Trafic d’or au Cameroun : les méchants font enfermer les bons

Les méchants font enfermer les bons

Mon, 4 Oct 2021 Source: Frégist Bertrand TCHOUTA

L’affaire de saisie d’une cargaison illégale de 60kg d’or refait la une de la presse camerounaise cette semaine avec l’arrestations des deux officiers des douanes qui avaient procédé aux opérations. Malgré les explications du ministre des finances Paul Motaze, ces derniers sont placés en détentions. Le journaliste Frégist Bertrand Tchouta revient en détail sur cette rocambolesque affaire dans cette tribune.

Incarcérés, pour avoir fait leur travail. C’est peut-être la meilleure conclusion à faire de ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire de l’or de l’aéroport de Douala ». Une affaire qui a conduit deux éléments de la Direction Générale sous les verrous, après la saisie d’une cargaison de 60 kg d’or à l’aéroport international de Douala.

Les faits

03 août 2019. Des agents de la Subdivision Commerciale de l’Aéroport de Douala saisissent une marchandise d’environ 60 kilogrammes assimilable à de l’or, alors que leurs propriétaires (inconnus), tentaient de les exporter en contrebande. Selon l’administration dirigée par FONGOD Edwin NUVAGA, c’est en exploitant des informations obtenues de sources dignes de foi, que ces douaniers en pris en flagrant délit « un employé de Ethiopian Airlines, le nommé N. M. Dickson, s’activant pour faire embarquer cette cargaison minutieusement cachée dans les couvertures destinées aux passagers dans l’aéronef ».

Conformément à la loi (Code des Douanes CEMAC), notamment les articles 298, 299, 386, 387, 394, 403, 406 et suivants, un procès-verbal a été aussitôt dressé et signé par les verbalisateurs et par Ethiopian Airlines. Les poursuites sont engagées contre ladite Compagnie. Pour sauver sa peau, la compagnie de transport fait intervenir l’Ambassadeur d’Ethiopie dans le dossier. Ce dernier sera d’ailleurs reçu en audience par le Ministre des Finances à cet effet.

Mais cette rencontre ne met pas un terme à la procédure. Puisqu’en marge de cela, le Ministre des Finances saisit le Ministère de la Justice pour solliciter la confiscation de cette cargaison afin de renforcer les réserves d’or du Cameroun. Cette requête n’a pas eu de suite à date.

Les propriétaires…

Qui sont ces gens qui ont tenté de faire sortir de l’or du Cameroun dans un avion d’Ethiopian Airlines ? Les noms et les nationalités n’ont pas été révélés. On sait cependant que deux personnes disposant des talons de bagages du vol à bord duquel allait être embarquée la cargaison saisie, ont reconnu l’infraction et sollicité la transaction prévue aux articles 327 et 328 du Code des Douanes.

A combien était évaluée la cargaison ? Là aussi, la Direction Générale n’a pas donné de précisions. Mais, précise l’administration, « en réaction à cette saisine, le Ministre en charge des Mines a créé par Décision N° 00014/D/MINMIDT/CAB du 12 janvier 2021, une Commission interministérielle pour expertiser et évaluer cette cargaison. L’intégralité de l’or saisi a été aussitôt transmise à cette Commission qui l’a évalué, en présence de leurs propriétaires qui ont reconnu l’intégralité de leur or ».

Notons que cette décision du MINMIDT a été prise après les sollicitations de la Direction Générale des Douanes. D’abord parce que celle-ci ne dispose pas de personnel douanier spécialisé dans l’évaluation de l’or. Ensuite parce que selon ses usages, la DGD sollicite régulièrement les départements sectoriels détenteurs de personnel spécialisé lorsqu’elle est en présence d’une marchandise prohibée ou qui requiert une expertise professionnelle particulière.

Au terme de l’évaluation du MINMIDT, les propriétaires de la cargaison ont réitéré leur volonté de transiger. A ce titre, « ils ont acquitté au Trésor public un montant total de 901 810 277 F CFA au titre des droits, impôts, taxes et pénalités exigibles aux plans douanier, fiscal et minier. A la suite de ces paiements, l’intégralité de la cargaison a été restituée par la Commission à leurs propriétaires suivant procès-verbal », ajoute la DGD.

Mauvais procès

Pourquoi les deux douaniers sont-ils toujours derrière les verrous ? Aucune raison ne justifie cela. Parallèlement à la procédure contentieuse (interne à la DGD), le Chef de Secteur des Douanes du Littoral II et ses collaborateurs de la Subdivision susvisée ont été convoqués et auditionnés par les Officiers de Police Judiciaire instruits par le Procureur de la République Près le Tribunal de Première Instance de Douala-Bonanjo en « qualité de suspect ».

Concrètement, le Ministère Public souhaitait connaître l’endroit où l’or était caché d’une part, et demandait son transfèrement au tribunal d’autre part. Il voulait également connaître pourquoi les prévenus n’ont pas été capturés et déférés au Tribunal compétent. Il s’interrogeait enfin sur l’habilitation de la Douane à transiger en pareille circonstance.

S’agissant de l’endroit, les responsables de Littoral II ont indiqué que l’or avait été transmis à la hiérarchie conformément aux instructions reçues de celle-ci. Bon à savoir, en ce qui concerne la demande de transfert de l’or saisi vers le Ministère public, ils ont indiqué que les articles 299 et 357 du Code des Douanes CEMAC prévoient que l’Administration conserve le bien saisi jusqu’à l’aboutissement des suites contentieuses fiscales.

Pourquoi avoir remis l’or saisi aux contrevenants ? L’Administration des Douanes était-elle compétente pour transiger ? Oui, a répondu le Chef du Secteur des Douanes du Littoral II. Il a expliqué que l’article 327 du Code des Douanes CEMAC prévoit ce droit en faveur de ceux qui veulent clôturer administrativement leur affaire sans recourir à la voie juridictionnelle, lorsque les faits qui leur sont reprochés ne portent pas sur des « marchandises prohibées à titre absolu » ou ne comportent pas les infractions de droit commun. Au surplus, l’article 328 al. 3 du Code des Douanes CEMAC prévoit le droit de transaction en faveur des propriétaires des marchandises qui sont des voyageurs, lorsque l’affaire n’a pas encore connu une suite judiciaire. Ce qui est le cas de l’espèce.

Pourquoi donc avoir capturé les prévenus et les avoir présenté devant le tribunal ? Les agents des douanes concernés ont expliqué avoir agi conformément aux dispositions de l’article 298 du Code des Douanes CEMAC qui fait de la capture du prévenu une faculté pour le service, d’autant plus que l’or saisi est un bien marchand ne faisant pas l’objet de « prohibition à titre absolu ». Par ailleurs, le procès-verbal a été signé par le Chef d’Agence de Ethiopian Airlines qui est une personne morale de réputation internationale qui en a donné bonne caution.

Nonobstant ces explications adossées sur les faits réels, le Ministère public a continué à convoquer les concernés qui n’ont cessé d’apporter des clarifications complémentaires jusqu’à leur déferrement.

Il n’est pas superflu de rappeler que dans le cadre de la même affaire, la Douane a reçu des félicitations du Ministre en charge des Mines, et du Ministère en charge des Finances.

Frégist Bertrand TCHOUTA

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Auteur: Frégist Bertrand TCHOUTA