Depuis quelques mois, les évêques camerounais multiplient les prises de position sur de nombreux sujets politiques et sociaux : la crise anglophone, la succession de Paul Biya, les prisonniers politiques…
Cette intervention de l’épiscopat dans le champ politique semble irriter le pouvoir qui a plusieurs fois exprimé son exaspération.
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À l’issue de la 43e Assemblée plénière de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, qui s’est tenue à Yaoundé du 8 au 14 avril, l’Église a longuement exhorté les pouvoirs publics à privilégier le dialogue dans la crise anglophone.
Depuis octobre 2016, des activistes anglophones – qui se disent marginalisés au Cameroun par le système francophone – ont profité des revendications des enseignants et des magistrats anglophones pour revendiquer la sécession de l’extrême ouest. En l’absence d’un véritable dialogue, des affrontements guerriers avec l’armée camerounaise ont fait de nombreux morts.
Crise anglophone
Le ministre de l’administration territoriale, issu de la zone anglophone, Paul Atanga Nji, un des principaux soutiens du président Paul Biya l’avait représenté à la messe d’ouverture de la 43e séance plénière des évêques du Cameroun le 11 avril 2018. Quelques jours après la déclaration des évêques, il avait critiqué, à la télévision nationale, ceux qui appellent au dialogue dans la crise anglophone : « Nous avons tous constaté qu’il y avait un agenda caché derrière les revendications qui ont été exprimées?; le voile a été levé. Ce sont des terroristes qui veulent déstabiliser le Cameroun. Je l’ai fait comprendre aux évêques du Cameroun qui appellent à dialoguer avec ces terroristes. »
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Le gouvernement camerounais lui, a toujours refusé d’ouvrir le dialogue avec ceux qu’il appelle « les terroristes sécessionnistes ». Interrogé par La Croix Africa, un responsable de la présidence camerounaise a renchéri : « Il faut absolument que les évêques du Cameroun clarifient leur position. Comment peut-on dialoguer avec des gens qui refusent la République du Cameroun, et s’attaquent aux éléments des forces de défense et de sécurité qu’ils égorgent t?? »
« Les évêques doivent commencer par condamner ceux qui prônent la division du Cameroun et qui prennent les armes contre leur pays », affirme ce responsable. « Sinon, ils seront considérés comme des complices des sécessionnistes et, certainement à l’avenir, traités comme tels. »
L’Église camerounaise, sentinelle??
Pourtant, des voix s’élèvent tant au niveau national qu’international pour demander à l’Église de s’impliquer pour la résolution dans la crise anglophone. Pour Moussa Njoya, politologue de l’Université de Yaoundé II, « l’Église catholique joue son rôle de sentinelle et se met du côté du peuple ».
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« Le pouvoir aime bien quand le discours des évêques appelle à prier pour la longévité des dirigeants du pays mais s’irrite lorsque les évêques appellent au dialogue en cas de conflit social comme la crise anglophone », constate-t-il.
Publié récemment, un rapport de l’International Crisis Group estime qu’« étant donné l’opposition de Yaoundé à toute médiation internationale, l’Église catholique est quasiment le seul acteur en mesure d’intervenir et de promouvoir le dialogue entre le gouvernement et les régions anglophones ».
Tensions perceptibles
Quelques jours avant la publication du communiqué final de l’Assemblée plénière des évêques du Cameroun, samedi 31 mars, l’archevêque de Yaoundé avait provoqué une immense polémique en rendant visite en prison, à des prisonniers politiques. Mgr Jean Mbarga qui avait rencontré des anciens dignitaires du régime du président Paul Biya, incarcérés pour des motifs liés aux détournements des fonds publics et à la corruption, les avait exhortés à « garder courage et foi en Dieu », et à espérer que Dieu pourra les libérer.
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L’archevêque de Yaoundé avait en outre discuté avec les activistes anglophones incarcérés à la prison de Yaoundé. Dans la même lancée, son diocèse a entrepris d’accueillir des ressortissants anglophones qui fuient les violences dans les régions anglophones.
Le pouvoir semble désapprouver ces prises initiatives. Mgr Jean Mbarga a même été accusé par certains médias proches du pouvoir, de soutenir personnes ayant détourné des fonds publics mais aussi de ne pas condamner ouvertement les activistes anglophones.
L’assassinat de Mgr Bala, la succession de Paul Biya
Ces prises de position d’évêques camerounais ne sont pas les premières.
En 1990, la conférence épiscopale camerounaise avait publié une vigoureuse lettre pastorale sur la crise économique qui sévissait alors dans laquelle elle dénonçait « les structures du péché ». En 2000, une autre lettre pastorale de la conférence des évêques sur la corruption avait été rendue publique.
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Plus récemment, en juin 2017, les évêques camerounais se sont ouvertement opposés à la version officiellement sur l’assassinat de Mgr Jean-Benoît Bala, évêque de Bafia (centre) dont le corps sans vie avait été repêché, le 2 juin dans les eaux du fleuve Sanaga. Alors que l’enquête officielle concluait que l’évêque s’était noyé, les évêques camerounais ont toujours soutenu qu’il a été assassiné.
En décembre 2017, Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala et président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (CENC) avait provoqué l’indignation de l’entourage de Paul Biya en s’opposant fermement à une éventuelle candidature du président aux élections d’octobre 2018. Dans une interview accordée à un journal camerounais le 5 décembre, il avait affirmé?: « Paul Biya aime ce pays, il devrait plutôt se retirer que de prêter une oreille attentive à ceux qui lui demandent de se représenter ».
Le président Paul Biya, au pouvoir depuis 35 ans, est de nouveau candidat pour la présidentielle d’octobre 2018.