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Un économiste camerounais dézingue le France et Macron

Célestin Monga, économiste camerounais

Sat, 9 Oct 2021 Source: Le Monde

Les images d’un chef d’Etat français embrassant ostensiblement des roitelets africains sur le perron du palais de l’Elysée soulignent la futilité des discours en faveur d’un changement de politique africaine, dénonce, dans une tribune au « Monde », Célestin Monga, économiste camerounais, enseignant à Harvard et à l’université de Paris-I - Panthéon-Sorbonne.



Tribune.

« Il n’est pas de l’intérêt de la France de soutenir et armer les dictateurs africains »

Quels sont les intérêts de la France en Afrique et qui dispose de la légitimité pour les définir, les identifier et les évaluer ? Ces intérêts portent-ils sur le volume des contrats juteux obtenus par un petit groupe d’entreprises dites françaises opérant sur le continent, sur le nombre de pays africains dont les chefs d’Etat sont jugés « pro-français », ou sur le degré d’influence supposé que l’histoire coloniale, la présence militaire et la francophonie confèrent à la France sur la scène internationale ?

Ces questions font rarement l’objet d’un débat public en France. Comme si la mémoire collective demeurait honteusement prisonnière des frustrations et de la culpabilité d’une décolonisation bâclée. Cette omerta remonte aux années 1950. Visionnaire et courageux face au nazisme, le général de Gaulle s’est montré politiquement myope et cynique à l’égard des colonies et territoires sous domination française. Il leur a proposé de demeurer au sein d’une « Communauté française » qui aurait fait des populations africaines des citoyens de seconde zone, alors même qu’elles avaient versé beaucoup de sang pour la France lors des deux guerres mondiales.

De Gaulle a été surpris et courroucé par l’ampleur et la force des revendications indépendantistes africaines. Puis, il a « accordé » aux pays africains des indépendances piégées, y imposant comme chefs d’Etat des hommes en réalité opposés à l’indépendance ! Les pays comme l’Algérie, la Guinée ou le Mali qui avaient refusé ces arrangements l’ont payé très cher. Il s’est ensuite entouré de personnages lugubres officiant comme conseillers pour l’Afrique. Jacques Foccart, Louis-Paul Aujoulat et autres Félix Houphouët-Boigny ont établi une politique africaine caricaturale satisfaisant surtout des intérêts privés de quelques élites françaises et africaines, doctrine qui est encore aujourd’hui le cadre d’interaction France-Afrique.

Bilan politique affligeant

Le bilan de cette politique est affligeant : la Côte d’Ivoire et le Cameroun, les deux plus grandes économies d’Afrique francophone au sud du Sahara, où la France est présente et influente depuis plus d’un siècle, affichent des performances économiques embarrassantes. Leurs produits intérieurs bruts par habitant, en 2020, étaient respectivement de 1 700 (1 500 euros) et 1 500 dollars, inférieurs en termes constants aux niveaux de 1981 et en dessous de la moyenne africaine.

Ces statistiques de la Banque mondiale invalident tous les slogans parisiens. Car il n’est pas de l’intérêt des 67 millions de Français de s’accommoder de la pauvreté et de la violence en Afrique, ni de la France de laisser des castes de politiciens véreux à Paris soutenir et armer les dictateurs africains illettrés et incompétents qui martyrisent les populations et fabriquent la misère, la haine des autres et de soi, tout en stimulant l’immigration clandestine en Afrique et vers l’Europe

Les images d'un chef d'Etat français embrassant ostensiblement des roitelets africains sur le perron du palais de l'Elysée sont de très mauvais goût. Elles soulignent la futilité des discours en faveur d'un changement de politique africaine. Paris n'a d'ailleurs jamais exhibé ce genre de dilettantisme cynique avec les autocrates d'Europe de l'Est, d'Asie ou d'Amérique latine. D'ailleurs, il n'existe toujours pas de sommets France-Asie «France-Amérique latine» ou «France-Amérique du Nord » lors desquels un locataire de l'Elysée vendrait des armes å des dictateurs, leur imposerait des bases militaires ou leur dicterait des politiques économiques et monétaires, tout en exigeant d'eux des quotas de marchés publics pour des groupes industriels français...

Plus étonnant est le silence de la plupart des grands intellectuels français sur les questions franco-africaines. L'élite politique et intellectuelle française préfère s'émouvoir régulièrement des « invasions» chinoise, indienne, japonaise ou américaine en Afrique — invasions fantasmatiques en réalité, présentées comme contraires aux intérêts français.

Mais cette élite parisienne est prisonnière de vieux schémas de développement cruellement inopérants. Elle gagnerait pourtant à s'émanciper de ses névroses coloniales et à comprendre qu'une Afrique libre et performante est son véritable intérêt et cela indépendamment des origines des investisseurs qui y financeraient la formation du capital humain, des infrastructures et d'institutions efficaces.

Collusions inavouables

Les promoteurs de la politique française en Afrique font apparaitre leur pays comme une vieille nation aigrie et fatiguée, nécessitant des collusions inavouables pour maintenir sa pseudo-emprise sur le continent. Rien n'est plus chimérique: la misère africaine ne contribue pas å la grandeur de la France. Si le Niger, le Congo ou la République centrafricaine multipliaient leur revenu par habitant par 10 ou par 20, la France en bénéficierait automatiquement en matière d'exportations et de créations d'emplois, et bien plus que la Chine, le Japon ou les Etats-Unis.

Par ailleurs, ce n'est pas parce que le Cameroun ou le Sénégal choisiraient de battre leur propre monnaie qu'ils deviendraient subitement «antifrançais». Le Maroc, la Tunisie, l'Algérie, L’Indochine (Vietnam) et bien d'autres pays anciennement membres de la zone franc ont renforcé leurs relations commerciales et financières avec l'Hexagone après leur sortie de cette union monétaire qui opère la compétitivité des économies ouvertes.

La France commerce d'ailleurs bien plus avec des économies africaines hors zone CFA comme le Nigeria, le Kenya ou l'Afrique du Sud qu'avec les Etats ineptes et chloroformés de son prétendu pré carré.

Quoi qu'en pense le microcosme d'« experts » politiques parisiens, le sort de l'Afrique ne se joue cependant ni à Montpellier ni dans des salons obscurs de France, mais dans les têtes des Africains, en Afrique. De profondes transformations de mentalité y ont cours actuellement et les chancelleries qui auront l'humilité de s'en apercevoir et de s'en accommoder en tireront le plus grand profit.

Célestin Monga est un économiste camerounais, enseignant

Harvard (Kennedy School of Government) et professeur associé å I'université de Paris-I - Panthéon-Sorbonne

Auteur: Le Monde