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Yaoundé : Excursion dans les débris de la CUY

Ven., 4 Sept. 2015 Source: Viviane Bahoken

Si c’était un feuilleton, il pourrait bien s’intituler : « Casses en série à Yaoundé », avec comme acteur principal Gilbert Tsimi Evouna, délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé (Cuy). D’autres l’appellent « Jack Bauer » (acteur principal du feuilleton américain 24h Chrono).

C’est que, depuis quelques semaines, Gilbert Tsimi Evouna a instigué des démolitions en série. Des domiciles sont entièrement détruits, sous le regard impuissant des familles. Les commerces subissent le même sort, tandis que les marchandises sont confisquées voire incendiées. L’opération fait mouche. Mais, les agents de la communauté urbaine sont bien déterminés à en découdre avec le désordre urbain.

La destruction des installations anarchiques dans certaines zones apparaît alors comme la solution. « La ville doit être embellie », clame-t-on à la Cuy. Sauf qu’après le passage des bulldozers de la Cuy, les ambitions déclarées ne suivent pas toujours. Ces zones d’habitation détruites, que l’on espère souvent voir devenir des parcs où il fait bon vivre comme dans les films américains, présentent parfois des visages moins avenants que les installations détruites. Votre journal a fait une randonnée dans certains lieux de Yaoundé qui furent le théâtre d’affrontements entre les populations et la Cuy.

Premier arrêt : le « Kossovo » ou marché des chèvres à Yaoundé. Situé en face du supermarché « Bricolux », cet espace, d’une superficie d’environ un hectare, est à l’abandon. La ferraille qui sert d’enclos provisoire à ce lieu cache une insalubrité immonde. C’est là que la plupart des riverains font leurs besoins.

Femmes comme hommes, chacun se soulage à son aise, sans aucun risque d’interpellation. Cette situation crée d’ailleurs une sorte de marécage à urine à l’entrée principale de cet enclos. Et les odeurs qui s’ensuivent imposent aux passants un protège-nez afin de filtrer cette senteur nauséeuse. En jetant un coup d’œil à l’intérieur, c’est la broussaille. De hautes herbes communément appelées « Sissongo » occupent une bonne partie de cet espace désert.

Au loin, on observe un groupe de jeunes garçons qui partagent en commun la langue « Foufouldé », (langue parlée dans le Nord du Cameroun). Difficile de donner la raison de leur présence en ces lieux. Le reporter sera pris de peur surtout quand les histoires tragiques liées à cet endroit défilent dans son subconscient. Motivée par un esprit de curiosité, elle décide de se jeter à l’eau. Premier reflex, cacher au loin ses appareils électroniques et tout autre gadget susceptible d’attirer l’attention. Une fois ces babioles en lieu sûr, l’excursion peut débuter.

Réminiscences

Une fois dans le mètre carré de mille, on se fait accueillir par des excréments qui décorent le sol. Tous les dix mètres, ce sont des tas d’ordures de toutes sortes qui se côtoient. A distance, le responsable qui aperçoit un visage étranger se presse de nous interpeller « Que faites-vous là ? », lance l’homme à la carrure imposante.

Le front serré mêlé aux battements de cœurs qui s’accélèrent, on essaye de se faire courtoise. C’est ainsi que Bouba Ahmadou, confiant, accepte de partager ses souvenirs. Autour de lui, une quinzaine de jeunes vaquent à leur occupation : la fabrication des tés d’oreillers. « Depuis plusieurs années que cet espace est abandonné, mes petits et moi avions recasé notre activité ici », relève Ahmadou.

Cet endroit, il l’a fréquenté avant qu’il ne soit démoli. « J’effectuais du commerce à la sauvette ici quand le marché existait » se souvient notre guide. « Aussi, cet endroit était occupé par beaucoup de commerçants. Il était réputé pour ses tourne-dos qui y affluaient » ajoute l’homme la quarantaine avancée. Selon lui, le vacarme qui a assombri cet espace a eu lieu en 2009. « Je garde en souvenir ce jour.

Alors que les commerçants étaient occupés dans leurs activités, on a juste été surpris par les eaux sales qui jaillissaient de partout. C’est ainsi que la débande fut totale. Chacun essayait tant bien que mal de sauver ses marchandises. Mais en vain.

Pendant ce temps, les éléments de la Cuy couraient dans tous les sens et rouaient de coups ceux qui résistaient. La police et la gendarmerie qui les accompagnaient embarquaient les commerçants dans leurs camions. C’était ahurissant», développe calmement Bouba, l’air pensif. Difficile pour ce dernier de poursuivre la narration. « J’ai tout perdu. Et depuis ce jour, ma vie n’a plus jamais été la même », lance-t-il, la voix grelottante. Comme Bouba, nombreux sont ceux dont le cours de la vie a basculé du fait de la perte soudaine de leur gagne-pain quotidien.

Selon des riverains, en détruisant cet espace, la Cuy annonçait la construction imminente des comptoirs en ces lieux. La vérité est que cinq ou six ans après, pas un seul poteau n’est sorti de terre. Pourtant, selon Bouba, l’année d’après, des entrepreneurs faisaient des descendes régulières sur ces lieux, laissant pressentir des lueurs d’espoir.

Aujourd’hui, la forêt se réjouit de se reposoir gracieusement offert. La Cuy, quant à elle, n’a visiblement aucun remord. Elle détruit des habitations pour des annonces fictives. On voit bien dans ses actions que « tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute », pour parler comme Jean De La Fontaine. Rien n’est excessif, mais les faits parlent d’eux-mêmes.

Quartier de la mort

Ce cas est loin d’être isolé car, au quartier Ntaba, démoli en 2008 dans le cadre des missions d’assainissements de la ville de Yaoundé, on annonçait en grandes pompes la construction de logements sociaux, afin d’offrir un cadre convivial d’habitation aux populations.

Aujourd’hui, en lieu et place des logements, ce sont des parcs automobiles qui foisonnent à cet endroit, en plus des espaces réservées à la vente et à la culture de fleurs naturelles. A la Cuy, un responsable sous anonymat reconnaît que les casses ont été anticipées à ce lieu. « C’est peut-être vrai que nous sommes allés trop vite, mais au moins, nous avons résolu un gros problème », se réjouit un responsable à la Cuy.

Même si on peut noter quelques points positifs, notamment la sécurité qui s’est de nouveau installée, surtout qu’à l’époque, Ntaba était réputé pour être un quartier de « brigands », cela ne résout pas le problème d’inexploitation de cet espace, sept ans plus tard. « Ça fait longtemps qu’on n’a plus eu de problème d’agressions ici », se réjouit un habitant du quartier.

Dj Papi, qui avait sa chambre à Ntaba il y a quelques années, se souvient de la vie au sein de ce qu’il nomme aujourd’hui « Quartier de la mort». « Tous ceux qui vivaient dans ce quartier étaient en majorité dangereux. La plupart des jeunes étant non scolarisés, avaient comme activités génératrices de revenus le vol et les agressions », affirme Papi.

Au deuxième carrefour Nkolbisson, dans l’arrondissement de Yaoundé VII où les casses ont eu lieu le mois dernier, la Cuy annonce, comme dans les précédents cas, des travaux de réfection de la chaussée, couplés à la réhabilitation de l’échangeur défectueux depuis plusieurs mois déjà. D’autres parlent même de la construction d’une cité.

Sur le site des casses, les débris de parpaings gagnent du terrain. Lesquels ont favorisé le développement de bonnes affaires. Par petits groupes, femmes, hommes et enfants essayent de sélectionner les morceaux de parpaings, dans le but de les rassembler et pouvoir les commercialiser. C’est le cas de Marie-Chantal qui, de bonne heure, s’empresse d’être la première sur les lieux. Assise devant son tas de parpaings cassés, elle y a inscrit, à l’aide du charbon, « A vendre ».

Près d’elle, c’est un groupe de jeunes qui est occupé à rechercher de la ferraille incorporée dans des poteaux en béton, tandis que Mario, équipé d’une barre de fer et d’une pierre, essaye de récupérer les carreaux abandonnés dans une habitation détruite. « Je vais revendre cette caillasse », soutient-il, tout en continuant son labeur.

En attendant que les grandes réalisations virtuelles de la Cuy ne débutent sur ces lieux, les populations continuent d’assiéger ces espaces, à la recherche d’un gagne-pain. Vivement que la Cuy passe à l’action, car beaucoup de personnes ont vu leur vie s’écrouler au même rythme que les installations détruites. L’embellissement de la ville a certes un coût, mais cela ne doit pas se faire au mépris du bien-être des populations.

Auteur: Viviane Bahoken