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Shakiro est un miroir qui montre aux Camerounais ce qu’ils sont devenus - Nadia Fotso

Shakiro Agression Camerounweb L'homosexuel Shakiro tabassé par des jeunes

Wed, 11 Aug 2021 Source: Nadia Fotso

Dans une tribune publiée ce mercredi, Nadia Fotso commente la récente agression de l'homosexuel Shakiro par une bande de jeunes il y a quelques jours à Douala.

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La vidéo de Shakiro mise à tabac par une foule à Douala m’a laissé sans voix... je n'ai vu que les premières secondes puis des photos qui confirment une violence et une cruauté incroyables mais guère surprenantes : Shakiro est un miroir qui montre aux Camerounais ce qu’ils sont devenus…lorsqu’ils n’aiment pas les images que renvoie la glace, les plus instables la détruisent pour nier la réalité insoutenable. Refuser d’accepter que le Cameroun n'est plus qu’une phallocratie vénale et fébrile où les faibles, les pauvres, la majorité silencieuse sont matés mais surtout sodomisés…

Le Cameroun est un pays de Njitaps, de misérables aux masques de la virilité qui acceptent la soumission et leur chosification par les forts et les riches. On y préfère les violeurs et les voleurs ; le Camerounais sait trop bien ce que veut dire se faire prendre par derrière pour le plaisir de frères qui sont en haut. Shakiro leur rappelle leur impuissance… Pédé, lesbienne ne sont pas des insultes mais des aveux. On lynche par horreur d’une émasculation évidente qui n’est pas due à la pauvreté mais à une injustice et une inculture criantes…Je la dis queisme quand tu nous tiens !

La vidéo me choque moins que les réactions et le silence coupable et complice des pouvoirs publics... Shakiro est une Camerounaise que son pays et trop de ses concitoyens ne savent voir…. Elle a l’audace d'être elle-même, de vivre sans se cacher et de revendiquer non pas une homosexualité mais sa camerounité. Son existence, sa flamboyance, ses désobéissances et son Chutzpah sont camerounais et rappellent que même si c’est dangereux, vivre c’est choisir et que d’autres choix qu’une africanité fictive et oppressante sont possibles …

Une foule camerounaise a donc violenté un transgenre non pas pour la déshomosexualiser mais la dés-camerouniser…punir sur une fleur le mal-être, l’amoralité banale mais immonde et les contradictions camerounaises. Ni le phallus ni la barbarie ne sont pourtant des instruments de civilisation. On n'éduque et ne construit pas à coups de poing et de queue. Les plaisirs, la luxure, l’individualité sont dangereuses alors que pour paraphraser Jean-François Bayart le Plan Q crée du lien social !

Je répète trop les mots justes de Mona Ozouf sur notre époque qui la qualifie de sentimentale et d'impitoyable...je le fais pour ne pas exotiser le Cameroun, rappeler que Jean-François Bayart, encore lui, a mille fois raison lorsqu'il souligne la banalité des sociétés africaines et qu'il indique qu'en Afrique le religieux, le sacré prennent la place de la politique. Le pouvoir colonial puis postcolonial a ancré la brutalité et la domination… Le Cameroun d'en haut et les brutes se voient tels des gardiens du temple et du zoo : ils tapent et njitapent pour le bien du peuple au nom de dieu.

Genève, manifestations, contre-manifestations, hystérie sur le trivial, tribalisme, culturalisme, moraline, césarisme bancal, fuites en avant permanentes. Le Cameroun a fait du doigt d’honneur à ses propres populations un art…le plus important est de dominer même si cela veut dire s’autodétruire en faisant de sa décadence une fête qui peut se transformer en gang-bang.

Lorsque je vois qu'on se rue sur une transgenre qui a tout juste 24 ans, je vois ce Cameroun réduit à de petits riens sur lequel éjaculent de soi-disant élites qui ne sont que des Coloniaux qui fabriquent de la sauvagerie pour justifier l’autoritarisme sans l'exemplarité, l’africanité sans liberté et sans fraternité, et la religiosité et le sacré sans humanité et sans justice. Il faut attendre dieu pour régler. patienter et supporter l\abominable alors qu’espérant le retour de Jésus sans vivre et agir, c’est attendre Godot. Le Messie est déjà revenu et a quitté Barcelone pour Paris sans songer au Cameroun...

Sans tout embrasser d’elle, je soutiens Shakiro qui est mieux et plus Camerounaise et humaine que beaucoup. Elle a un courage de ouf et un talent incontestable qui lui ont permis de braver un culturalisme oppressif. N\en déplaise à ceux qui la haïssent pour se rassurer sur eux-mêmes, Shakiro fait avec sa singularité.

La virilité qu’il faut pour dire non à plus fort, l’assumer et dépasser la terreur consciente des risques de lynchage non seulement en ligne mais dans la vie réelle. La question n'est pas la sexualité et l’identité mais les valeurs et nos identifications. Le Cameroun n’a pas vocation à devenir un cœur des ténèbres où on tape et njitape à volonté le dominé.

Je fais un pari fou mais sûr : dans 50 ans, si elle parvient à se trouver et à durer, on parlera encore de Shakiro. Le temps, la grâce, le talent, le sacré, les dieux s'ils existent sont de son côté. Espérons qu’elle tiendra bon en refusant de danser avec les porcs. Si le Cameroun ne meurt pas, ce sera parce que cette jeune personne tant combattue et d’autres de ses filles et fils brutalisés, ostracisés et rejetés se seront entêtés à rester camerounais malgré tout, malgré eux pour agir et entrer dans l’histoire.



Il y a des parents et des pays élevés par les enfants qu'ils ont refusés de reconnaître. Être Camerounais, pour le moment, c’est d’abord et surtout être irresponsable eu impuissant ! Les hyènes de Douala qui s’en sont pris à plus faible qu’eux lorsqu’ils ont envie d’une chatte n’ont pas à chercher Shakiro juste à se regarder dans un miroir !

Auteur: Nadia Fotso