Viol d’une fillette à Ebolowa: des chrétiens en grève contre l’Eglise

Eglise Catholique 1 Un prêtre est accusé d'avoir violé une fillette de 3 ans à Ebolowa

Wed, 29 Nov 2017 Source: hurinews.com

A l’occasion de la journée mondiale des violences faites aux femmes qui s’est célébrée il y a quelques jours, Me Michèle Ndocki, avocate stagaire au barreau du Cameroun, vainqueur du concours de la meilleure plaidoirie internationale sur la peine de mort en 2015 à Paris et défenseure de la cause des faibles et des démunis, se prononce sur la situation de la jeune Lydie, âgée de 3 ans, violée par un prêtre catholique à Ebolowa (sud). L’intrégralité de sa tribune libre ci-dessous.

Elle s’appelle Nadia

Je déjeunais hier avec une amie et nous conversions, comme le feraient toutes les amies qui ont encore, dans ce pays ravagé par les crises, le privilège de déjeuner. Le sujet des différentes affaires qui défraient la chronique des « faits divers » sur les réseaux sociaux a rejoint à un moment le reste du déjeuner sur la table. Par affaire, nous entendions l’histoire de la petite Annie Lydie, âgée de 03 ans, comme née le 02 février 2013 à Yaoundé, retrouvée d’après le témoignage livré par son grand-père à l’ONG MANDELA Center, enfermée avec l’abbé Martin ZE ONDOUA, prêtre de la Paroisse Saints Anne et Joachim d’Abang, une des paroisses du diocèse d’Ebolowa, dans la chambre de ce dernier. Quand on a cassé la porte de la chambre que le prêtre refusait d’ouvrir, on a découvert l’enfant évanouie, saignant abondamment des parties génitale.

A peine une heure avant, elle se rendait, heureuse et fière, à la paroisse où elle devait présenter un spectacle avec d’autres enfants pour la fête de fin d’année. Elle avait été choisie parce qu’à trois ans, son élocution était déjà remarquable : c’est une enfant douée. Seulement quand l’on l’a annoncée, on s’est aperçu qu’elle n’était plus là. Quelqu’un a alors dit qu’il avait vu le prêtre se diriger avec elle vers ses appartements privés.

Ce dont je ne reviens toujours pas, c’est qu’il ait fait ça alors que la quasi-totalité du clergé catholique paroissial était réunie dehors. J’essaie d’imaginer la scène : des centaines de personnes rassemblées dans leurs beaux vêtements, les rires, les enfants qui courent, les bavardages entre adultes, et lui qui se lève d’un coup, comme pour soulager un besoin pressant… Non, impossible à imaginer.

Mais alors comment imaginer la suite : les représentants du clergé, qui ont voulu empêcher le Grand-père d’Annie de l’emmener à l’hôpital ? Le fait que le Procureur n’ait pas décidé de poursuivre ? Le silence du Ministre de la Justice, dûment saisi ? Comment peut-on imaginer qu’à trois ans, dans notre cher et merveilleux pays, une vie innocente et prometteuse puisse être ainsi détruite, dans la passivité générale ?

Ce dont je ne reviens toujours pas, c’est qu’il ait fait ça alors que la quasi-totalité du clergé catholique paroissial était réunie dehors. J’essaie d’imaginer la scène : des centaines de personnes rassemblées dans leurs beaux vêtements, les rires, les enfants qui courent, les bavardages entre adultes, et lui qui se lève d’un coup, comme pour soulager un besoin pressant… Non, impossible à imaginer.

Trois ans ? Oui, parce que même si le 2 février 2013 c’était il y a quatre ans, les faits, eux, remontent à mai 2016. Depuis, rien n’avance, comme d’habitude. Selon Afrikmag, le juge chargé de l’affaire Eric Blaise Priso a déclaré que « La procédure est en cours, et la procédure judiciaire est complexe et secrète » dans un entretien accordé plus tôt ce mois-ci. La mère d’Annie a fui le village pour se réfugier avec sa fille dans une autre localité du côté de Belabo, où elle a confié l’enfant dont l’état de santé se dégrade aux tradi-praticiens.

Mon amie dit que cette histoire lui rappelle celle de Nadia, son employée de maison. Nadia a été violée à l’âge de sept ans. Elle était à la maison avec ses jeunes cousines, un jeune cambrioleur s’est introduit chez eux, et les a violées toutes les trois. Elle a grandi avec ça, entre un père abusif, une belle mère qui les battait régulièrement, son frère aîné et elle. D’ailleurs un jour, une bastonnade a dû mal tourner, puisqu’en rentrant de l’école, elle a découvert que son frère était mort.

Nadia a eu de la chance. Sa mère est revenue la chercher, lui a appris à se battre : cultiver pour manger, vendre les arachides qu’elle récoltait et faisait griller, puis trouver du travail en ville. Aujourd’hui, avec les 70.000 FCFA qu’elle gagne tous les mois, Nadia envoie ses neveux et nièces à l’école. De la chance ? Oh non. Certainement pas : de la volonté, de la détermination. Celle de ne pas se laisser conduire par les événements, mais de reprendre le contrôle de sa vie. Elle aurait pu devenir alcoolique, plonger dans la prostitution dès son adolescence, qui l’aurait blâmée, avec un passé aussi lourd ? Aujourd’hui, au lieu de cela, elle est une mère pour les enfants qu’elle n’a pas eus, et cela donne un sens à sa vie.

Notre vie a un sens, et chacun d’entre nous doit trouver quel est sens de sa vie. En tant que femmes, que mères, notre vie se remplit de la protection que nous assurons et du bonheur que nous offrons autour de nous. Pourtant trop souvent, quand le bonheur n’est pas là, quand le malheur, l’horreur frappent, nous faisons ce qu’a fait la mère d’Annie : nous fuyons. Elle a fui pour éloigner son enfant de la honte, pour la protéger. Mais la honte vient d’où, et qu’est-ce qui est honteux ?

Est-ce d’avoir été violée à trois ans, ou quand on est un prélat, et qu’on découvre son confrère devant une scène comme celle que nous venons de décrire, de refuser que cela s’ébruite ? Est-ce de se battre pour que l’enfant obtienne justice, ou de prendre un an et demi pour clôturer une instruction dans une affaire qui semble être tout simplement un flagrant délit ? Est-ce de fuir le théâtre de l’horreur, ou de continuer de célébrer la messe à l’endroit où l’on est accusé du plus atroce des crimes ?

Qu’est-ce qui est le plus honteux ? Est-ce de continuer, nous, femmes, mères, à prendre la communion et à célébrer l’amour et la foi avec des hommes qui manifestement ne savent pas plus sur ce que renferment ces concepts que nous ? Comment imaginer que nous continuons, nous qui représentons la grande majorité des fidèles et des croyants, à attendre qu’ils nous disent, prélats, magistrats, avocats, activistes, ce qu’ils comptent faire, ce qu’ils en pensent ?

Notre vie a un sens, et chacun d’entre nous doit trouver quel est sens de sa vie. En tant que femmes, que mères, notre vie se remplit de la protection que nous assurons et du bonheur que nous offrons autour de nous. Pourtant trop souvent, quand le bonheur n’est pas là, quand le malheur, l’horreur frappent, nous faisons ce qu’a fait la mère d’Annie : nous fuyons. Elle a fui pour éloigner son enfant de la honte, pour la protéger. Mais la honte vient d’où, et qu’est-ce qui est honteux ?

Imaginons un instant que le plus important, ce ne soit pas ce qu’ils en pensent, mais ce que nous en pensons nous, qui avons porté ces enfants, gardé sur notre corps les multiples traces de leur passage en nous, mis ces enfants au monde, allaité, nourri, pansé les blessures, tenu la main quand ils traversaient la route, surveillé leur devoir, payé leur première jolie robe… Ouvrez les yeux. Nous vivions dans ce monde. Le Préambule de notre Constitution, le document qui fait de nous des Camerounais, dispose :

« Le peuple camerounais proclame que l’être humain, sans discrimination de race, de religion, de sexe, de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ;

Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des droits de l’homme ».

Or, cette Déclaration énonce en article 2 que « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion… ».

Nous vivons dans ce monde et comme les hommes nous pouvons en faire ce que nous voulons.

Nous ne pouvons pas continuer de fuir, ou de laisser certains d’entre eux s’en prendre à nos enfants, et se protéger mutuellement entre criminels, actifs ou passifs. Nous devons cesser d’aller communier avec eux, refusé de rentrer dans leurs églises pour les écouter parler d’un Dieu dont ils se moquent si outrageusement, car une attitude protectrice vis-à-vis d’un criminel sexuel est un acte de mépris envers la création divine, donc envers notre Créateur.

Nous devons les obliger à tenir leur rang : les hommes d’Eglise, les leaders politiques, les magistrats, sont des guides. Il est de notre responsabilité de leur rappeler que ce n’est pas seulement un privilège : c’est surtout une responsabilité et lorsqu’une responsabilité n’est pas assumée, elle doit être retirée. Nous vivons dans un monde où ce que nous pensons compte. Exprimons-le.

Auteur: hurinews.com