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RDPC de Fame Ndongo et l'esthétique de la médiocrité

Pr Boulou Ebanda De B'béri Pr Boulou Ebanda de B'béri

Lun., 29 Août 2016 Source: Boulou Ebanda nya B’bedi, Ph.D

«Notre vie commence à s'arrêter quand nous décidons de garder le silence sur les choses qui doivent compter pour nous!» (Martin Luther King Jr.)

Chaque citoyen camerounais qui se lève le matin sans eau, se couche le soir avec sa lampe à pétrole ou ses bougies de cire et qui, lorsque malade, se démerde pour se rendre dans un hôpital par des routes mouroirs, ce citoyen, avec raison, a le droit de s’interroger sur la logique derrière les refrains fictifs des grandes réalisations et des grandes ambitions qui chatouillent ses oreilles. Chaque citoyen camerounais qui réfléchit peut se demander ce qui se cache derrière ces expressions de servilité amblyopique, souvent gauches d’ailleurs, de certains hommes de lettres sensés servir notre pays, sensés être des modèles d’humilité, de rigueur intellectuelle, d’éthique et de moralité.

Je ne me permets pas souvent d’élever une plume critique directement contre des acteurs précis du gouvernement de ce pays qui est le mien. Toutefois, après avoir écouté le bilan politique fabulé de quelques sbires, «propriétaires» du RDPC, après avoir entendu sonner le tocsin d’éloges d’un créateur dont l’humilité, la modestie spirituelle et même l’âge interdiraient en réalité de se réclamer autant de courbettes, je me suis souvenu de cette phrase de Martin Luther King Jr. «Notre vie commence à s'arrêter quand nous décidons de garder le silence sur les choses qui doivent compter pour nous!»

Aujourd’hui, parce que l’éducation et l’enseignement supérieur comptent vraiment pour moi, j’aimerais adresser mon intervention à un baron particulier du RDPC, le Professeur des universités et ministre de l’Enseignement supérieur. En effet, le Professeur Fame Ndongo est l’un de ces acteurs politiques que nous, universitaires, aurions espéré admirer, voir comme notre modèle d’excellence, une figure à l’éthique exemplaire; mais hélas, c’est tout le contraire et cela fait très mal, car justement, sa posture d’intellectuel a laissé place à la médiocrité et aux mensonges, littéralement!

Monsieur le ministre, Professeur, être intellectuel, c’est être un Homme libre capable non seulement de faire la part des choses entre ce qui est juste et injuste, mais surtout de raisonner sur le juste et l’injuste, même si ce raisonnement lui fait mal, même s’il écorche quelques sensibilités à l’intérieur de sa propre famille, même politique. Être ministre et professeur des universités c’est avoir le pouvoir de dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas; c’est pouvoir mobiliser une posture éthique, en premier lieu, dans toutes les actions gouvernementales sous notre responsabilité.

C’est ce que firent, très récemment, quelques voix dissonantes des Honorables Ibrahim Mbombo Njoya et Mohaman Gabdo, dans leur réflexion sur l’avenir de notre pays et le rôle de votre parti. C’est aussi ce que, aujourd’hui, fait très souvent l’Honorable Martin Oyono. C’est ce que fit aussi le Président de la république, S.E. Paul Biya, en renvoyant le Code pénal aux Honorables députés pour qu’ils le réexaminent. Voyez-vous, cela s’appelle avoir du discernement, être diacritique. Cette incapacité critique de l’intellectuel que vous êtes, pourtant, m’interpelle au point de me rendre malade. Vos éloges et refrains de grandes réalisations toutes fantasmagoriques, vos dons d’ordinateurs au nom du Président de la république, m’indisposent, car vous pouvez faire mieux, vous êtes bien mieux.

Soyons factuels: lorsque votre parti est arrivé au pouvoir, le Cameroun comptait une compagnie de transport aérien, trois aéroports de calibre international, une société de transport ferroviaire et un système d’éducation postsecondaire qui faisaient la fierté de toute l’Afrique noire, surtout toute la sous-région francophone. Aujourd’hui, tout ceci est sur le point de disparaitre, ou presque... L’aéroport « international » de Douala n’est plus qu’un nom. De EDC à la SONEL en passant par toutes les entreprises privées qui ont précédé ENEO, en ce début du 21ème siècle, le Camerounais n’a jamais bénéficié de l’autosuffisante énergétique.

De la Régie Fercam à Camrail, il y a plus de roseaux qui poussent le long des rails que de trains, et pas un seul pouce de rails supplémentaire n’a été construit; au contraire, elles ont fermées. La société Camair est morte et enterrée et Camair-Co bat toujours de l’aile et ce, malgré les milliards de francs injectés pour sa survie. Mais le plus grave c’est la honte; la honte qu’au Cameroun, encore aujourd’hui, l’eau potable est restée une denrée rare voire parfois totalement absente.

Monsieur le ministre, Professeur, on meurt encore chez nous des maladies hydriques disparues dans nombre de pays d’Afrique moins nantis que le Cameroun depuis au moins de 50 ans.

Avec de tels faits, l’intellectuel intègre ne lancera pas d’éloges à sa famille politique. Il ne transformera pas des résultats médiocres en faits positifs, surtout quand:

• l’Indice du développement humain (IDH) classe son pays 153ème/188 ; un des pays les plus endettés au monde dont plus de la moitié de la population vivrait entre la pauvreté et l’extrême pauvreté;

• les salaires de plusieurs de ses jeunes fonctionnaires sont souvent payés avec des mois, parfois des années de retard et, avec des bons de caisse de surcroit, car moins de 10 % de la population détient un compte bancaire

• pour des raisons mystérieuses, son État peine à se moderniser, ses hauts fonctionnaires ayant encore des coffres forts d’argent liquides dans leurs bureaux, comme au 19ème siècle, participant ainsi la pioche facile dans la caisse;

• tous les rapports internationaux classent son pays parmi ceux dont l’administration est l’une des plus corrompues au monde, 136ème /172;

• malgré sa croissance économique positive, année après année, son pays continue de dégringoler du classement des Pays favorables pour faire les affaires (Doing Business), moins quatre rangs (-4) 168ème/189 en 2015, aujourd’hui 172ème;

• la mortalité infantile est une des plus élevée au monde, avec près de 54 décès pour 1000 naissances, 30ème rang, proche des pays qui sont en guerre ou sortent des décennies de guerre civile;

• son réseau ferroviaire ne couvre que 1 000 km, et qu’à peine 4100 sur 51 300 km de routes sont bitumées, et encore, pour un pays de plus de 23 millions d’habitants ce qui explique la multiplication des accidents mortels de la route…

Au contraire, un intellectuel qui place l’éthique en priorité dans toutes ses interventions publiques, monsieur le Ministre, Professeur, reconnaitra son échec, sa trahison de l’idéologie à la base duRenouveau et la Politique communautaire qui un jour l’anima. Vous, vous faites le contraire avec une incompétence endémique qui ne rend même pas justice à votre champion, votre créateur, le Président de la république.

Aujourd’hui, en 2016, les Camerounais peuvent rejouer toutes vos vieilles rengaines de «Santé pour tous en l’an 2000… en passant par les Grandes réalisations… et à présent les Grandes ambitions… et constater qu’ils ne sont que des slogans fantasmatiques de l’ordre de la mystique.» Pourtant, le gouvernement du Cameroun et le RDPC s’adjoignent d’hommes compétents et intègres.

Où avons-nous raté le train, Professeur ? Comment se fait-il qu’un homme de votre trempe soit incapable de dire au peuple comment faire pour trouver de l’eau potable, comment faire pour avoir l’électricité tous les jours… avez-vous oublié que c’est dans des universités et des écoles supérieures que les conditions et possibilités d’un développement national durable s’articulent? Avez-vous oublié que c’est à l’intérieur des universités qu’on réalise des projets d’études sur la santé des populations, les énergies renouvelables, l’économie du savoir, l’innovation sociale, l’urbanisation et les villes intelligentes, sur les arts et la culture ?

C’est aussi dans les universités qu’on étudie de nouvelles techniques pour améliorer les performances sportives et exceller sur les podiums internationaux, la productivité en agriculture…? C’est dans des centres, laboratoires et groupes de recherche universitaires qu’on crée le développement d’un pays. Où avons-nous loupé le train, monsieur le Ministre, Professeur? Sous votre gouverne, notre enseignement supérieur a perdu tout son prestige alors qu’il faisait notre fierté. Qu’elle est donc votre feuille de route pour sortir les institutions universitaires du Cameroun du marasme, de l’esthétique de la médiocrité politique dans laquelle vous les avez plongés?

Oui, j’aimerais savoir, monsieur le Ministre, Professeur, quels sont vos plans pour rehausser le pourcentage d’échec des enseignants camerounais aux concours CAMES ? Etes-vous préoccupé du fait que plus de 50% (65% en 2016) de vos enseignants sont recalés à ce concours, année après année ? Quels sont vos plans pour redresser le bilan exécrable énoncé dans le rapport du Syndicat national des enseignants du Supérieur (SYNES) en mars dernier? Que faites-vous du fait qu’aucune université sous votre gouverne ne figure dans les tops 100 du continent Africain, alors que de petites nations comme le Malawi, des pays pauvres comme Madagascar ou le Bénin, et même des pays qui ont vécu des tragédies socio-politiques graves et bouleversements comme le Soudan, le Rwanda et l’Égypte ont leurs institutions universitaires dans la top-liste ? Et le Cameroun, le grand absent!

Le «Libéralisme communautaire» ainsi que la «Rigueur et la moralisation» nous avaient pourtant tous fait rêver. On y parlait d’une agriculture moderne, du développement des affaires, de la justice sociale et de la bonne gouvernance. Mais nous voici, une trentaine d’années plus tard et toujours RIEN!!! Votre créateur, année après année, ne cesse d’ailleurs de se demander, ce que vous, ses collaborateurs, en avez fait ; pourquoi vos budgets ne sont pas souvent utilisés, pourquoi tant d’immobilisme…

«Je crois que nous avons des progrès à faire sur deux points importants: la primauté de l’intérêt général et la coordination de nos efforts.» (Paul Biya, 2013).

Un citoyen éthique, humblement, reconnaitra ses propres lacunes, ses limites et ses échecs, car c’est de cette reconnaissance que naîtront les conditions et possibilités d’un développement pour tous! Tout autre posture acritique ne serait rien de moins qu’une gestation de la médiocrité, quel dommage pour un pays riche en talents et en compétences comme le Cameroun! Si vous n’avez rien de nouveau à proposer que des dons d’ordinateurs, si vous ne pouvez pas relever les défis de l’enseignement supérieur du 21ème siècle, si vous ne pouvez pas garantir des emplois aux gradués de nos universités et grandes écoles, il serait évidemment sage de céder votre place à quelqu’un d’autre.

Faire l’autruche n’est certes pas une solution sage, car les Camerounais aiment la paix, mais ils ne sont pas dupes. Je vous encourage à ouvrir vos oreilles et à écouter ce qui se dit et se fait ailleurs sur le continent, à vous instruire sur l’évolution incontournable de nos nouvelles sociétés « androïdes ». La survie du RDPC dépendra de son évolution et sa capacité d’épouser le changement réel, et son ouverture sur d’autres mondes. Nous sommes déjà au 21ème siècle monsieur le Ministre, Professeur Jacques Fame Ndongo, entrez-y donc avec nous!

Boulou Ebanda nya B’bedi, Ph.D.

Professeur titulaire et Directeur de recherche

Auteur: Boulou Ebanda nya B’bedi, Ph.D