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Rigobert Song: ce qui n'a pas marché

Rigobert Song, Rigobertsong Rigobert Song Bahanag

Sun, 9 Oct 2016 Source: Parfait N Siki

Roger Etoa, jeune médecin bien connu des réseaux sociaux, a partagé sur Facebook une opinion frappée d’une clairvoyance dont devraient se servir les hommes politiques. Il pense que les prochains troubles sociaux viendront d’une crise sanitaire, en prenant exemple sur les affaires « Koumateke », « Quintuplés de Nkimih », « Grippe aviaire ».

Et aujourd’hui, l’affaire Song Bahanag, qui a souffert d’une gestion médiatique chaotique. Le gouvernement du Cameroun n’a toujours pas pris conscience des différents phénomènes de la société moderne, notamment une soif inextinguible d’informations de l’opinion publique, qui, à la limite du voyeurisme, surfe sur les réseaux sociaux pour s’étancher.

Le ministre de la Santé publique, André Mama Fouda, ne comprend toujours pas que le monde a changé, qui permet aujourd’hui une circulation foudroyante de l’information. Ce champ, laissé en friche par une paresseuse habitude de l’immobilisme, est capable de transformer un battement de papillon à Kousseri en une tornade à Campo. Le réflexe de l’attente du 20h de la Crtv ou de l’article de Cameroon tribune du lendemain doit faire place à une meilleure réactivité face à un nouveau circuit de la nouvelle, où les citoyens s’informent ou s’intoxiquent en se passant des médias traditionnels pourtant garants de sa véracité.

A la vérité, le Minsanté n’est pas le seul à blâmer, même s’il commence à avoir l’habitude des gésines manquées. De l’accident vasculaire cérébral du capitaine emblématique des Lions indomptables à son évacuation sanitaire réussie à la Pitié Salpêtrière en France, en passant par son séjour salvateur au centre des urgences de Yaoundé, une telle chaîne des responsabilités s’est établie au point où il faut bien se demander pourquoi il n’y avait personne pour tordre le cou aux diverses rumeurs.

Quand lundi 3 octobre, la « nouvelle » de la mort de Rigobert Song Bahanag irradie la toile et les quartiers, il se trouve alors un homme, le directeur du CURY, Dr Louis Joss Bitang, pour communiquer, clarifier, rasséréner. Il a tout compris. Mais l’affaire n’était plus simplement sanitaire, elle était devenue un sujet d’intérêt national et international, qui a attiré le regard du monde sportif sur le Cameroun. Entraîneur en poste de l’équipe nationale de football A’, Rigobert Song Bahanag est nommé par le ministre des Sports, qui paie son salaire, et mis à la disposition de la Fecafoot, qui a vocation à le prendre désormais en charge.

Pourtant,  Bidoung Mkpatt et Tombi à Roko Sidiki ont brillé par un assourdissantsilence, à mesure que le milieu sportif et des milliers de supporters exprimaient leur soutien au Lion en proie à la mort. Le compte Twitter de la fédération a réagi le 4 octobre : « Victime d'un malaise, Rigo #Song, l'entraineur des #LionsA' a été évacué ce soir. Prompt rétablissement à toi le Lion » (Fecafoot-Officiel @FecafootOfficie). Ce sera tout. Le ministre de la Communication, qui démarre généralement au quart de tour, a subitement perdu sa voix au moment de faire de la communication gouvernementale autour d’un cas qui a mobilisé la presse sportive internationale.

Peut-être se sont-ils tous tus parce que le chef de l’Etat s’est emparé du dossier. Le rôle de « père de la nation » ne doit être dévolu à personne d’autre. Paul Biya a bien senti le gain politique de son intervention, qui a appelé des remerciements prévisibles et une sollicitude même éphémère de l’opinion publique. Peut-être regrette-t-il de n’avoir pas fait la même chose dans les cas Jean-Paul Akono, qui est réputé avoir été sauvé de la mort par Samuel Eto’o Fils, ou Louis-Paul Mfede, Charles Toube, malheureusement morts dans le dénuement, et bien d’autres héros d’une époque glorieuse mais révolue de notre football. Pourquoi l’un et pas les autres ?

Rigobert Song Bahanag est hors de danger, grâce à une opération réussie dans un hôpital de référence français. Un vrai « hôpital de référence ». Pas les nôtres, construits à plusieurs dizaines de milliards, mais qui ne restent compétents que pour soigner un paludisme compliqué ou une hernie étranglée. C’est une caricature certes, mais le rythme et la régularité depuis plusieurs décennies des évacuations sanitaires à l’étranger doit inquiéter un pays qui dispose minimalement de huit hôpitaux de référence, mais qui ballade ses malades pendant plusieurs semaines pour un scanner ou une dialyse. Il faut construire les hôpitaux certes, mais il faut former et bien rémunérer le personnel traitant.

Des milliers de  médecins camerounais font le bonheur du système de santé de nombreux pays européens, la France et l’Allemagne en particulier. Les médecins spécialistes sont rares dans notre pays, alors que se développent de plus en plus des maladies compliquées jusque-là marginales, favorisées par notre alimentation de plus en plus inappropriée et par la qualité chaque jour plus dégradée de l’air que nous respirons. Accidents vasculaires cérébraux, accidents cardiovasculaires, diabète, insuffisance rénale, cancer, hypertension artérielle, etc., sont devenus courants.

Nous avons le choix de continuer à dépenser près d’un milliard par an pour les évacuations sanitaires à l’étranger ou alors développer une offre de santé adaptée à ces menaces qui n’épargnent aucune personne d’aucune origine, d’aucune classe sociale. Ce que la maladie de Rigobert Song Bahanag a également posé comme problème de société, c’est l’usage que nous entendons faire du champ illimité et sans régulation que nous offrent les réseaux sociaux.

Car ici, des  internautes vampirisent certains droits élémentaires, comme celui à l’intimité, au secret médical. Une photo de Rigobert Song, inconscient et amaigri, étendu sur son lit de malade, a été diffusée sur les réseaux sociaux. La  faute n’est bien sûr ni à celui qui a pris cette photo, ni à Facebook, mais à celui qui a décidé que cette image devait être rendue publique. Ce phénomène de photoreportage est en train de prendre de l’ampleur, qui place sous nos nez cercueils et corps, blessures ouvertes et malades alités.

La société des possibles que nous souhaitons tous portera en elle des oripeaux de nos dérives, nous devons y faire face. La presse doit aussi s’interroger sur ce titre paru à la une du satirique Le Popoli : « Sportifs et accidents cardiovasculaires : une histoire de « ganja » ? L’allusion est que l’AVC de Rigobert Song est peut-être dû à la consommation de substance illicite. Cela pose un débat à la Charlie sur la frontière entre l’humour caustique et l’indécence débridée. Nous sommes pour la liberté et le respect des différences et de la dignité humaine.

Auteur: Parfait N Siki