Le Cameroun ne disposait pas de 20 Docteurs
Conformément aux clauses de l’accord de tutelle du 13 décembre 1946, les gouvernements britannique et français étaient tenus de former des cadres camerounais en vue de la gestion future de leur pays une fois indépendant. Mais, cela était totalement contraire à l’esprit du colonialisme. Selon celui-ci, la formation intellectuelle des colonisés était à proscrire, car elle allait les pousser à réclamer la fin du colonialisme, l’avènement de l’indépendance. En conséquence, les Britannique et les Français n’ont nullement entrepris de respecter cette clause. Ils ont tout juste formé des agents subalternes de leurs administrations d’occupation, utiles pour l’exploitation économique du pays.
Au moment de l’indépendance, en 1960, en conséquence, le Cameroun ne disposait pas de 20 Docteurs en médecine issus de facultés de médecine, de 20 ingénieurs, de 20 professeurs de lycées, etc. Le manque de cadres était désastreux, tant en « zone anglaise » qu’en « zone française ».
A partir de 1960, le gouvernement français avait totalement changé de politique. Il avait envoyé en masse des fonctionnaires subalternes camerounais en formation en France, pour prendre enfin en mains la gestion du pays. Des greffiers « indigènes », des « adjoints d’administrations », des instituteurs, des brigadiers des douanes, etc., rentraient au Cameroun au bout de deux à trois années de formation à la hâte, « magistrats », « administrateurs civils », « inspecteurs des douanes », « inspecteurs primaires », « inspecteurs du trésor », etc. Leur nombre était si insuffisant que l’administration camerounaise était demeurée entre les mains des fonctionnaires français jusqu’à la fin des années 1970. Ils avaient pris l’appellation « coopérants français », et étaient venus dans le cadre de « l’assistance technique française ».
Les deux secteurs que les Français avaient, en premier, cédé aux Camerounais, avaient été l’enseignement primaire et la santé publique, au niveau subalterne. En 1960, la quasi-totalité des moniteurs d’école étaient Camerounais, et une grande partie des infirmiers. La Police avait également rapidement été « camerounisée », selon l’expression de l’époque, au niveau subalterne. Les gardiens de la paix, les brigadiers de police, étaient déjà très majoritairement camerounais. Certains étaient nommés commissaires de police sans en avoir le grade.
Dans la « zone française », l’enseignement était ainsi structuré :
1/- au niveau inférieur : l’école du village (elle couvrait parfois toute une contrée de 10, 20, 30 km) ; y étaient des enseignants, des moniteurs camerounais ; on y apprenait des rudiments de la langue française et du calcul ;
2/- au niveau supérieur : l’école régionale, elle se situait au chef-lieu de la région (département), les enseignants étaient des moniteurs camerounais, et les directeurs des Français ; les études y étaient sanctionnées par un Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires, C.E.P.E., d’un niveau nettement inférieur à celui de France.
3/- les « écoles urbaines » étaient réservées aux enfants des Blancs, et, comme leur nom l’indique, n’existaient que dans les villes. A Yaoundé, l’actuelle « Ecole du Centre », était jadis « l’école urbaine », réservée aux Blancs. L’enseignement y était différent, du même niveau que celui dispensé aux élèves en France. On y passait le C.E.P.E. français.
En 1927 avait été créée l’« Ecole Primaire Supérieure de Yaoundé ». Son cycle était de quatre ans. Après la troisième année, l’élève pouvait intégrer l’ « Ecole des Aides de Santé » d’Ayos, où le cycle était de trois ans. Ses meilleurs diplômés avaient la possibilité d’être envoyés à l’Ecole de Médecine de Dakar, où, après une formation de quatre années, devenaient des « médecins africains », bien différents des médecins formés dans des facultés de médecine en France pendant sept années au minimum. Les « brevetés » de l’« Ecole Primaire Supérieure » étaient affectés dans les différentes administrations coloniales françaises. Certains étaient même affectés en Centrafrique, au Tchad et au Gabon.
Un ministre français des colonies, du nom d’Albert Sarraut, avait bien établi le rôle de l’enseignement colonial :
« Instruire les indigènes est assurément notre devoir. Mais, ce devoir fondamental s’accorde de surcroit avec nos intérêts économiques, administratifs, militaires et politiques les plus évidents.
L’instruction (…) doit dégager et dresser les élites de collaborateurs qui, comme agents techniques, contremaîtres, surveillants, employés ou commis de direction, suppléeront à l’insuffisance numérique des Européens et satisferont à la demande croissante des entreprises agricoles, industrielles ou commerciales de la colonisation » .
La conséquence de cette politique a été qu’il a fallu attendre 1980, soit vingt années, après l’indépendance, pour que le Cameroun remplace totalement les enseignants français dans l’enseignement secondaire par des enseignants nationaux, et 1990, soit trente années pour l’enseignement supérieur, alors que la France avait occupé le Cameroun pendant 44 années de suite, à savoir depuis 1916. En d’autres termes, il a fallu 75 années, après l’invasion française du territoire, pour que le Cameroun soit enfin maître de son éducation supérieure.
Fait de la plus haute importance à relever : les « assistants techniques » français, à savoir, les fonctionnaires français qui travaillaient au Cameroun après 1960, dans le cadre de la « coopération », médecins, professeurs, militaires, gendarmes, etc., étaient, tout comme pendant la période coloniale, à la charge des finances du Cameroun, mais aux salaires de la France. Un professeur de lycée français, un médecin, etc., coûtaient ainsi valablement dix fois le salaire de leurs homologues camerounais. Ils ont de ce fait constitué une terrible hémorragie financière pour les finances publiques nationales, pendant toute leur présence sur le sol Camerounais, soit de 1960 à 1990 environ.