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Les soldats grévistes de Yaoundé doivent-ils être punis ?

Mer., 16 Sept. 2015 Source: Raoul Guivanda

Le mouvement d’humeur de quelques 200 soldats camerounais de retour d’une mission de paix en Centrafrique, le 9 septembre 2015, a porté un sacré coup à l’armée camerounaise pourtant réputée pour sa discipline.

Qu’il se soit produit dans la capitale est un fâcheux précédent. Que les militaires protestataires aient choisi l’Assemblée nationale et se laisser prendre en photo l’est encore plus. Les mauvais esprits peuvent penser qu’ils prenaient le peuple à témoin, à travers sa représentation nationale.

Une démarche qui a tout l’air d’une action politique… Là, est peut-être le moindre mal, car la réaction du président de la République s’est inscrite dans l’apaisement. L’on ne sait jamais trop comment ces petits mouvements d’humeur peuvent se terminer s’ils ne sont pas rapidement étouffés dans l’oeuf.

Il pouvait s’opérer une jonction entre d’autres unités qui ne sont pas moins demanderesses de quelques droits et d’autres corps sociaux dont les revendications légitimes croupissent dans les tiroirs depuis belle lurette. D’où la question que se pose aujourd’hui un grand nombre d’observateurs : quel sort sera réservé aux militaires protestataires afin que leur action ne fasse pas tâche d’huile dans un corps appelé à rester sain ?

«Nous sommes ici en première ligne et ne percevons que 2.000 Fcfa de ration alimentaire journalière, alors que nos camarades en mission en RCA perçoivent 9.000 Fcfa et risquent à peine leur vie. Il nous est arrivé de grommeler, mais en situation de guerre comme aujourd’hui, nous ne pouvons pas passer nos intérêts avant ceux du pays», explique un soldat du Bataillon d’intervention rapide (BIR), stationné à Kolofata depuis quelques mois. La sanction est d’autant plus attendue que la démarche des militaires grévistes repose sur un argumentaire léger, qui n’a sens que parce que l’environnement national est depuis longtemps pollué par des soupçons de détournement.

Revendications

En 2013, la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) prend le relais de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (Micopax) chapeautée par la Communauté économique des Etats d’Afrique Centrale (Ceeac) depuis 2008. La nouvelle Mission est placée sous l’autorité de l’Union Africaine.

C’est donc à celle-ci que revient la prise en charge des contingents déployés sur le terrain, non pas en traitant directement avec les soldats, mais avec les Etats concernés. Il est alloué aux pays, 1028 dollars par soldat et ce, selon les standards onusiens. Toutefois, chaque pays est libre de la gestion de cette rémunération supplémentaire.

Il se trouve des pays qui la reversent intégralement à leurs soldats en mission, d’autres qui n’octroient qu’une partie seulement, et enfin, une dernière catégorie qui ne «libère» rien. Tout est donc fonction des contingences. Pour ce qui est de la Misca qui n’est pas d’une exigence particulière sur les standards de déploiement des contingents de maintien de la paix à l’extérieur, et qui n’appelle pas de nouveaux investissements particuliers, le Cameroun choisit de reverser l’intégralité de la «prime» à ses soldats.

A ce jour, la Misca a payé le demi mois de décembre 2013 et l’intégralité du mois de janvier 2014. En son temps, le contingent camerounais n’a eu aucun mal à percevoir lesdites primes. L’atmosphère devient lourde quand, confrontée à des difficultés financières, l’UA ne parvient plus à s’acquitter de ses charges mensuelles.

De février à septembre 2014, soit durant 8 mois, elle ne verse aucun radis au Cameroun, pas plus qu’à un autre pays qui a déployé son contingent dans le cadre de la même opération. «Pendant la même période, d’autres Etats, qui avaient déployé des contingents en Centrafrique et qui n’avaient pas les contingences du Cameroun avec son entrée en guerre contre Boko Haram, ont continué à accorder un certain traitement à leurs soldats en attendant les déblocages de fonds de l’Union Africaine.

On peut comprendre que le déficit de communication aidant, cette situation a créé, à tort, des frustrations chez nos soldats, car cette responsabilité incombait à l’Union Africaine et non au gouvernement», indique une source militaire. Chaque soldat est donc passé à la caisse, empochant un montant de 5 millions Fcfa.

A charge au Cameroun de se faire rembourser par l’Union Africaine. Va pour la Misca. L’autre grincement de dents tourne autour des primes de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations-Unies en République Centrafricaine (Minusca). Sous mandat onusien, elle a pris le relais de la Misca en septembre 2014. Pour le Cameroun, dont l’intérêt stratégique de disposer d’un contingent en Centrafrique va au-delà du simple maintien de la paix dans ce pays, il fallait remplir des critères stricts pour faire partie de la Minusca.

«Si vous voulez faire partie d’une mission de paix onusienne, il y a un cahier de charges à remplir pour chaque contingent. Il concerne aussi bien le matériel militaire que les conditions d’hébergement des soldats qui doivent tous vivre dans des containers spécialement fabriqués à cet effet. L’Onu tient au respect des normes et contrôle régulièrement les contingents déployés.

Au finish, les pays qui participent aux Missions de la paix en tirent avantage non seulement en matériel et en expérience, mais ils sont éligibles pour les nouvelles missions», explique un diplomate onusien. Plusieurs pays en ont d’ailleurs fait leur spécialité en Afrique. Parmi ceuxci, l’on retrouve le Ghana, le Burundi et le Sénégal qui dispose de toute une brigade dédiée aux missions de la paix.

«C’est une importante source de revenus pour plusieurs pays. Avec une prime de 1028 dollars par soldat, certains pays dégagent des marges suffisantes pour leur armée», renseigne toujours le diplomate onusien. Pour la Minusca, le moins que l’on puisse dire est que le contingent camerounais de la Misca qui devait passer sous commandement de la Minusca, n’était pas à jour. Que faire ? Selon nos informations, le gouvernement a engagé une partie des fonds attendus de l’Onu dans le cadre de cette opération, pour se mettre à niveau.

C’est la raison pour laquelle en février 2015, Paul Biya a habilité le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire à signer, avec la Commerzbank Paris, une convention financière d’un peu plus de 30,5 milliards Fcfa destinés au projet de participation du Cameroun aux opérations de maintien de la paix en République centrafricaine (RCA).

Dans les faits, les fonds de contrepartie versés par l’Onu au Cameroun dans le cadre de la Minusca servent en ce moment à rembourser la garantie donnée par Commerzbank Paris à des sociétés qui ont équipé le contingent camerounais. Donc, le Cameroun a pris l’option, comme de nombreux autres pays, de s’équiper avec les fonds de l’Onu.

C’est un choix souverain qui n’est pas nouveau, compte tenu du matériel des armées africaines. «Désormais, le Cameroun peut déployer partout un contingent aux normes onusiennes», informe un diplomate. Quid des soldats du contingent ? Le gouvernement a décidé, en dépit de cette situation exceptionnelle, de leur allouer un supplément salarial de 250.000 Fcfa qu’ils perçoivent depuis le lancement de la Minusca.

«Certains soldats n’ont pas compris que les choses avaient changé en passant de la Misca pour la Minusca. Est-ce de leur faute ? Est-ce un déficit d’information du Haut commandement ? Il faudra tirer les leçons et les conséquences. En tout cas, les soldats qui les ont relevé en août 2015 ont bien compris de quoi il s’agit», affirme une source haut placée dans les services de sécurité.

Interogation

Le Haut commandement de l’armée était-il informé des remous dans la troupe ? Oui, selon nos informations. Il avait même pris les devants pour convoquer une réunion le 9 septembre 2015 à Yaoundé, au cours de laquelle le chef d’Etat-major des armées, le général René Claude Meka, devait prendre la parole.

Mais la venue à Yaoundé du patron de la Force Multinationale Mixte (FMM), le général nigérian Iliyasu Isah Abbah, a bouleversé le calendrier. Ce renvoi a alors été perçu par certains soldats du contingent comme la preuve de ce que leur argent avait été détourné.

«Nous étions 800 environ à avoir répondu présents à la convocation au Cfta. Quand la rencontre a été reportée, beaucoup de camarades n’étaient pas contents, mais nous avons choisi de retourner dans nos unités en attendant la prochaine convocation. Mon idée est que, s’il y a eu tout ce désordre, c’est que nos chefs militaires n’ont pas pu tenir leurs hommes. S

i mes camarades sont sanctionnés, et ils le seront certainement, il n’y a aucune raison que nos chefs militaires ne le soient pas. C’est à eux de tenir leurs hommes, là aussi, ils ont pêché. Mais pour être honnête, nous avons franchi la ligne rouge», explique un soldat du contingent 2013, rencontré au Cfta de Yaoundé. Pour rappel, les militaires qui ont achevé leur formation militaire en 2013, constituent le noyau du contingent des forces camerounaises déployées en RCA dans le cadre de la Minusca et remplacé en août 2015.

Auteur: Raoul Guivanda