Un nouvel ouvrage collectif annoncé pour le 03 Octobre devrait remettre la question au goût du jour.
En 1980, Joseph Tchuindjang Pouemi publie « Monnaie, servitude, liberté : la répression monétaire de l’Afrique », aux Édition Jeune Afrique. Visionnaire, l’économiste anticipe sur la fatale dépendance monétaire du continent arrimé à un franc CFA qui constitue une tare congénitale à l’éclosion économique de l’Afrique. Les disciples de ce penseur révolutionnaire, au rang desquels on peut citer le téméraire Hubert Kamgang, on depuis porté la revendication sur le terrain politique pour faire bouger les lignes.
Les premières dividendes de ce travail de conscientisation accru –perceptible au niveau de la sensibilisation des masses à l’affranchissement monétaire - arrivent au moment même où des dirigeants africains crient leur volonté d’accéder à l’émergence. Une réelle émergence est-elle possible avec le CFA ? Et d’ailleurs, à qui profite réellement cette monnaie ? Cette seconde interrogation est placée en sous-titre d’un nouvel ouvrage intitulé « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire ».Un travail collaboratif qui porte la plume de quatre économistes de renom, spécialistes des questions monétaires et de l’économie africaine : Kako Nubukpo, (ancien ministre togolais), Bruno Tinel,( maître de conférences à l’université Paris1-Panthéon-Sorbonne), le Sénégalais Demba Moussa Dembelé (président d’ARCADE, directeur du Forum africain des alternatives) et le Camerounais Martial Ze Belinga (enseignant en économie et commerce international).
« Cet ouvrage collectif s’inscrit dans la continuité du colloque organisé au sénat le 17 septembre 2015 par la fondation Gabriel Péri, le collectif Afrique du PCF et la fondation Rosa Luxemburg d’Allemagne », indique-t-on. « Il analyse les enjeux économiques et politiques et les alternatives possibles au Franc de la Communauté financière africaine (CFA) créé en 1945 et en cours aux Comores et dans quatorze Etats en Afrique ».
« Une monnaie trop forte, déconnectée des réalités économiques»
Dans leur ouvrage, les auteurs « démontrent que les économies de ces pays souffrent d’une monnaie trop forte, déconnectée des réalités économiques en raison de son arrimage à l’Euro. Il est en outre aujourd’hui évident que le principal objectif de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de sa consoeur, la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) est la défense du taux de change entre le Franc CFA et l’Euro et la limite de l’inflation, au détriment de toute autre considération comme la croissance économique ou la satisfaction des besoins sociaux».
Sur le plan économique, le résultat est évidemment catastrophique :11 des 15 pays membres de la zone CFA sont classés comme « pays moins avancés » par les Nations unies. Les auteurs constatent qu‘il est « (_) quasiment impossible de mener durablement une politique monétaire différente de celle de la zone ancre, c’est-àdire la zone Euro ».
On n’attend pas de ce livre qu’il décide les dirigeants qui perpétuent ce système de dépendance monétaire à lâcher du lest. Mais au moins que la question soit enfin débattue avec le sérieux qu’elle mérite. Comment comprendre que la France soit à ce jour le seul pays au monde à contrôler la monnaie de ses anciennes colonies, cinquante-cinq ans après leurs indépendances ? Pourquoi La BCEAO et la Beac, théoriquement chargées des politiques monétaires dans les deux sous-régions, restent totalement muettes sur le sujet. Pourquoi déposent-elles auprès du Trésor français plus que les 50 % des réserves de change prévues dans les accords ?
A l’évidence, un système monétaire figé est forcément un frein dans un environnement économique essentiellement dynamique. C’est connu de tous mais où est donc la volonté politique pour franchir le cap ?Tchuindjang Pouemi en appelait pas moins qu’à un coup d’Etat pour inverser la donne. Hubert Kamgang est plus modéré et mise sur le combat politique. Au-delà de ce « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire », c’est in fine aux populations africaines de prendre leur destin en main pour renverser l’ordre établi.