Lors du passage éclair du président français François Hollande au Cameroun, le 03 juillet 2015, le président camerounais, Paul Biya, répondant à une question d'un journaliste français sur sa longévité au pouvoir (33 ans), a répondu: «Ne dure pas au pouvoir qui veut, mais dure qui peut.»
Plusieurs personnalités politiques du Cameroun (Kah Walla, Mila Assouté) ont commenté ces propos comme étant le énième signe d'arrogance de Biya vis-à-vis du peuple Camerounais. Mais une lecture des conditions de cette visite laisse comprendre que Biya réglait plutôt ainsi son compte à François Hollande.
En effet, lors les deux derniers sommets de la Francophonie, à Kinshasa (octobre 2012) et à Dakar (novembre 2014), François Hollande avait martelé sa volonté de voir l'Afrique francophone prendre véritablement un virage démocratique s’exprimant par des élections propres et incontestables, une limitation des mandats présidentiels, l’acceptation du verdict des urnes, le respect des libertés et la protection des droits de l’homme.
À Dakar, Paul Biya s'était retourné plusieurs fois sur son siège quand Hollande, rappelant la fin honteuse de Blaise Compaoré (évincé par la révolution de rue le 31 octobre 2014), précisait : «Ce qu'a fait le peuple burkinabè doit faire réfléchir ceux qui voudraient se maintenir à la tête de leur pays en violant l’ordre constitutionnel. Parce que ce sont les peuples qui décident», tenant ainsi une de ses promesses électorales : «Je veux que le 6 mai soit une bonne nouvelle pour les démocrates et une terrible nouvelle pour les dictateurs.»
Depuis lors, le président camerounais n'a eu cesse de multiplier les manœuvres auprès de Paris afin que le chef de l'Élysée accepte de visiter le Cameroun, l’objectif étant de se donner une santé sur le plan diplomatique.
Paul Biya, connu comme l'adepte de Machiavel qui, à chaque moment de contestation sociale dans son pays, a habitué les Camerounais avec des provocations de type: «Me voici donc à Douala», «Quand Yaoundé respire, le Cameroun vit», «Qui veut la paix, prépare la guerre», n'avait aucun intérêt à les narguer davantage, puisque le peuple meurtri par son système s'est résigné depuis 2008, année des derniers massacres de la jeunesse camerounaise.
Au regard du contexte historique et des exigences persistantes de démocratie de la part de François Hollande, il est clair que par sa déclaration «Ne dure pas au pouvoir qui veut, mais dure qui peut», Paul Biya s'adressait au locataire de l’Élysée.
Un règlement de compte bien orienté qu'on peut interpréter comme la montée, dans la conscience, d’un message longtemps comprimé dans l’inconscient pouvant se traduire comme suit: «Vous passez votre temps à me rouler dans la boue, me traitant de dictateur et invitant, dans vos discours, mon peuple à se soulever contre moi. Pourtant, les entreprises françaises prospèrent au Cameroun sous ma bénédiction. Mais n’oubliez pas que chez moi, ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut.»
L’analyse de la suite de la déclaration de Paul Biya confirme d’ailleurs qu’il s’adresse bel et bien à François Hollande à travers son journaliste, et pas au peuple Camerounais : «Je ne suis pas à la tête de l’État par la force. Je n’ai pas acquis le pouvoir de manière dictatoriale.» Cette deuxième déclaration de Biya indique que le président camerounais se dresse contre le discours de Hollande à Dakar, un discours contre l’utilisation de la force aux fins du maintien des dictateurs au pouvoir.
L’invitation de Hollande était-elle donc une stratégie pour dire ses vérités au président français? Avant d’y répondre, il y a d’abord lieu de noter que la deuxième déclaration contraste avec la première, car, si on est au pouvoir, non parce qu’on veut mais parce qu’on peut, alors, nécessairement, la force, et non la simple volonté, permet d’y être et de s’y maintenir pendant 33 ans.
Toutefois, le caractère contradictoire de cette déclaration s’effrite et disparait dès lors que l’on prend en compte le contexte de son émergence, c’est-à-dire lorsqu’on perçoit qu’elle est une réponse au discours de Hollande à Dakar (novembre 2014).
On comprend alors tout le sens du règlement de compte qui y est contenu. C’est ainsi que, dans la troisième déclaration, Biya se prend systématiquement pour un démocrate et, dans le but de clouer le bec une fois pour toutes à son hôte, conclut dans le même état d’esprit revanchard: «J’ai toujours été élu par mon peuple, et en ce moment, je suis en train de terminer un mandat qui m’a été donné par le peuple et d’ailleurs, il y avait d’autres candidats à cette élection et je les ai gagnés.»