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Les 33 ans au pouvoir de Biya laissent les jeunes sans illusion

Ven., 6 Nov. 2015 Source: Josiane Kouagheu

Lorsque Nkemka naît le 15 avril 1984, Paul Biya, alors président de la République du Cameroun depuis deux ans, est en déplacement à Limbé, ville située au sud-ouest du pays. Son père, employé à l’Office national du cacao et du café à l’époque et tout content de cette visite, donne le prénom Paul à son fils né ce jour-là. Trente-et-un ans plus tard, Paul Nkemka le porte comme un « fardeau ». « Je n’ai rien à voir avec cet homme, lâche-t-il, amer. Après trente-trois ans au pouvoir, il n’a rien fait pour les jeunes et je ne veux plus parler de lui. Je ne comprends même pas pourquoi mon père m’a appelé Paul. »

Paul Nkemka préfère parler de ses combats quotidiens pour « vaincre la vie camerounaise ». Après sa licence en sciences économiques obtenu à l’université de Buea (sud-ouest) en 2006, le jeune homme cherche désespérément du travail. Il n’en trouve pas et finit par intégrer une ONG comme volontaire. Il y passe six mois, sans salaire. Il suit ensuite une formation en informatique durant un an. Toujours sans travail, il s’en va vivre chez un oncle à Douala, capitale économique. Il enchaîne alors de petits boulots : vendeur dans une boutique, employé dans une société immobilière et consultant.

En 2012, avec ses économies, il s’envole pour l’Angleterre où vit son frère aîné et obtient au bout de deux ans un MBA en corporate finance à la Cardiff Metropolitan University. « Après mon diplôme, il n’y avait malheureusement pas de boulot pour moi en dehors de nettoyeur de toilettes, porteur ou époux d’une vieille blanche, se souvient-il. La date d’expiration de mon visa approchait. Je suis retourné au Cameroun le 8 août 2014, avec à peine 100 livres en poche. » Paul dépose des centaines de demandes d’emplois, sans succès.

Le parcours de Paul Nkemka ressemble à celui de nombreux jeunes Camerounais. Depuis son accession au pouvoir le 6 novembre 1982, Paul Biya a promis des milliers d’emplois à la jeunesse. Trente-trois années plus tard, les jeunes, qui représentent pourtant plus de la moitié de la population, semblent vivre sans illusion : 55 % d’entre eux sont au chômage.

« Au Cameroun, il ne faut compter sur personne d’autre en dehors de soi-même. Même pas sur Paul Biya qui est censé créer des emplois pour nous », explique Marthe Djoussé, assise sur un banc en plein air au marché central de Douala. A 32 ans, cette coiffeuse a interrompu ses études en classe de deuxième année Education sociale et familiale (ESF), faute d’argent.

Agée de 17 ans et consciente de la pauvreté de ses parents, Marthe Djoussé trouve un emploi de baby-sitter dans une famille. Maltraitée par ses employeurs, elle démissionne. « J’ai trouvé un autre boulot comme gérante d’une cabine téléphonique. Mon patron ne me payait pas normalement, raconte-t-elle. J’ai encore démissionné et trouvé un autre travail dans un bar comme vendeuse. J’ai économisé et suivi une formation en coiffure durant deux années. »

En 2010, Marthe, munie d’un parapluie, d’un banc, d’un peigne et d’un miroir, s’installe au marché central comme coiffeuse. « Aujourd’hui, je gagne parfois 1 500 F (environ 2 euros) par jour, parfois rien, soupire-t-elle. Ce n’est pas assez. Mais cet argent me permet de payer mon loyer à la fin du mois et de nourrir mes deux enfants, même si on dort souvent le ventre vide. » Marthe Djoussé a un « grand » rêve : ouvrir son propre salon de coiffure. « Quand j’étais petite, je rêvais de travailler dans une grande entreprise comme employée, glisse-t-elle. Je sais que c’est impossible aujourd’hui, car même les plus diplômés n’ont pas d’emplois au Cameroun. »

Si Marthe a abandonné ses rêves d’enfant, Derick Tsum est sûr de réaliser les siens « à tous les prix ». A 23 ans, ce conducteur de mototaxi (appelé bendskin au Cameroun) veut devenir soldat. Orphelin de père et de mère depuis l’âge de 13 ans, Derick a abandonné les études en classe de quatrième. Il a travaillé dans la forêt comme coupeur de bois et porteur avant de s’installer à Douala. Mais, son cœur est ailleurs. « Je veux devenir militaire, implore-t-il. Si ce n’est pas possible, je serai policier ou gendarme. Je veux combattre le mal ». Lequel ? « Tout ce que le gouvernement a installé pour que les jeunes soient si malheureux », répond-il.

Fatigué de chercher du travail, Paul Nkemka a pour sa part créé sa société il y a un mois : Invest In Africa Ltd, dont l’objectif est de concevoir des projets et plans d’affaires pour les jeunes entrepreneurs. Il fait face à un autre problème : les financements. Solliciter une aide auprès du gouvernement ? « Jamais je ne le ferai, jure-t-il. Même s’il me donne de l’argent, je ne le prendrai pas. Ce gouvernement a assez fait de mal aux jeunes. »

Auteur: Josiane Kouagheu