À la manière des acteurs sociaux et politiques dont le jugement (erroné ou volontairement biaisé) s’est révélé catastrophique de vision, les derniers événements de la crise dans les Régions du Sud-ouest et du Nord-ouest, donnent à s’inquiéter sur l’attitude des évêques de la BAPEC.
Pendant longtemps, on a pu donner raison aux évêques de la Bamenda Province Episcopal Conference (BAPEC), dans leur attitude face aux revendications corporatives et même sociales qui ont secouées la zone que couvre cette province ecclésiastique ; Un soutien par ailleurs unanime.
Il n’aurait a priori et de toute évidence pas pu en être autrement. En tant que c’est le rôle de l’Église de soutenir le combat des faibles, des malaisés et des désabusés.
Dans la trame de la discrimination, des vices institutionnels et des carences administratives qui a pu, à un moment, porter ces revendications, le rôle de l’Église était effectivement de dénoncer l’injustice.
Mais les évêques ont aussi le devoir et la mission de rappeler, en toute circonstance, la doctrine sociale de l’Église. Ils ont le devoir en toute chose de proclamer la vérité. Pas en tant que format ayant transformé la perception commune d’une réalité. Mais la source inaliénable des faits qui n’est pas destinée à plaire, mais à instruire pour construire.
C’est elle qui permet d’encadrer leur position et leur prédication. De telle sorte que ce qu’ils soutiennent ne donne pas lieu à des dérives. À tout le moins, que l’Église ne soit pas partie prenante de cette hypothèse, dans ses éventualités multiples.
C’est dans ce sens que le jugement de solidarité, à l’endroit du Corps unique et commun qu’est l’Église du Cameroun, la vérité histoire et anthropologique auraient dû amener les évêques de la BAPEC à se mettre à distance canonique, pour emprunter à l’expression, de toute véléité sociopolitique qui soit de nature exalter la différence et exacerber les clivages.
Mais cette aspiration, que les évêques n’ont jamais niée (sans doute nosseigneurs ont-ils de bonne raison pour cela), a biaisé voir complètement plombé le rôle de l’Église dans cette crise. Pire, elle l’a placé au cœur du populisme et ses dérives extrémistes et terroristes.
Démesure …
Le 04 octobre dernier, la BAPEC rendait public une Déclaration sur les évènements des 22 octobre et 1er novembre 2017 dans les Régions du Sud-ouest et du Nord-ouest. Une de plus, après les mémorandums de décembre 2016 et janvier 2017.
Ce texte commençait par l’extrait : « Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! » (Luc 19 : 42) Une ironie qui s’adressait au gouvernement et à l’État du Cameroun.
Peut-être nosseigneurs ne l’ont-ils pas voulu aussi cynique qu’elle n’y paraît aujourd’hui. Maintenant que les éléments des forces de sécurité sont assassinés les uns après les autres, dans le strict exercice de leurs fonctions régaliennes.
Dans ce long réquisitoire, la BAPEC se faisait « RAMA », celle dont « la voix s’est fait entendre, une plainte amère ». RACHEL « qui pleure ses enfants ; et elle ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus. » (Mt 2 : 18 ; cf. Jer 31 : 15)
Ce qui était une grave erreur pour une grande majorité de l’opinion publique nationale, semblait aussi très gênant pour la Conférence Épiscopale Nationale du Cameroun. La CENC qui a, depuis le début de cette crise, tout le mal du monde à ne pas laisser entrevoir une fissure au sein de l’épiscopat camerounais.
Ses différentes sorties sont plus mesurées, empruntes d’équité et sans doute de plus de vérité, ce qui est dans la nature et la vocation de l’Église. Qu’il s’agisse de Monseigneur Samuel KLEDA, le président en exercice de la CENC, de Monseigneur Sosthene BAYEMI, président de la commission épiscopale des médias, de Monseigneur Abraham KOME, président de la commission épiscopale Justice et Paix, elles ont montré une réelle antinomie d’avec les positions de la BAPEC.
Il serait plus simple de croire que les deux parties se sont bien partagé les rôles dans l’espoir de faire infléchir un régime que l’Église n’a eu de cesse de condamner comme inique, infâme et dont elle est sans doute une des plus grosses victimes.
Mais l’écart de qualité et de ton est trop grand, qui dénote d’un réel malaise. C’est aussi le sentiment de tous les chrétiens, citoyens et observateurs qui ne se laissent pas porter par des aigreurs communautaristes et systémiques.
Est-ce vraiment là « RAMA » ?
Sur le modèle de ceux qui ont choisi le fait accompli, ou d’ailleurs non accompli du tout, la différence et l’aigreur comme lieu d’exaltation de la souffrance, des carences et des défauts de gouvernance auxquels le Cameroun fait face, cette RAMA là a fermé les yeux et les oreilles.
Elle s’est bouché le nez. L’inconsolable a choisi, au sein de la cité uniquement que Dieu a conférée à son peuple, de distinguer « ses enfants » de tous les autres qui ne sont pourtant pas mieux ménagés dans « des ailleurs » proches et lointains du lieu de ses larmes. Ceux-là ne comptent visiblement pas.
Elle a oublié de dire à « ses enfants » qu’il n’était pas bon de brûler des écoles, des universités, les emblèmes nationaux, les édifices publics, les biens privés. Elle a oublié de leur dire qu’on ne peut pas répondre à l’iniquité par l’iniquité ; à la discrimination par la discrimination.
Elle a oublié de leur dire qu’ils ont des références culturelles endogènes propres aux grassfield et aux sawa, antérieurement à l’arrivée des anglais. Que cette singularité est encore plus vivante dans leur quotidien que leur identité britannique.
Elle n’a jamais condamné les violences faites aux individus et leurs biens du fait de leur appartenance tribale ; les appels à tuer des compatriotes juste parce-qu’ils étaient d’expression française.
Elle n’a jamais condamné les violences qui étaient faites à des enfants qui voulaient reprendre le chemin de l’école. Ceux-là ne sont sans doute pas « ses enfants ».
Cette RAMA là ne s’est jamais élevée contre les menaces, les intimidations qui maintiennent une partie de la population cloîtrée chez-elle par peur de représailles. Elle n’a jamais condamné l’attaque d’un établissement scolaire.
Pas même l’incendie de ceux qui lui étaient propres. Elle n’a jamais condamné la pose de bombes artisanales ni apporté son soutien à ceux qui en ont été victimes.
Elle s’est tellement arcboutée sur le désir de « ses enfants » qu’elle a oublié de leur dire qu’il ne fallait pas sortir le 01 octobre 2017 proclamer une indépendance au sein d’une Nation qui se veut unie et unique.
Et, à défaut, de les avertir qu’ils devront alors faire face aux forces de l’ordre et de sécurité, avec les conséquences dramatiques imaginables.
Elle a choisi pour « enfants » ceux qui musellent, qui terrorisent, qui brûlent, qui cassent, qui interdisent l’école, qui pillent : et seulement eux.
Alors, quand elle pleure, RAMA en oublie sa responsabilité parentale. Celle qui la rend aussi responsable et coupable de la mort de ses enfants que leurs présumés meurtriers ; pire coactionnaire des malheurs de toutes leurs victimes.
La vraie RACHEL
Pour être RACHEL, peut-être a-t-elle le sentiment, l’aigreur et la frustration, que ses noces ont été offertes à sa sœur. Peut-être veut-elle retrouver son bien aimé, quitte à ce qu’il en paie un lourd tribut.
Peut-être l’enfantement de cette nouvelle génération de citoyens patriotes et décomplexés de tout héritage colonial lui semble-t-il pénible. Peut-être ne se sent-elle pas la force de vivre au-delà de leur nécessaire et vital avènement.
Peut-être ne se souvient-elle pas que l’aîné de ses entrailles est destiné au salut de l’entièreté de la maison de Jacob ; que telle est sa destinée.
Peut-être ne comprend-elle pas que sa progéniture est troisième de la lignée élue, après Abraham et Isaac. Mais la vraie RACHEL ne peut rien ignorer de tout cela. Si elle a jamais pu l’ignorer, alors il faut le lui rappeler.
L’on peut comprendre la difficulté de se situer avec justesse entre la fureur légitime, mais sans doute dérivante d’un peuple qui se sent délaissé et le besoin de justice vis-à-vis d’une Nation dont le seul défaut est d’être mal gouvernée.
Mais il n’y a pas là, à notre sens, Char des dieux à escalader. Bien au contraire, c’est dans ce type de circonstances, prophétiques, que l’Église du Christ doit pouvoir demeurer ce phare qui inspire les peuples, les nations et les consciences.