Unis pour le Cameroun, un collectif apolitique, a rassemblé plus de 20 000 personnes contre Boko Haram. Entraînant finalement dans leur mouvement le pouvoir et l'opposition
Le 28 février, les drapeaux camerounais, tchadien et nigérian ont envahi Yaoundé. Dans la ville peu habituée aux grandes manifestations, plus de 20 000 personnes ont défilé en scandant des slogans hostiles à Boko Haram. À l'origine de ce mouvement, un collectif baptisé Unis pour le Cameroun, composé en grande partie de journalistes. Si des manifestations contre l'organisation islamiste avaient déjà eu lieu ces dernières semaines, aucune n'avait dépassé le millier de participants.Particularité de celle-ci, tout signe d'appartenance partisane était strictement interdit.
"Nous voulions expliquer aux gens les réalités du terrain et faire table rase des fausses idées", explique Guibai Gatama, directeur de l'hebdomadaire régional L'OEil du Sahel. Meneur du collectif et initiateur du projet, ce natif de l'Extrême-Nord a perdu des proches lors des combats. "Pour la plupart des Camerounais, la guerre se déroulait au loin, voire à l'étranger. Il fallait sonner le tocsin de l'éveil citoyen", poursuit Raoul Simplice Minlo, journaliste à la télévision nationale CRTV.
"La société civile traditionnelle et l'opposition ont abandonné ce type de mobilisation depuis longtemps", observe Polycarpe Essomba, directeur de la radio Afrik 2. Pendant un mois, les membres d'Unis pour le Cameroun ont mobilisé sans autorisation. Ce n'est que quatre jours avant la date fatidique qu'ils ont demandé aux autorités le sésame obligatoire pour toute manifestation.
Une stratégie payante, puisque ces dernières, face à l'ampleur annoncée de l'événement, n'ont eu d'autre choix que de laisser faire. D'abord effrayés par l'émergence d'une nouvelle forme d'action, les partis d'opposition ont fini par rejoindre le défilé. Certains ministres ou diplomates, dont l'ambassadrice de France, Christine Robichon, y ont même participé.
Mais depuis cette date, une avalanche de critiques s'abat sur les organisateurs. Certains journalistes ne voient pas l'initiative d'un bon oeil. Denis Nkwebo, président intérimaire du Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC), estime que ses confrères ont violé la déontologie de la profession. "Nous ne devons pas être identifiés comme des organisateurs de marches pour le compte de ministres qui se cachent. C'est contraire à notre éthique professionnelle."
De son côté, le collectif se défend de représenter la profession et fait face aux rumeurs, qui vont bon train. On l'accuse d'avoir accepté de l'argent du pouvoir. Certains titres de presse parlent même de 3,2 milliards de F CFA (environ 4,6 millions d'euros). "Nous avions mis en place des contributions citoyennes en nature. Nous avons ainsi pu collecter les gadgets distribués gratuitement", rétorque Guibai Gatama.
"Milliardaires"
Les membres d'Unis pour le Cameroun préfèrent rire de ces attaques et s'appellent entre eux "les milliardaires". Il n'empêche : leur statut a évolué. "Les citoyens ont l'impression que nous pouvons changer les choses", souligne Polycarpe Essomba. "Il sera désormais difficile de rester à l'écart", confirme Guibai Gatama. De fait, lors de leur première réunion après la marche, les membres ont décidé d'étendre leur action à l'ensemble du pays.
Les journalistes sont prêts à aller au bout. Et à se battre pour d'autres causes telles que la citoyenneté ou le rejet du tribalisme. "Mais pas seuls, espère l'avocate Alice Nkom, qui les observe avec attention. D'autres doivent prendre le relais, notamment à Douala. Mais le pouvoir ne donnera certainement pas les autorisations. Peut-être est-il temps de passer à la vitesse supérieure, c'est-à-dire constituer un fonds pour les populations du Nord et ne pas s'en tenir à une marche pour soutenir l'armée, qui, elle, a des moyens financiers."
Initiateur du plus gros rassemblement apolitique de ces dernières décennies, Unis pour le Cameroun ne peut plus avancer masqué. S'il a mis les autorités et l'opposition devant le fait accompli, il n'y parviendra sans doute pas une seconde fois sans difficultés. Ce qui ne semble pas décourager le collectif : "Nous sommes prêts à prendre des coups", conclut Éric Benjamin Lamère.