtes ni votre père ni votre frère. Je vois Bandjoun, les Grassfields et le Cameroun avec les yeux de Fotso. Je sais que l’exil de Bopda a signifié aussi celui de l’honneur et du courage. Oui, le Roi Kamga fut un grand roi mais comme le montre sa succession, il n’a pas résolu une question qui pèse sur le royaume, celle de la moralité du pouvoir ou plutôt de son exercice. Les Bandouns confondent la puissance avec la grandeur en pensant que tout s’achète et se vend.

Bien que consciente de cela, je vous avoue que j’ai tout de même été abasourdie que des notables Bandjouns et des rois Bamiléké légitiment la mise sur le tabouret de Fô Nyap Ngouong, un enfant qui n’a même pas pleuré son père et qui, enivré par les sirènes du pouvoir et l’argent, a oublié que ce titre n’est pas héréditaire et qu’on ne met pas les habits du chef sans Ta Souop ou Maptué.

Nomtema, je suis donc une mère qui se bat pour l’honneur de son enfant. Je regarde vos sujets surtout ceux de Bruxelles qui n’ont pas eu le même réflexe de solidarité envers elle lorsque Fotso est mort. Ils ont réfléchi, calculé en grande partie parce que vous n’avez rien dit et que vous ne leur avez jamais rappelé qui était Maptué.

Mais cela n’est plus important. L’heure du mortier est là ; je le dis en pensant à un de mes frères décédés qui s’appelait Antoine et était votre neveu. Les désastres à venir ne sont plus évitables et sont les conséquences de votre refus à tous de rappeler qu’on ne bafoue pas le sacré. Un peu d’honneur et de courage aurait permis de comprendre et de faire comprendre ce qu’on n’accepte pas à Bandjoun et dans les Grassfields.

Lorsqu’on connaît l’histoire, qu’on a des valeurs, on transcende la vulgarité et l’immédiateté des petits plaisirs.

Je vous souhaite, Nomtema, un agréable séjour sur le vieux continent certaine que vous passerez de bons moments chez un de vos notables aux Pays Bas qui est le parfait exemple de ces doubles jeux Bandjouns qui ne sont pas tolérables en toute circonstance. Si je n’étais qu’une vulgaire pleureuse, je pourrais blasphémer en vous demandant si vous êtes un Pebê.

Je suis Maptué, je sais que le Dernier Bamiléké et le combat pour son honneur exigent de la hauteur. C’est pour cette raison que je me contente en imitant André Marie Tala de me demander où et surtout qui vous êtes".

Auteur: Nadia Fotso