Ces dix dernières années, la scène politico-judiciaire est animée par une nouvelle génération d’avocats. Jadis hommes des prétoires, ils semblent avoir prêté serment pour s’opposer à l’Etat. Ou si vous voulez, pour prendre la défense de personnes poursuivies par l’Etat ou de causes interdites par la loi.
Maurice Kamto, Akere Muna, Bernard Muna, Félix Agbor Bala, Aya Paul Maurice Kamto, Jean de Dieu Momo, Alice Kom, Charles Tchoungang, Emmanuel Simh, et beaucoup d’autres, font désormais du « Biya Must go » un leitmotiv. Si Maurice Kamto, Akere Muna, ou Jean de Dieu Momo ont décidé de faire tomber le régime par la voie des urnes, Charles Tchoungang, Emmanuel Simh et Alice Kom eux, ont choisi de rester dans les tribunaux.
Pour défendre des causes comme le cas Hamed Abba, Patrick Nganang, ou les homosexuels. Mais ils ne sont pas les seuls avocats partis pour nuire (c’est le moins qu’on puisse dire) le régime. Félix Agbor Bala, Aya Paul, font partie de ceux qui, sur le terrain social, ont fait face au régime.
Le premier, en portant la voix des anglophones comme l’un des leaders du consortium (il fut d’ailleurs incarcéré pendant plus de six mois), et le deuxième, pour des faits en rapport avec le soutien des manifestations dans les deux régions éponymes.
Avocats défenseurs, avocats frondeurs, ou avocats politiciens, comment ces hommes en toge noire ont-ils progressivement abandonné leurs toges pour affronter le régime? Dans ce dossier, La Nouvelle Expression vous permet de comprendre la métamorphose de ces hommes en noir qui, aux yeux du peuple, apparaissent désormais comme des chevaliers en blanc.
Akere Muna
Comme son frère, Akere Muna fait désormais partie des avocats qui ont choisi de déposer leur toge pour affronter Biya sur le terrain politique. Le sixième fils de la fratrie Muna, qu’on ne voyait que dans les tribunaux internationaux a officiellement déclaré sa candidature en octobre 2017 dans une interview accordée au magazine panafricain Jeune Afrique.
« Oui. Je suis candidat, car l’état de mon pays m’incite à vouloir faire partie de la solution. Depuis deux décennies, j’ai beaucoup travaillé sur la gouvernance, l’économie, mais aussi l’État de droit. Me présenter est la seule façon de partager mon expérience au bénéfice des Camerounais », avait-il répondu à JA.
Depuis son annonce, le frère cadet de Bernard Muna semble consacrer ses premiers mois de candidat à la création d’une base politique. En tout cas, ces dernières semaines, il a eu un entretien avec Maurice Kamto, autre avocat devenu président du MRC. Au cours de cette rencontre, les deux candidats ont discuté de l’éventualité d’une alliance pour renverser Biya. Quelques jours plus tard (15 janvier), il était porté à la tête de la « Plateforme pour une nouvelle république ».
Un mouvement dont le bureau a pour président, le maire de Yabassi, Jacques Maboula, pour Secrétaire générale la présidente de l’Alliance des Forces progressistes (Afp) Alice Sadio et pour trésorier Chretien Tabetsing. Cette plateforme est constituée des formations politiques telles que : Le parti socialiste démocratique uni (Psdu), l’Alliance des Forces progressistes (Afp), le parti National des patriotes Camerounais (Pnpc), le Front populaire pour le développement (Fpd). S’y trouve également le Syndicat national des exploitants des mines, carrières et assimilés du Cameroun (Synemicam).
L’ancien bâtonnier est crédité d’un bon capital sympathie au sein d’une partie de la communauté anglophone et francophone. Il jouit également d’une bonne réputation à l’international. Notamment au sein des lobbys anglais et américains. Mais son choix politique un an avant les présidentielles soulève des interrogations. Ses accointances avec le régime en place font peser sur lui l’image d’une taupe du régime.
Une position qu’il assume plutôt volontiers. «Oui, j’ai été avocat de l’État. J’étais le seul anglophone avec une expérience. Les seuls dossiers dont j’ai hérité étaient ceux qui impliquaient des pays anglo-saxons. Aux États-Unis, où j’ai notamment représenté le chef de l’État pour faire valoir son immunité. En Angleterre, où j’ai empêché la vente de l’ambassade du Cameroun. Dans les juridictions francophones, je n’ai représenté l’État que sur le dossier Marc Vivien Foe. En plus, j’ai préfinancé ce dossier. Cela s’est d’ailleurs terminé avec beaucoup de problèmes», cite-t-il.
Maurice Kamto
De tous les avocats qui ont juré de faire partir Biya, Maurice Kamto est certainement le plus expérimenté. L’ancien ministre délégué auprès du ministre de la Justice est le seul qui peut se bomber le torse d’avoir fait trembler Biya sur son terrain de prédilection : les urnes.
En 2013, son parti politique s’est même payé le luxe d’atteindre le score de 40% dans certaines circonscriptions. Devançant ainsi les traditionnels partis politiques comme le Sdf et l’UDC. Mais ces résultats « inattendus » obtenus à ce double scrutin électoral n’ont pas pour autant bousculé le fonctionnement de ce parti. En attendant les élections présidentielles, sort de Coupe du monde du MRC, c’est sur le terrain, auprès des camerounais que le Président tente de se diriger. Campagnes de sensibilisation, rencontres avec les camarades du parti, Maurice Kamto s’est déplacé…beaucoup. Et son capital sympathie auprès des militants en a suivi…aussi.
Un peu plus de cinq ans après avoir créé le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto peut se réjouir d’être sorti la tête haute des crises qui se sont dressées sur son chemin. De la plus éclaboussante, celle née au lendemain des révélations autour de la gestion du dossier Brain Trust, du nom d’un cabinet adjudicataire d’un marché public au Minjustice, dans lequel il a travaillé avant son entrée dans le gouvernement. A la plus étrange entretenue par l’ex-membre du MRC Denis Emilien Atangana (Candidat à Monatélé).
A côté de cette impression d’homme intouchable, il est également considéré par les camerounais comme un homme politique sérieux. Qui ne se prostitue pas dans les médias, et qui fait tout pour capitaliser ses sorties publiques. Une attitude dérangeante, pour un régime friand des scandales et des dérapages politiques des membres de l’opposition. Son décalage de la communauté bamiléké (dont il est originaire mais qu’il ne revendique pas forcément) fait également de lui un candidat respecté…très au-delà de son ethnie.
Ce qui lui permet souvent de faire des appels de balle aux électeurs des quatre coins du pays. Comme ce fut le cas dans son allocution à la nation en 2017. « Le président Paul BIYA a hérité de son prédécesseur Ahmadou AHIDJO, en novembre 1982, d'un pays apaisé, stable et prospère, dans lequel, après des années de luttes nationalistes sanglantes, l’on s'était désormais tourné vers un développement global induisant l’élévation du standard de vie des populations. En trente-cinq ans de pouvoir, monsieur BIYA, le RDPC et son régime ont, par leur gestion irresponsable et inconséquente, déconstruit tous les acquis d'hier, notamment l'unité nationale et le vivre-ensemble. », avait-il écrit.