Au regard de la maltraitance de la démocratie dont ils sont en passe d’être les champions sur le continent, pour leurs seuls intérêts personnels et comme si tout devrait se ramener à leur seule personne, l’on pourrait dire sans risque de se tromper que si l’égoïsme et l’égocentrisme avaient un nom, ils pourraient bien s’appeler Sassou, Biya, Nkurunziza, Kabila, Kagamé, Museveni, et la liste est malheureusement longue. Chacun y allant de son inspiration et de sa méthode pour opérer son « tripatouillage » sans en donner l’air. Et quand la méthode douce est inopérante, l’on n’hésite pas à passer en force. Peu importent les moyens et la manière, pourvu qu’au bout du compte, leurs intérêts soient préservés.
Le jeu du chat et de la souris auquel s’adonnent ces chefs d’Etat avec leur peuple, et qui débouchent bien souvent sur des violences dont le peuple est souvent le seul à payer le plus lourd tribut, n’en finit pas de livrer ses scenarii dont le ridicule de certains le dispute à leur incongruité.
C’est malheureusement l’un de ces scénarii qui est en train de se jouer au Congo, avec l’ouverture du « dialogue-soliloque national » auquel Denis Sassou Nguesso a invité ses compatriotes, malgré le boycott de l’opposition qui n’en voit pas l’opportunité, à un an de la fin du mandat constitutionnel du chef de l’Etat. Et si celle-ci n’y va pas, quelle est la nécessité d’un tel dialogue ? Et avec qui ? En tout cas, ce qui se dessine au Congo, ressemble quelque peu à ce qui s’est passé au Burkina Faso, avec le CCRP (Cadre de concertation et des réformes politiques) de Blaise Compaoré.
Et si le président Sassou a pris un si grand élan pour un très grand saut dans l’inconnu, c’est que les obstacles constitutionnels qui se dressent devant lui sont beaucoup plus nombreux que ceux de Blaise Compaoré à l’époque, et suffisamment prohibitifs pour qu’il ne puisse pas rempiler : d’abord la limite d’âge (fixée à 70 ans alors qu’il en a déjà 72), ensuite la limitation du nombre de mandats à deux (il arrive au bout de son deuxième mandat en 2016) et enfin, l’impossibilité de modifier le texte fondamental.
Mais en bon athlète, Sassou ne veut pas s’avouer vaincu d’avance et compte jouer à fond toutes ses cartes pour parvenir à ses fins ; dût-il, pour cela aller à un référendum si le « monologue » actuel est improductif, ou carrément passer à une autre République pour remettre les choses à plat.
A ce rythme, l’on se demande à quoi servent finalement les Constitutions en Afrique, si c’est pour qu’au bout du compte, des satrapes viennent les balayer d’un simple revers de la main, pour des intérêts purement égoïstes. Il faut que cela change. D’autant plus que si le printemps arabe et les expériences sénégalaise et burkinabè avaient donné espoir aux démocrates du continent, il faut bien se rendre à l’évidence que le cas burundais risque de sonner le début de « l’hivers » démocratique en Afrique, si Nkurunziza réussit son passage en force, au grand bonheur de tous les dictateurs du continent qui ne manqueront pas de s’approprier sa recette et de l’assaisonner à leur goût.
La plupart des chefs d’Etat de la région des Grands Lacs donnent à penser qu’ils regardent chacun dans la calebasse de l’autre
Une certaine sagesse africaine enseigne, du reste, qu’il y a trois façons de faire consommer du piment à un chat. La première est de le lui proposer clairement. S’il refuse, la deuxième consistera à le camoufler dans un mets pour le lui faire consommer. S’il est toujours vigilant, la troisième consistera à lui frotter le postérieur avec le piment écrasé pour l’obliger à se le lécher. Visiblement, Nkurunziza semble à la troisième phase et Sassou à ses ballons d’essai.
Il appartient au peuple congolais de rester vigilant et ferme pour faire échec aux velléités monarchiques ou dynastiques de Sassou, en gardant à l’esprit que personne ne viendra mener le combat à sa place. Surtout pas la communauté internationale, encore moins l’Union africaine (UA) dont la mollesse et l’impuissance criardes devant le drame qui se joue au Burundi, finit de convaincre que ce ne sont pas des instruments qui sont à même de défendre les peuples faibles.
Finalement, la visite de Sassou en France, n’aura rien apporté aux Congolais, en termes de garantie du respect des règles de l’alternance, après près de 30 ans de règne de ce dernier. Et tout porte à croire que le pseudo-dialogue qu’il persiste à organiser, malgré la non- participation de l’opposition, et qu’il qualifie, toute honte bue, d’exercice de « la démocratie par excellence », n’est que de la poudre aux yeux, uniquement destinée à repousser l’alternance aux calendes congolaises, dans le seul but de se maintenir ad vitam aeternam à la tête de l’Etat. Puisqu’en l’absence de l’opposition, tous ceux qui ont accouru applaudiront à tout rompre, sa volonté de briguer un troisième mandat, voire plus. A ce moment, l’opposition pourra s’égosiller à se rompre les cordes vocales, rien n’y fera. En tout cas, avec un tel comportement, l’on se demande si le président Sassou ne se moque pas finalement de François Hollande qui lui a exprimé son « attachement à la préservation et à la consolidation des institutions », et du peuple congolais qui risque de se retrouver fortement divisé à l’issue de ce « dialogue ». Alors qu’il devrait plutôt y chercher les voies de consolidation de la cohésion sociale et de renforcement de la démocratie.
Cela n’est pas sans rappeler le cas burundais où l’obstination du président Nkurunziza a grandement ouvert les portes de l’enfer à son peuple qui est aujourd’hui au bord de la guerre civile. L’attitude de Sassou Nguesso donne à penser que la plupart des chefs d’Etat de la région des Grands Lacs, qui sont principalement la cause des tourments de leur peuple, regardent chacun dans la calebasse de l’autre afin de trouver la meilleure formule qui sied pour la conservation du pouvoir.
Que faut-il alors faire ? En tout cas, l’impuissance et la mollesse de la communauté internationale qui frisent parfois la complicité passive, sont autant de signes d’encouragement pour ces chefs d’Etat, dans leur volonté de s’affranchir de l’emprise coercitive des textes fondamentaux de leur pays.
Et cela, quel que soit le prix à payer. Il ne reste donc plus qu’aux peuples de se mettre debout et de prendre leur destin en main. Pauvre Afrique !