Le texte ci-dessous est une analyse du journaliste, politologue et homme politique Camerounais Vincent Sothène Fouda. Pour lui, le fédéralisme prôné par Me Akéré Muna n’est pas la forme de l’Etat qui convient au Cameroun.
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Garder le silence nous rendrait complice, se prononcer sous l’émotion nous rendrait irresponsable, alors comment trouver le juste milieu et surtout se faire comprendre par les camerounais ? L’ambition de Me Muna est légitime, celle de soumettre sa candidature à la magistrature suprême de notre pays avec pour but camper de se faire élire.
Seulement en lisant et en écoutant les nombreux entretiens accordés, il est grand temps de le ramener aux fondements de l’État-Nation du Cameroun et par la même occasion lui indiquer la position de notre pays dans ses ambitions. Il ne doit être ignoré par personne qu’au milieu des tourments, seule la patrie résiste et subsiste, en même temps elle se solidifie comme la petite maison de la prairie qui résiste à la tempête et sonne la révolte de tout le peuple à la résistance pour sauver la patrie.
Au Cameroun, État et Nation se co-engendre depuis les origines voilà pourquoi comme dit un vieux proverbe, rien n’est plus, doux que la patrie, je l’ai entendu de la bouche de mon père qui lui-même le tenait de son père, ils se le sont passés de génération en génération, en cultivant la terre, en devenant instituteur, en soignant leurs semblables, en revenant au village en toute saison.
Est-il, en effet, rien de plus aimable, de plus auguste, de plus divin ? Peut-être les bras d’une femme! Seulement, tout ce que les hommes regardent comme divin et auguste, n’est tel qu’en raison de la patrie, cause et maîtresse souveraine qui donne à chacun la naissance, la nourriture et l’éducation.
On peut admirer la grandeur, la beauté et la magnificence des autres cités ; des contrés que nous avons visitées, que notre regard a caressé, mais on ne chérit que celle où l’on a reçu le jour ; et, de tous les voyageurs qu’entraîne le plaisir de voir un spectacle agréable, il n’en est aucun qui se laisse séduire par les merveilles qu’il trouve chez les autres peuples, au point d’oublier entièrement le lieu de sa naissance.
Combien de fois il m’arrive d’être pirate de ce que mes yeux admirent ailleurs et que je souhaite implanter dans un coin de mon pays? Pas qu’il ne soit pas beau, bien au contraire! Je ne désire qu’entretenir sans fin cette beauté. Quiconque se fait gloire d’être citoyen d’un village fortuné ignore, ce me semble, quel est le véritable hommage qu’on doit rendre à la patrie ; il montre qu’il serait fâché que le ciel l’eut fait naître dans des lieux moins célèbres.
Pour moi, je pense que c’est le nom même de notre patrie que nous devons honorer. Kamerun, Cameroon, Cameroun, tout ça c’est mon coin de pays, ma patrie, héritage dont j’étais l’héritier avant même d’avoir ouvert le testament de mes parents, dans lequel évidemment ils me léguaient ce coin de pays. Tous les jours, je le présente à mes enfants afin qu’il coule aussi dans leurs veines comme dans les miennes.
Si l’on veut comparer un village à un autre, on examinera leur étendue, leur beauté, l’abondance dont ils jouissent; mais, s’il faut faire un choix, personne ne préférera la cité la plus brillante à sa patrie à son coin de terre, à ce fatherland. Il pourra, bien souhaiter qu’il égale en opulence les villages les plus riches; mais, tel qu’il est, il sera toujours l’objet de ses vœux.
Oui, rien n’est plus précieux à mes yeux, rien n’est plus cher à mon cœur que mon coin de pays, que ma patrie! Me Akéré Muna se trompe sur la forme de l’État, lui qui voit le Cameroun fédéral ignore ce que fut le passé fédéral du Cameroun et ignore le Kamerun fondé par les Allemands par leur grande imagination mais aussi à la force des bras de nos ancêtres.
Quand on veut parler d’un pays, il faut aussi associer les sentiments, ceux des parents comme ceux des enfants. Oui, les sentiments des enfants vertueux sont le prolongement de l’éducation des bons pères. Un jeune homme vertueux ne préfère personne à son père; un bon père n’abandonne pas son fils pour un étranger. Tous les pères, au contraire, sont tellement esclaves de leur tendresse paternelle, qu’ils croient toujours leurs enfants plus beaux, mieux faits, plus doués que tous les autres.
Quiconque ne juge pas ainsi des siens n’a pas, à mon avis, des yeux de père. Je le sais au plus profond de moi, pas toi? Me Akéré Muna ne saurait évacuer d’un revers de la main cet enseignement dont il est le digne héritier lui le fils de Salomon Tandem Muna un des pères fondateurs du Cameroun réunifié à jamais. Le nom de la patrie est donc le premier qui retentisse à nos oreilles, celui qui nous devient le plus familier; car il n’y a rien de plus familier que le nom d’un père.
Or, témoigner envers un père le juste respect que commandent les lois et la nature, c’est rendre à la patrie l’hommage qui lui est dû; un père, en effet, est une dépendance de la patrie, ainsi que le père de ce père; et toute la ligne ascendante d’aïeux, en faisant remonter le nom jusqu’aux dieux paternels.
Les dieux eux-mêmes, j’en ai dénombré trois-cent-seize pour le Cameroun, oui, tous ces dieux aiment leur patrie; leurs yeux, il est vrai, en embrassant l’univers et l’ensemble des choses humaines regardent comme leur domaine et la terre et les mers; mais la forêt où chacun d’eux a pris naissance est plus chère à leurs cœurs que toutes les autres forêts. J’ai surpris ma belle-sœur dans un geste d’affection, les pieds dans l’eau de cette douce rivière qui coule en contrebas, à la lisière de la cacaoyère.
Voyez-vous, combien nos forêts peuvent se vanter d’avoir donné le jour à des dieux et à des ethnies. De l’autre côté de la grande colline, le Char des Dieux, réside le dieu des dieux, la terre autour de sa case coule dans chacun des coins de ce pays pour faire de ses terres, des terres sacrées. Elles se mélangent aux terres, aux herbes, à l’air, au vent, au souffle, au silence, aux arbres. Tous ces dieux murmurent le nom de leur patrie qui est aussi nôtre, mienne, vôtre.
Si donc le nom de la patrie est cher aux dieux, combien doit-il l’être plus aux hommes? A nous? Alors non, je ne suis ni francophone ni anglophone, je suis Camerounais, Kamerunais, Cameroonian parce que c’est ma patrie. C’est dans la patrie, je la nomme, le Cameroun que chacun de nous a vu en premier luire le soleil.
Ce dieu, ces dieux de nos forêts, de nos collines, de nos arrières cases, généralement adorés de tous les hommes, de toutes tribus, de toutes langues, sont de manière singulière les dieux de notre patrie, de notre nation; sans doute parce que c’est ici que nous avons commencé à jouir de leur aspect, articulé les premiers sons, répété le langage de nos parents, appris à connaître les dieux.
Si la patrie que le sort nous a donnée est telle que nous ayons besoin d’aller puiser ailleurs une éducation plus relevée, c’est encore à elle que nous devons savoir gré de cette éducation, puisque sans elle nous n’eussions pas connu le nom de cette ville, de cette autre langue, de cet autre pays, nous ne nous serions pas doutés de leur existence. Toutes ces sciences, du reste, cette instruction que les hommes cherchent à acquérir, c’est encore pour leur patrie qu’ils l’acquièrent, c’est pour se rendre plus utiles à leurs concitoyens; et, s’ils amassent des richesses, c’est pour parvenir aux honneurs et fournir aux dépenses publiques.
Ils ont raison; selon moi : il ne faut pas être ingrat, quand on a été comblé des plus grands bienfaits. Et si nous témoignons, comme il est juste, une reconnaissance spéciale à chacun de nos bienfaiteurs, elle doit éclater encore davantage envers notre patrie.
Les pays, tous sans exception ont établi des lois qui répriment la mauvaise conduite des enfants à l’égard de leurs parents. Eh! ne convient-il pas de regarder la patrie comme une tendre mère, de lui payer le prix de notre éducation, de la connaissance qu’elle nous a donnée des lois? Jamais on n’a vu d’homme oublier sa patrie au point de ne plus s’en soucier lorsqu’il est dans une autre ville, dans un autre pays.
Au contraire, les voyageurs, dans leurs disgrâces, se rappellent toujours que la patrie est le plus grand des biens. Ceux que la fortune favorise, quoiqu’heureux, du reste, croient manquer de ce qui fait surtout le bonheur, en n’habitant pas dans leur patrie, mais sur une terre étrangère : ce nom même d’étranger est une injure. Voilà pourquoi « sur les bords du fleuve Babylone, nous étions assis, nous pleurions nous souvenant de Sion ».
Ce psaume est à nous, il dit qui nous sommes et ce que nous endurons. Tous ceux qui se sont illustrés durant leurs voyages, en acquérant des richesses, en obtenant de glorieux honneurs, en se créant une réputation littéraire, en faisant admirer leur courage, on les voit tous s’empresser de revenir dans leur patrie, comme s’ils ne trouvaient point ailleurs des yeux plus dignes de contempler leur fortune; ils ont d’autant plus de hâte à rentrer dans leur pays, qu’ils ont conquis plus d’estime chez les étrangers.
Vous ne pouvez point nous l’interdire ici sur les bords du fleuve Sanaga et aucun arbre ne sera à notre taille pour que nous y suspendions nos tamtams, nos baluchons, nos guitares parce que la fête nous savons aussi la faire y compris dans les moments de détresse. La patrie est aimable pour les jeunes gens, mais les vieillards, dont l’esprit est plus sensé que celui de la jeunesse, la désirent avec encore plus d’ardeur.
Chacun d’eux, en effet, souhaite de mourir dans le sein de cette patrie où il est entré dans la vie; ils désirent confier le dépôt de leur corps à cette terre qui les a nourris et partager la sépulture de leurs aïeux. C’est, en effet, pour tout homme, un affreux malheur que d’être surpris par la mort et de reposer dans une terre étrangère. Oui, il y a de la place dans cette patrie nôtre pour la réconciliation et surtout pour l’apport de tous et de chacun parce que la patrie est aussi l’addition des particuliers, mieux des singularités. Si l’on veut bien comprendre l’attachement que de bons citoyens doivent avoir pour la patrie, il faut s’adresser à ceux qui sont nés dans un autre pays.
Les étrangers, comme des enfants illégitimes, changent facilement de séjour; le nom de patrie, loin de leur être cher, leur est inconnu. Partout où ils espèrent se procurer plus abondamment de quoi suffire à leurs besoins, ils s’y transportent, et mettent leur bonheur dans la satisfaction de leurs appétits. Mais ceux pour qui la patrie est une mère chérissent la terre qui les a nourris, fût-elle petite, âpre, stérile. S’ils ne peuvent en louer la fertilité, ils ne manqueront pas d’autre matière à leurs éloges.
Entendent-ils d’autres peuples louer, vanter leurs vastes prairies émaillées de mille fleurs, ils n’oublient point de louer aussi le lieu de leur naissance, et, dédaignant la contrée qui nourrit les coursiers, ils célèbrent le pays qui nourrit la jeunesse. Oui, tous les hommes s’empressent de retourner dans leur patrie, jusqu’au hameau le plus éloigné, qui pourrait jouir ailleurs de la félicité; l’homme refuse l’immortalité qui lui est offerte, il préfère un tombeau dans sa terre natale, et la fumée de sa patrie lui paraît plus brillante que le feu qui luit dans un autre pays. Je le sais encore plus aujourd’hui.
La patrie est donc pour tous les hommes un bien si précieux, que partout les législateurs ont prononcé contre les plus grands crimes, comme la peine la plus terrible, l’exil. Et il n’y a pas que les législateurs qui pensent ainsi : les chefs d’armée qui veulent entraîner leurs troupes rangées pour la bataille, ne trouvent rien à leur dire que ces mots : « Vous combattez pour votre pays! » Il n’y a personne qui, en les entendant, veuille être lâche; et le soldat timide se sent du cœur au nom de la patrie.
J’ai vu des soldats tomber, j’ai entendu l’émotion du peuple, j’ai vu Come de Médicis en exil à Venise en 1433, oui, j’ai vu Jean Marc Ela en errance en 1995, il aurait tout donné pour que son cœur s’arrêtât de battre au Cameroun, à Ngoazib dans la forêt du Sud, dans la cuisine qui le vit naître en le 27 septembre 1936. Quand on veut être à la tête d’un peuple on ne saurait l’ignorer. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire.
Les 256 tribus qui sont au Cameroun cherchent à vivre ensemble. Comment construire se vivre ensemble aujourd’hui ? C’est au-delà du fédéralisme. C’est dans une unité retrouvée et comprise par tous dans une décentralisation responsable et respectueuse de ce que sont les hommes et les femmes qui font vivre et exister le Cameroun. Tout discours contraire est irresponsable.