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Contribution sur les terminaisons d’appels au Cameroun

Dim., 25 Oct. 2015 Source: Rudolf Ndjeng Ekambi

C’est avec un intérêt particulier que nous avons suivi le forum tenu au Hilton Hôtel de Yaoundé le 08 octobre 2015, à l’initiative d’un des opérateurs locaux de téléphonie mobile, sous le haut patronage du premier ministre représenté par le tout nouveau ministre des postes et télécommunications. Nous espérons que cette contribution permettra d’apporter quelques éléments d’appréciation pour mieux éclairer au regard de ce qu’est la terminaison d’appels.

C’est quoi la terminaison d’appels téléphoniques ?

Il faut noter d’entrée de jeu que cette expression n’intervient que quand plus d’un opérateur entre en jeu dans le processus d’appel téléphonique. De manière schématisée, un appel téléphonique est composé d’un départ d’appel mis en place par l’opérateur téléphonique de l’appelant qui le transporte au point de terminaison mis en place par l’opérateur final en vue de délivrer ledit appel à l’appelé.

La terminaison est donc le coût de transmission facturé par l’opérateur de l’appelé à l’opérateur de l’appelant pour faire transiter cet appel sur son propre réseau. Il peut s’agir d’une terminaison nationale (entre opérateurs dans le même pays) ou d’une terminaison internationale (de l’opérateur d’un pays X vers l’opérateur d’un pays Y). Le deuxième cas de figure est celui qui nous intéresse, et sa mise en place intègre des moyens utilisés dans la téléphonie conventionnelle commutée ou des moyens résultants des évolutions techniques et technologiques comme internet.

De nos jours, la terminaison d’appels à l’international utilise beaucoup plus les moyens résultant des avancées techniques et technologiques notamment la VoIP -que nous pouvons simplement définir comme la voix sur internet-. Le système de terminaison fait intervenir des connexions physiques et logiques. Donc, des équipements entre autres desquels peuvent -pas forcément- intervenir les passerelles GoIP (que les opérateurs de téléphonie préfèrent appeler simbox pour on ne sait quelle raison).

Autre précision : dans le cadre des appels internationaux, au-delà des opérateurs, un troisième intervenant entre dans la chaîne et il est communément appelé «carrier » ou encore transporteur. C’est par exemple le cas du belge Belgacomm International Carrier Services, du français France Télécoms et de l’américain AT&T, tous les trois étant très actifs auprès de nos opérateurs locaux dans leur trafic téléphonique à l’international. La qualité des appels voix transmises par ces carriers est appelée CLI (Caller Line ID) avec des coûts très élevés pour l’appelant. CLI parce que l’identité téléphonique de l’appelant est transporté jusqu’au point livraison.

C’est quoi une passerelle GoIP -GSM sur IP- (ou simbox) ?

La « Simbox » est une passerelle qui permet de transférer les appels IP vers les réseaux GSM et inversement. Elle est utilisée normalement en entreprise dans son environnement téléphonique.

Appelé en anglais, Gateway over IP (GoIP), ce boitier électronique dispose de plusieurs cartes SIM pour se connecter au réseau GSM. Dans le cadre des appels internationaux entrants, les "Simboxers" l’utilisent pour offrir les services de « carrier » comme ceux proposés par Belgacomm, France Télécoms ou encore AT&T avec des résultats parfois pas très différents de ceux de ces grands transporteurs, mais souvent approximatifs compte tenu des contraintes auxquelles ces « carriers » locaux doivent faire face.

Leurs offres sont appelées NCLI et ont des prix très abordables pour l’utilisateur appelant. On les appelle Non CLI parce que l’identité de l’appelant n’est plus considérée. Le NCLI est très prisé sur le marché téléphonique à l’international, quel que soit le pays de terminaison.

La terminaison d’appels à l’international s’applique donc aux pays et aux marchés composés de nombreux immigrés qui veulent appeler leur pays d’origine en bénéficiant des tarifs avantageux. La tentation n’était d’ailleurs pas grande, dans un passé récent, pour la plupart d’entre nous d’aller dans un callshop appeler un des nôtres, expatrié vers quelque contrée lointaine, entendu que le coût de l’appel d’un callshop équivalait généralement et tout au plus au quart d’une communication directe lancée à partir de notre propre téléphone. C’est exactement le même processus qui est mis en place, à la différence qu’avec les évolutions aujourd’hui, l’appel est lancé directement à partir du téléphone de l’appelant.

La problématique qui est la nôtre aujourd’hui trouve son origine dans la libéralisation des activités de télécommunications, libéralisation qui a entrainé la mise en place des réseaux GSM, elle-même ayant favorisé à son tour, l’émergence des services à valeur ajoutée. Pour harmoniser le secteur des télécommunications, l’Etat a mis en place un arsenal fixant les règles auxquelles tous les acteurs sont astreints avec des organes pour réguler ce secteur, mais aussi arbitrer entre les différents acteurs du domaine. Ce sont l’Agence de Régulation des Télécommunications, mais aussi l’ANTIC.

La loi n°2010/013 du 21 décembre 2010 par exemple régissant les communications électroniques au Cameroun en son tout premier article,

« - vise à promouvoir le développement harmonieux et équilibré des réseaux et services de communications électroniques, en vue d’assurer la contribution de ce secteur au développement de l’économie nationale, et de satisfaire les besoins multiples des utilisateurs et de la population ; - fixe les modalités d'établissement et d'exploitation des réseaux ainsi que de fourniture des services de communications électroniques dans le respect des prescriptions exigées par la défense nationale et la sécurité publique ; - encourage et favorise la participation du secteur privé au développement des communications électroniques dans un environnement concurrentiel ».

Le décret n°2012/1640 PM du 14 juin 2012 complétant la loi citée plus haut fixe pour sa part les Conditions d’accès aux réseaux de communications électroniques ouverts au public et de partage des infrastructures, et est assez exhaustif sur la question d’interconnexion entre les différents acteurs du secteur. Point n’est plus besoin de rappeler les termes et expressions majeurs autour desquels s’articule ce décret : Interconnexion entre différents acteurs, saine concurrence, égalité dans la tarification, interdiction de pratiques anticoncurrentielles, interopérabilité des services, obligation à la demande d’interconnexion, etc.

Seulement, dans la pratique mais comme le veut pourtant la loi - qui « s'applique aux différentes prestations en matière de communications électroniques sur le territoire national, réalisées par toute entreprise de communications électroniques quels que soient son statut juridique, le lieu de son siège social ou de son principal établissement, la nationalité des propriétaires, de son capital ou de ses dirigeants » -, les opérateurs supports que sont les compagnies de téléphonie trouvent qu’il s’agit de concurrence déloyale avec pour justification que les compagnies de services à valeur ajoutée se retrouvent sur le même secteur d’activité qu’eux, ces opérateurs de téléphonie mobile.

La terminaison d’appels est-elle illégale au Cameroun ?

Au regard de la loi et du décret cités plus haut, l’activité relative à la terminaison d’appels n’est pas illégale au Cameroun en ce sens qu’elle est réglementée par la loi et des dispositions de l’ART, laquelle délivre une autorisation pour son exercice. Les opérateurs mobiles pourtant astreints à cette loi, ont du mal à octroyer aux détenteurs de licence (ou autorisation d’exercice) les moyens de réaliser les interconnexions. Ils le font par la mise en place des tarifs ou frais d’interconnexion prohibitifs, question de décourager toute velléité.

Pourquoi la Simbox ?

Fort du refus des opérateurs de signer avec eux des accords en vue de la mise en place saine de leur activité, beaucoup de personnes physiques ou morales ayant obtenu une autorisation d’exercice auprès de l’ART et compte tenu du refus manifeste des opérateurs de leur délivrer le moyen de s’établir convenablement, se lancent donc dans l’acquisition des passerelles GSM en vue de mettre en place leur activité.

Ils sont obligés pour ce faire d’utiliser les moyens mis à disposition par les opérateurs, à savoir les cartes SIM ainsi que le crédit de communication (qu’ils achètent auprès des opérateurs en question. Ceci vaut la peine d’être souligné). Les profits, ils les tirent des différents avantages promotionnels et tarifaires mis en place par les opérateurs. Le crédit téléphonique qu’ils utilisent, ils ne les volent ni ne les détournent.

Toute affirmation contraire est mensongère et vise simplement à distraire et à manipuler l’opinion sur la question. Plusieurs entreprises ont obtenu des licences mais n’ont malheureusement pas réussi à lancer leurs activités du fait des contraintes à eux imposées par les compagnies de téléphonie mobile.

Eclairage supplémentaire à apporter : Toute personne morale régulièrement constituée et à jour de sa situation administrative et fiscale, qui détient une autorisation de l'ART pour la terminaison d'appels et exerce l'activité de terminaison d'appels peut être en règle vis à vis de l'autorité légale (ART) mais en situation de fraude vis-à-vis de l'opérateur dont il utilise à des fins commerciales et de manière non autorisée les ressources matérielles ainsi que les supports.

Si l’activité est autorisée par l’ART mais « interdite » par les opérateurs (du fait de leur refus de se soumettre à la loi en favorisant l’interconnexion), la question est de savoir comment la sortir de l’ornière ? N'est-il pas question de trouver le moyen de faciliter leur installation par des procédures allégées tant du côté des opérateurs (obligation financières pour les opérateurs, un peu comme aux USA où l’opérateur y est astreint s’il ne répond pas favorablement, au bout de trente jours, à une demande d’interconnexion dont le cahier des charges est rempli) pour qu’ils deviennent des acteurs de l’économie en s’acquittant des impôts et taxes y relatifs notamment sur le chiffre d’affaires généré par l’activité ?

Relevons que l'administration camerounaise à travers l'ART, a rendu les procédures d'obtention des autorisations beaucoup plus simples et allégées. Les opérateurs prétendent effrontément que l’activité occasionne des pertes sèches de plus de 10 milliards de francs pour le Cameroun, sur des appels terminés au Cameroun : Le crédit utilisé n’est en aucun cas « fabriqué » par les opérants.

Ils se les octroient auprès des fournisseurs et partenaires de ces mêmes opérateurs. Le crédit utilisé par ces « carriers » nationaux acquis auprès des partenaires installés des opérateurs ne rentre-t-il pas dans le chiffre d’affaires déclaré par les mêmes opérateurs en question ? Si oui, en quoi cela constituerait donc un « manque à gagner » pour ces opérateurs ?

L’activité de carrier que ces opérateurs confient à des partenaires étrangers comme Belgacomm, France Telecoms, AT&T est-elle taxée par l’administration fiscale camerounaise ? Si environ 65 millions de minutes sont perdues chaque année comme ils le prétendent (Paradoxalement, ce sont des minutes qui sont utilisées et facturées localement et donc, sujettes à taxation par le fisc), combien sont facturées par ces carriers ?

En évaluant à 3 millions de minutes entrantes sur la marché camerounais quotidiennement et qui empruntent le chemin normal d’interconnexion mis en place entre nos opérateurs téléphoniques locaux et leurs « carriers », en faisant de simple simulations, quelle partie de ces montants contribue à l’accroissement de la richesse nationale, d’autant plus que c’est une activité dont les bénéfices sont absorbés par leurs maisons-mères pour certains en France, pour d’autres en Afrique du Sud ou aux USA ? Les impôts dont ils prétendent s’acquitter en général correspondent-ils au volume financier généré par cette activité particulière qu’est la terminaison d’appels internationaux ?

La terminaison d’appels telle qu’elle menée aujourd’hui est-elle un frein pour l’économie locale ? Non, en ce sens qu’elle y contribue positivement de manière directe et/ou indirecte. Les carriers nationaux versent de grosses redevances aux FAI dont ils constituent en général les principaux clients.

L’Etat perd-il de l’argent dans cette activité ?

Non. Nous l’avons souligné plus haut. En ce sens que le crédit téléphonique utilisé rentre dans le chiffre d’affaires que lui déclarent ces compagnies de téléphonie.

L’Etat peut-il gagner de l’argent ?

Oui, forcément. En forçant la main à ces opérateurs, des entreprises se mettraient en place, s’acquitteraient de leurs impôts, créeraient des emplois, contribueraient à l’augmentation de la richesse nationale. Pour plus d’une raison, l’effectivité de l’ouverture du marché CLI aux locaux aurait un impact très important pour l’économie locale, tant en matière de création d’emplois qu’en terme d’augmentation de la richesse nationale, entendu que la part de bénéfice réalisée serait tirée des marchés extérieurs. Un secteur d’activité assez structuré et bien surveillé par le régulateur générerait en termes d’emplois au moins 2000 de manière directe et encore plus de manière indirecte.

Il n’est point question ici de faire l’apologie d’un quelconque protectionnisme ou encore d’un certain favoritisme à l’égard des nationaux. Il est plutôt besoin de forcer la porte d’entrée d’un secteur que certains, en l’occurrence les multinationales, par les moyens colossaux dont ils disposent, ferment à d’autres au mépris des textes en vigueur, sous le fallacieux prétexte que ce secteur de marché est leur chasse gardée.

Auteur: Rudolf Ndjeng Ekambi