'Sun plus TV a un sérieux problème de management, je maintiens'

Arol Ketchi, le journaliste culturel

Fri, 8 Oct 2021 Source: Arol Ketchi

La réponse 'musclée' de Yolande Bodiong à Arol Ketchi ne convaincs guère ce dernier. De surcroît, il déclare qu'il maintient son analyse faite sur la télé Sun plus TV tout en saluant la peine qu'elle s'est donnée de lui répondre.



Mme Yolande Bodiong , je vous remercie d’avoir pris la peine de me répondre. D’emblée, je souhaiterais préciser qu’il ne s’agit pas d’une affaire personnelle car nous ne nous connaissons pas et n’avons jamais traité quelque chose ensemble ; il ne s’agit pas non plus d’une cabale contre votre média car mon souci a toujours été de voir se développer des médias camerounais innovants, professionnels et puissants ; il ne s’agit pas aussi comme vous semblez insinuer dans vos propos d’un recueil des frustrations de vos ex-employés.

Il s’agit juste d’une analyse froide d’un Camerounais qui apprécie votre courage, votre persévérance dans un environnement difficile et qui souhaiterait que votre projet soit une réussite à la hauteur de votre potentiel et de la demande du public. En effet, dans un paysage médiatique camerounais dominé par le tout politique où aucune place n’est accordée au divertissement ; Sun plus TV a parfaitement et entièrement sa place.

Je suis un observateur averti de la société camerounaise et je m’intéresse aux médias. Je ne fais qu’exprimer mon point de vue et vous n’avez pas de comptes à me rendre.

Une fois le décor planté, je vais répondre aux différents points que vous avez énumérés.

1. Une chaîne de télévision qui "n'a que 02 ans" spécialisée dans le divertissement

Dans mon texte, j’ai d’emblée salué votre audace dans un environnement particulièrement difficile.

Cela dit, on gagne de l’argent avec un média parce qu’on a réussi à avoir une audience qui attire les annonceures. Et ce n’est pas encore le cas avec Sun + TV. Votre modèle économique demeure flou. Et même si vous convoquez Maraboo producton, vous aurez vraiment du mal à nous expliquer avec des détails chiffrés comment est-ce que Marabboo vous aide à faire tourner Sun + TV durant sa phase de lancement. Je préfère nous éviter ce spectacle.

Lorsque vous évoquez votre présence sur facebook, youtube, Instagram etc. Elle peut être nettement améliorée. Lorsqu’on fait un tour sur votre chaine youtube par exemple, les vidéos sont mises en ligne à la fréquence d’une vidéo par semaine. Aussi votre application et votre site internet ne fonctionnent pas. Vous allez parler d’une refonte mais techniquement pour la refonte d’un site internet ou d’une application, on n’a pas besoin de stopper son fonctionnement. On développe juste une version en preprod qui sera par la suite mise en prod.

2. Il transparaît dans votre papier à l'œil nu que certains anciens de la maison vous ont parlé de leur expérience chez nous.

Parmi les anciens de votre maison, certains se sont exprimés ouvertement sur les réseaux sociaux pour donner les raisons de leur départ. Et il est toujours intéressant d’écouter l’expérience des autres (heureuses ou malheureuses).

Le turnover est très gênant pour les téléspectateurs. Ce sont les individus qui incarnent les émissions phares. Au Cameroun « Télépodium » c’était Elvis Kemayo lorsqu’il a été remplacé l’émission n’a plus marché. « Solidarité » c’était Jean Materne Ndi. Une chaîne qui est en phase de lancement devrait gagner à asseoir une certaine stabilité pour fidéliser les téléspectateurs. En changeant les têtes tout le temps, le téléspectateur est perdu et il faut à chaque fois recommencer à zéro. Et que deviennent les concepts ou les émissions créées par ces jeunes, une fois qu’ils sont partis ?

C’est tout à votre honneur d’avoir misé sur la volonté de former des jeunes sans aucune expérience. Mais vous conviendrez avec moi que la télévision c’est d’abord un métier, une vocation et il sera très difficile malgré toute la bonne volonté de faire d’un maçon un excellent animateur.

Les écoles de journalistes existent aussi pour former les hommes et femmes de médias ; à chacun son rôle et sa place dans la société. Cela pose donc un problème de choix stratégique dans le management. Ça sert à quoi de dépenser pour former les gens si on ne peut pas les garder après ?

Dans mon propos, je n’ai pas dit que vous ne payez pas vos salariés. Et même dans les médias dans lesquels les salariés ne sont pas payés ou le sont épisodiquement, on n’a pas le taux de Turnonver qu’on retrouve chez vous. En 2 ans d’existence, tous vos animateurs historiques sont partis ou ont été virés. C’est inquiétant quand même. Je veux bien que vous les qualifiez d’incompétents ou malhonnêtes. Mais un chef d’entreprise qui ne recrute que des ingrats, malhonnêtes et incompétents a incontestablement un sérieux problème de management et de recrutement.

3. Parlant du cadre de travail

Je vous félicite et vous encourage si vous faites le nécessaire pour que vos salariés évoluent dans des conditions de travail idoines. Bravo ! les autres médias gagneraient à faire pareil. Cependant, le manager doit comprendre qu’au-delà des conditions de travail, il y a la Qualité de Vie au Travail, le bien-être au travail. Et cela prend en compte : l’ambiance au travail, le stress, l’engagement, l’autonomie, la charge de travail, le soutien, la satisfaction, les relations avec les collègues et la hiérarchie etc.

Voilà autant de critères que la manager doit prendre en compte pour limiter les turnovers et avoir une rentabilité efficiente. On aura beau être dans des conditions de travail idoines, si l’ambiance est exécrable, stressante ; le salarié ne pourra pas donner le meilleur de lui-même. Il faut à ce moment faire appel au management bienveillant. Je suis néanmoins d’accord avec vous que le salaire d’un employé est produit par la qualité de son travail.

4. Quand vous parlez, de "se frayer un chemin" de quel chemin parlez-vous ? Connaissez-vous nos ambitions ? Nos objectifs sur le moyen et long terme ?

Si nous ne connaissons pas vos objectifs c’est parce qu’ils n’ont jamais été clairement exprimés et parce qu’ils sont flous comme votre modèle économique. Ailleurs les entreprises ont une feuille de route accessible à tous qui fixe les objectifs et les ambitions dans l’espace et le temps.

Et lorsque dans votre argumentaire, vous utilisez le nombre de vos abonnés Facebook comme chiffres clés ; cela me fait doucement sourire parce qu’en médias, cela ne constitue pas un indicateur objectivement vérifiable (iov). En médias, on parle de part d’audience sur des cibles précises. Et sur vos 75 milles abonnés, la moyenne des vues en direct lors de la diffusion de vos émissions est approximativement de 43 vues soit 0%.

Je vous épargne les chiffres des vues sur youtube. Pour mieux se situer, on pourra à titre comparatif prendre les chiffres des nouveaux médias télé comme : Bnews, Baladon Tv, Dash Media etc. La phase de lancement, d’incubation n’est pas éternelle ; à un certain moment, il sera question de survie. Exister ou mettre la clé sous le paillasson.

Qu’à cela ne tienne, vous avez sûrement des objectifs et je les respecte.

Une fois de plus je salue votre audace, je suis admiratif de votre passion. Je trouve cependant qu'avec un meilleur management, de meilleur choix stratégique, un entourage véridique, un modèle économique et des ambitions claires vous seriez à même d’occuper de manière efficiente la place vacante consacrée au divertissement dans le paysage médiatique camerounais.

Mon intention n’est pas de plaire mais de vous bousculer pour vous améliorer parce que vous le méritez bien. En ce qui concerne, les larbins qui préfèrent vous cirer les pompes au lieu de vous dire la vérité impulsive, je leur dirai que lorsqu’on aime quelqu’un on lui dit la vérité. Ce sont les mêmes hypocrites qui se réjouissent souvent de la chute de ceux qu'ils ont pourtant sucé par le passé.

C’est avec plaisir que j’aurais accepté vous rencontrer mais malheureusement, je suis pour le moment à l’extérieur du territoire camerounais.

Auteur: Arol Ketchi