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Au delà de la lutte contre Boko Haram, l'urgence du développement

Tue, 10 Nov 2015 Source: Hervé BAR

Dans l'Extrême-Nord du Cameroun, la priorité est à la lutte contre les islamistes nigérians de Boko Haram. Mais au-delà de la question sécuritaire, il y aussi l'enjeu humanitaire et du sous-développement de la région, premier terreau de la radicalisation, soulignent les spécialistes de l'aide.

"Depuis début 2015, il y a eu une intensification des attaques de Boko Haram qui a eu des conséquences catastrophiques pour toute la région", explique Najat Rochdi, coordonnateur humanitaire de l'ONU au Cameroun. "Les répercussions, dit-elle, sont immédiates sur le quotidien des paysans".

Chassés de leurs fiefs du nord-est du Nigeria par une offensive des armées de la région, les insurgés de Boko Haram multiplient attentats suicide et incursions sanglantes au Cameroun voisin, dans la région de l'Extrême-Nord, où l'armée est déployée en masse le long de la frontière.

Dans la ville de Maroua, capitale de l'Extrême-Nord en guerre, l'activité parait presque normale, si ce n'est l'omniprésence des forces de sécurité. Motos et mobylettes sillonnent les rues poussiéreuses. Quelques 4X4 se font un chemin entre les trous sur la chaussée défoncée et ensablée, les rues ombragées par de grands arbres nimiers sont les plus animées. La saison sèche commence à peine, les plaines autour de la ville sont encore presque verdoyantes.

"Ne vous y trompez pas, Maroua fonctionne au ralenti", corrige le responsable d'une ONG locale. "C'est toute l'économie locale qui est sinistrée, dans une région traditionnellement délaissée par le sud depuis des années".

Sous un climat sahélien semi-aride, l'Extrême-Nord, pourtant l'une des régions les plus densément peuplées du Cameroun, est aussi l'une des plus pauvres, avec peu d'infrastructures, beaucoup de chômage, un faible niveau d'instruction, une forte pression démographique, etc... Les habitants y vivent essentiellement de la petite agriculture, de l'élevage, de l'artisanat, autrefois du tourisme.

La fermeture des frontières avec le Nigeria "a littéralement asphyxié l’économie déjà très faible", entrainant une hausse des prix des produits de base importés, notait mi-2015 un rapport d'une ONG chrétienne.

"Les marchés de la région ne fonctionnent plus, vers la frontière les paysans ne peuvent plus cultiver, leur bétail est pillé ou parfois même abandonné, des villages sont désertés, le chômage explose...", énumère la représentante de l'ONU.

- Inondations -

Le transport routier sur l'axe Maroua-N'Djamena, cordon vital qui traverse le Cameroun du sud au nord jusqu'au Tchad, a considérablement baissé, frappant là aussi de plein fouet l'économie locale.

Selon les derniers chiffres de l'ONU, la région accueille près de 60.000 réfugiés nigérians, dont 49.000 dans le seul camp de Minawao, et 92.000 déplacés internes. Ces déplacés, Camerounais, ont fui pour la plupart l'insécurité sur la zone frontalière, mais aussi les dernières inondations, dont témoigne encore l'immense ouest asséché qui serpente dans la ville de Maroua.

Les enquêtes montrent que le nombre de personnes vulnérables à l'insécurité alimentaire -chronique dans la région- est passé de 900.000 à 2 millions, avec une malnutrition très nettement en hausse.

"C'est toute la cohésion sociale qui est mise à mal, ce qui crée un terreau fertile pour le recrutement de Boko Haram", s'alarme Mme Rochdi.

"L'ancrage de la radicalisation ici n'est pas jihadiste, mais économique et sociale. C'est le désespoir et la pauvreté qui jettent ces gens dans les bras de Boko Haram", ajoute-t-elle pointant le "sentiment d'abandon" des populations ces dernières années face "la faiblesse de l’Etat camerounais dans l’Extrême-Nord".

"L'approche sécuritaire seule ne résoudra pas le problème", estime la responsable onusienne, qui insiste sur la "nécessité d'une approche intégrée, avec une montée en puissance de l'aide humanitaire".

Cela passe par des programmes de distributions de semences, de réhabilitation de marchés, de cohésion sociale, de prévention des conflits... "Tout cela permettra de préparer un retour à la normale, c'est le seul gage d'un retour à la stabilité", conclut-elle.

Au-delà du retour à la sécurité, il s'agit de "recréer de l'économique dans un territoire en faillite", a souligné mardi au cours d'une visite à Maroua la Secrétaire d'Etat française au Développement et à la Francophonie, Annick Girardin.

La lutte contre Boko Haram "passe par une vraie prise en compte de la faillite économique de cette région et le soutien à sa jeunesse. Il faut épauler les ONGs, redonner de l'activité, des revenus", a plaidé Mme Girardin.

Auteur: Hervé BAR