‘Vous ne pouvez pas parler de fédération sans savoir ce que vous fédérez’

Drapeau Cameroun Cameroun La crise anglophone dure et continue de faire des victimes.

Thu, 28 Jun 2018 Source: Dieudonné ESSOMBA

Certains, par ignorance ou par intérêt, n’arrivent pas à sortir de la logique de l’Etat unitaire et assimilent la Fédération à une autre variante de cette formule.

Pas du tout ! La Fédération est un autre modèle qui a ses mécanismes de fonctionnement et ses référents ! On ne peut pas aller à la Fédération, en restant avec les pensées de l’Etat unitaire !

La notion de Fédération n’est pas dissociable du verbe « fédérer » qui implique d’unifier des choses différentes sans les fusionner. Sur le plan politique, la Fédération signifie l’existence des Etats différents sous la coordination d’un Etat supérieur.

Les Etats ont la même légitimité, mais dans des domaines différents. Cela signifie que ce que les attributions de l’Etat fédéral, les Etats fédérés ne s’en mêlent pas et vice-versa.

Vous ne pouvez pas parler de fédération sans savoir ce que vous fédérez au juste !

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Quel que soit le cas, la Fédération a deux buts :

-rendre possible la cohabitation pacifique et harmonieuse des Communautés différentes au sein d’un même espace politique ;

-réduire l’emprise des autorités centrales sur la vie des Communautés et des citoyens.

Une Fédération peut se créer par agrégation, lorsque des Etats indépendants s’unissent tout en conservant chacun une part de sa souveraineté. Elle peut aussi se créer par ségrégation, lorsqu’un Etat unitaire est menacé d’éclatement parce que les Communautés n’arrivent pas à s’entendre sur le fonctionnement de l’Etat et développent une compétition dangereuse pour son contrôle.

On remet donc à chaque Communauté une part satisfaisante de la puissance publique, de manière à atténuer la compétition au sommet de l’Etat.

C’est le cas du Cameroun. Donc, quand on va de l’Etat unitaire à la Fédération, on reconnait aux segments ethno-régionaux des droits politiques inaliénables sur lesquels on ne peut plus revenir !

La Fédération camerounaise ne peut donc être que de type communautaire, basée sur des segments ethno-régionaux. Il n’est pas possible de faire autrement !

Dès lors, le principal enjeu de la Fédération camerounaise n’est pas si elle sera communautaire ou non, puisqu’elle le sera nécessairement, mais comment éviter qu’elle ne bascule dans un communautarisme agressif.

Le risque est en effet très important ! Les Camerounais ne se reconnaissent pas par le domicile fiscal ou la ville de résidence, mais par l’origine tribale. Au Cameroun ou à l’étranger, on ne vous demande jamais dans quelle ville vous résidez, mais de quelle tribu vous êtes. Et des gens qui n’ont pas hésité à inscrire dans les institutions d’un Etat unitaire centralisé les concepts comme allogènes, autochtones ou minorités ne prendront aucun gant pour affirmer publiquement que les Etats appartiennent aux autochtones !

D’ailleurs, c’est ça qui va se passer dans les faits : le jour où l’Etat fédéré ou régional est proclamé, les élites natives du coin commencent à regarder de travers les allogènes, y compris ceux installés là de longue date, en leur demandant de fermer leur bouche ou d’aller se plaindre dans leur Etat de naissance !

Vous ne pouvez pas empêcher ça !

La seule chose à faire, dans ces conditions, c’est de prendre des dispositions réalistes qui permettent de réduire l’enfermement communautaire, et cela passe par un certain nombre de principes qui doivent satisfaire tout le monde.

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Ces principes sont les suivants :

1. LE PRINCIPE DEMOCRATIQUE : Toute Communauté qui veut s’ériger en Etat crée son Etat

2. LE PRINCIPE FEDERAL : Les Etats fédérés ne sont pas des petits Etats unitaires, mais des fédérations de Cantons qui, à leur tour, sont des fédérations de Communes

3. LE PRINCIPE D’UNICITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE : L’Etat fédéral, les Etats fédérés, les Cantons et les Communes forment collectivement l’Etat du Cameroun et se partagent les ressources fédérales sur la base des clés de répartition claires et immuables.

4. LE PRINCIPE D’UNICITE DE LA CITOYENNETE INTERNE : tout Camerounais est citoyen de l’Etat fédéral et d’un seul Etat fédéré.

5. LES DROITS FEDERAUX ET LES DROITS CITOYENS : Tout Camerounais dispose des droits fédéraux, recouvrant les droits de s’installer là où il veut, de mener l’activité qu’il désire ou toute autre activité qui n’engage pas son Etat de résidence. Il dispose également, dans l’Etat dont il est citoyen, de droits spécifiques que chaque Etat réserve à ses citoyens, comme la gratuité de l’éducation ou de la santé, la préférence à l’emploi public, les bourses scolaires, l’assistance aux populations vulnérables, etc.

L’ensemble des droits généraux et des droits citoyens est protégé par la Fédération.

6. LE PRINCIPE D’EGALITE DES CITOYENS : tous les citoyens d’un Etat fédérés ont les mêmes droits sur l’Etat fédéré et tous les citoyens de la Fédération ont les mêmes droits sur la Fédération. Il n’existe pas d’autochtones ou d’allogènes, mais des citoyens et des résidents.

7. LA PRINCIPE DE LA SOUVERAINETE DES ETATS FEDERES : chaque Etat fédéré définit les conditions de citoyenneté et les droits spécifiques qu’il réserve à ses citoyens, mais ceux-ci ne peuvent être contraires aux droits fédéraux.

8. LE PRINCIPE DE LIBERTE DANS LE CHOIX INITIAL : au début du système fédéral, tout Camerounais choisit l’Etat dont il veut être citoyen, soit son Etat de naissance, soit son Etat de résidence

9. LE PRINCIPE DES TERRITOIRES FEDERAUX : Les territoires fédéraux sont des agglomérations qui, en raison de leur cosmopolitisme, de leur rôle et de leur rayonnement, ne relèvent pas de l’autorité de leur Etat d’implantation. Ils constituent des Etats spéciaux, dirigés conjointement par leur population résidente et la Fédération. Le Cameroun a 4 territoires fédéraux : Yaoundé, Douala, Garoua et Bamenda.

Ces principes suffisent à élaborer une Fédération réaliste et satisfaisante pour tous, qui tienne compte des Camerounais réels, mais aussi de la nécessité d’évoluer. Evidemment que d’autres sont possibles et peuvent être soumis à débat.

Auteur: Dieudonné ESSOMBA