C'est le chef du département histoire de l'Université de Yaoundé qui a fait le constat. Dans une tribune publié il y a quelques jours sur sa page Facebook, le prof Edouard Bokagné dresse le constat sans donner son point de vue, ni condamner, comment les étudiants anglophones ont boudé plusieurs rencontres initiées après sa prise de fonction comme chef département histoire. Ci-dessous, la rédaction de CamerounWeb vous propose la tribune du prof Bokagné.
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"Lorsque j'ai pris mes fonctions de chef de Département d'histoire à l'Université, j'ai fait ce qu'on fait dans ces cas-là : rencontrer les miens. Ça s'est plutôt bien passé avec mes collègues enseignants et le personnel. Puis, j'ai tenu à rencontrer les leaders estudiantins. Là, quelque chose m'a surpris : il n'y avait aucun de la communauté anglophone.
Ceci m'a poussé à m'intéresser à l'incidence communautaire dans notre Département. Je ne savais pas bien comment ils étaient organisés. Mais venant de Bamenda, j'avais une certaine compréhension de la vie estudiantine là-bas. Et la crise sécuritaire qui avait vidé le campus chez-eux devait forcément avoir rempli ce secteur-ci. Où étaient les Anglophones ? Pourquoi avaient-ils boudé notre prise de contact ?
Si les Anglophones se trouvaient absents, j'eus une autre surprise : la présence d'une forte communauté estudiantine tchadienne. Ses représentants assistèrent à la rencontre, mais parlèrent peu. Et il y avait très peu de leaders féminins. Je dus reprogrammer une autre réunion avec chaque groupe pour discuter avec eux de leurs problèmes spécifiques. Ce n'est pas de ça que je voudrais parler ici ; mais de cette question communautaire.
Comment fait-on pour se sentir marginalisé ? Un chef de Département est un peu comme un Père de famille. Il doit être sensible au confort des jeunes qui lui sont confiés. Pensez bien que tous les leaders de la cause ambazonienne qui ont moins de cinquante ans sont nés et ont grandi dans notre structure étatique actuelle. Ils ont fréquenté nos écoles. Et pour une raison ou une autre, ne s'y sont pas sentis à leur place et ont aspiré à une autre réalité.
Il est important de transmettre un sentiment d'appartenance : ce que les Anglophones appellent a sense of belonging. Je vous ai un jour parlé de Relindis: une graduate de Buea. Après ses études, elle a trouvé un petit job à Bamenda - Commercial Avenue - et c'est chez-elle que je renouvelais mon abonnement Canal. Elle me croyais Zimbabwéen. (Il paraît que j'ai un accent). Elle avait de la famille à Yaoundé, quelque part vers Acacias.
Malgré la dégradation de la sécurité, elle ne pensait pas s'y rendre. J'ai voulu savoir pourquoi. La solitude. Quand elle venait à Yaoundé, son quotidien oscillait entre le marché et l'église le dimanche. Elle ne connaissait personne. Et ne parlait pas français. À quoi ça ressemble de vivre dans un pays dont vous ne parlez pas la langue de 80% de la population ? Il y a beaucoup là-bas dans cette situation.
Bien sûr, on peut retrouver les anciens débats sur le fédéralisme ou la réforme éducative. Ça reste des débats. La question du fédéralisme a été tranchée en 1972. Ce qu'il en reste sont des discussions ; des propositions et des esquisses de programmes. On ne les mettra pas à exécution demain. Quand on réformerait l'éducation, beaucoup resteront à la marge. La solution de Relindis, ce doit être pour tout de suite. Quelle peut-elle être ?
La vie ensemble exige finalement un effort de vivre ensemble. La langue est un pont. Elle n'est pas un mur. Elle unit. Elle ne devrait pas séparer. Les Portugais, Espagnols, Anglais, Allemands ou Français ayant abordé nos parages n'ont jamais eu de problème de communication. Nos ancêtres avec leurs 250 langues non plus. Ce ne devrait être ni difficile, ni impossible de nous comprendre. Pourquoi n'y parvenons-nous pas ?
Je réfléchis toujours à cette question. Je suis convaincu que c'est moins une affaire de langue que comment nous comprenons la vie. Mais en ce cas, comment notre imaginaire se construit-il ? Quel modèle avons-nous ? Que vaut-il ? Voilà ce qui me pousse à m'intéresser aux hommes politiques. Ils vendent des modèles et possèdent une forte incidence clivante. Ce sont eux qui catalysent les querelles qui font que les uns ou les autres ne se sentent pas à leur place.
Quand j'ai terminé ce billet, je n'ai toujours pas répondu à ma question :
Comment fait-on pour se sentir marginalisé ?
C'est un sentiment que je n'ai jamais eu la sensation d'éprouver."