Terrorisme : Le double jeu de la France et des USA

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Fri, 31 Jul 2015 Source: Massogui Mayi Lionnel

Au moment où le Cameroun et le Nigeria, sous la houlette de leurs présidents respectifs, sont réunis à Yaoundé pour coordonner la lutte contre la terreur, il est grand temps d’ignorer royalement le langage diplomatique pour dégager la véritable problématique : pourquoi la France et surtout les Usa soutiennent sans soutenir les efforts des deux pays ?

Pour mieux en appréhender les attentats kamikazes qui menacent gravement la sécurité au Cameroun aujourd’hui, il convient de commencer par démasquer ce qui désormais devrait être considéré comme l’ex-Boko Haram, puisque les premiers objectifs qui étaient ceux d’une secte islamique ne tiennent plus la route au regard de ce que nous vivons.

Qui arme Boko Haram ? C’est la question fondamentale à laquelle les deux chefs d’Etat doivent absolument trouver une réponse pour savoir exactement à qui nous avons à faire, afin de prendre les dispositions à la hauteur de cet ennemi commun, et surtout attaquer le mal par la racine. Sur ce sujet, on a entendu « des vertes et des pas mûres », mais qui, en matière de guerre asymétrique ne devraient pas être rejetées d’un revers de la main, et rangées dans le musée des blagues de mauvais goût.

Dans ce registre, on se souvient que lors de son passage à Yaoundé en mars dernier, le ministre de la Communication du Tchad, Hassan Sylla Bakari, s’était refusé de faire dans la langue de bois, en déclarant aux journalistes que 40% des armes et matériels de guerre récupérés (chars, mitrailleuses, munitions et autres blindés) par les soldats tchadiens sur les membres de la secte islamiste Boko Haram, étaient de fabrication française.

Pour les besoins de la diplomatie, un démenti avait aussitôt été formulé par l’ambassade de France au Cameroun, qui rassurait dans son communiqué que «Selon plusieurs rapports, une grande partie des armes de Boko Haram a été prélevée à l’armée nigériane, une autre provient de trafics illégaux dans la région ».

Les dénégations françaises

Surtout que la France exerce un des contrôles les plus stricts au monde sur ses ventes d’armes : «La lutte contre les trafics d’armes dans la bande sahélo-saharienne fait partie des objectifs de l’opération Barkhane, menée aux côtés des forces tchadiennes, nigériennes, maliennes, mauritaniennes et burkinabé ».

Au bénéfice du doute, l’opinion pouvait alors supposer que des immatriculations peuvent avoir été truquées. Sauf que pendant la même période, l’autre insolite du côté du Nigeria laissait entendre qu’un avion-cargo russe transportant du matériel militaire français de Centrafrique au Tchad avait été retenu dans le nord du Nigeria, notamment dans l’Etat de Borno (la plus grande ville du nord du Nigeria), pour des vérifications sur fond d’insurrection du groupe islamiste Boko Haram. Ce qui a déclenché de nombreuses spéculations dans les médias locaux.

Dans un communiqué, l’ambassadeur de France au Nigeria, Jacques Champagne de Labriolle, avait alors précisé que « contrairement à certaines informations de presse, il n’y avait absolument aucune arme ou munition à bord », que « l’Antonov 124, l’un des plus gros cargos aériens au monde, transportait deux hélicoptères légers Gazelle ainsi que des pièces détachées et du matériel de maintenance ». A l’en croire, c’est « la nationalité du transporteur ainsi que la nature de sa cargaison qui ont rendu les autorités nigérianes suspicieuses ».

Il s’agissait donc, avait-on appris, d’un vol qui « s’inscrivait dans un transfert de matériel de Centrafrique, où la France allège son dispositif Sangaris, vers le Tchad, où elle renforce son opération anti-islamiste Barkhane. « Les autorités fédérales et aéroportuaires nigérianes, satisfaites par les documents de vol et son caractère légal, ont annoncé que l’avion sera autorisé à poursuivre son vol vers N’Djamena ».

Autres faits troublants ?

Muhammadu Buhari est revenu très furieux de sa visite de quatre jours aux Etats-Unis, la semaine dernière, pour une raison simple. Pourtant soutenu par les Usa, le Nigeria n’a pas pu curieusement acheter des armes pour combattre Boko Haram, auprès de son supposé allié, sous le prétexte qu’une loi américaine interdit de livrer des armes à un pays accusé de bafouer les droits de l’homme, notamment ceux des prisonniers. Ceci, parce que depuis quelques mois, ce pays est accusé par des Ong de massacrer des présumés membres de Boko Haram.

Il s’agit là d’une situation ubuesque qui pousse à se demander si les Usa soutiennent réellement les pays africains dans leur lutte contre le terrorisme. Moralité : comment peut-on demander de l’aide à ses ennemis, qui se cachent derrière un mensonge perpétuel ? En tout cas, pour Buhari, comme pour beaucoup d’observateurs, ce refus de lui vendre les armes ne peuvent que servir Boko Haram. Du coup, les conclusions coulent de sources.

La véritable contradiction vient du fait que pendant que cet argument est avancé pour disqualifier le Nigeria, on se souvient que bien avant, le 20 juillet 2015, Paul Biya recevait en entretien au Palais de l’Unité, le général de brigade américain Donald Bolduc, commandant spécial des opérations américaines en Afrique, en présence de son excellence monsieur Michael Stephen Hoza, ambassadeur des États-Unis d’Amérique au Cameroun. Au centre de l’entretien, de nouveaux appuis en formation et en matériels sophistiqués des Etats-Unis pour la guerre contre la secte terroriste Boko Haram.

Face à la presse, à la sortie de cet entretien, l’officier a indiqué avoir annoncé à son interlocuteur une offre américaine d’équipements militaires, mais aussi de formation pour leur utilisation, face à un mouvement terroriste qui ne cesse de multiplier ses assauts meurtriers dans l’Extrême-Nord camerounais. Ce qui mérite des questionnements quand on sait que ce qui est reproché à Buhari, qui d’ailleurs n’a que quelques jours à la tête de son pays, n’est pas très éloigné de ce qu’on pourrait reprocher à ses pays voisins.

D’où vient-il que les Usa s’impliquent dans la défense du Cameroun, au moment où Obama reproche à Biya sa longévité au pourvoir, comme il l’a encore fait, il y a quelques heures depuis la tribune de l’union africaine ? Pourquoi font-ils allusion aux nouvelles techniques de combat et comment savent-ils que Boko Haram a des armes performantes?

Une remise en question de l’ordre établi ?

Tout se passe comme si selon un nouvel ordre mondial, il est désormais question d’inventer un nouvel pyramide matérialisé par le terrorisme islamique, selon une histoire de nord-sud (Mali, Nigeria, Côte-d’Ivoire, Soudan, Centrafrique…) avec des acteurs bien équipés et bien formés, pour déstabiliser les peuples et maintenir l’hégémonie.

D’une manière générale, il est établi que les visées des actions terroristes ont très souvent pour motivation la mise en cause des pouvoirs et régimes politiques en place. En réalité, les acteurs sur le terrain ne sont que des instruments utilisés pour atteindre cet objectif. Il est tout simplement question pour eux d’installer et d’entretenir un chaos permanent afin de satisfaire ce besoin. Il s’agit d’un agenda politique bien huilé. Refuser de le comprendre serait faire pure politique de l’autruche.

L’extrême vigilance est d’autant plus conseillée que des rumeurs de plus en plus folles fertilisent les conversations. Il y a encore quelques jours, certaines d’entre elles, relayées par une chaîne de télévision panafricaine, faisaient état de ce qu’un hélicoptère a été intercepté au Nord-Cameroun déposant des armes, des munitions et des dollars. Les populations sont très vite arrivées et se sont servies sur les dollars, ensuite ils ont fui leur village car ayant peur des représailles de Boko Haram qui devaient arriver prendre leur butin déposé par cet hélicoptère.

Bien que ces informations soient douteuses, on peut au moins s’interroger sur un événement qui a été officialisé, au moment où les attentats suicides se signalent tous azimuts : que sont devenues les dynamites qui avaient été emportées lors de l’enlèvement des otages chinois à Waza ? Avaient-elles été remises aux autorités en même temps que les otages ?

Auteur: Massogui Mayi Lionnel