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Entre justice privée et justice politique

Scène De Justice Cameroun Une scène de justice privée au cameroun

Lun., 27 Févr. 2017 Source: Olivier Tchouaffe

La lecture de deux articles sur la justice “privée” au Cameroun - Cour suprême/Daniel Mekobe Sone (Premier Président de la Cour suprême): «La justice privée est une dérive intolérable dans un État de droit», et Jean François Belibi: «Cameroun, justice populaire, ces dérives qui dérangent»- la question de justice privée devient aussitôt nécessaire et démontre le caractère quasi inévitable d'un débat plus approfondi sur la clarification essentielle dans un État voulu de droit entre l'état de la justice et l'équilibre des pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire au Cameroun.

Maintenant, il devient urgent de faire une distinction claire de la séparation des pouvoirs qui doit régner entre l'exécutif, le législatif, et le judiciaire au Cameroun.

En effet l'infini pouvoir exécutif à travers son état policier de la répression s’invite pratiquement dans tous les aspects de la vie des camerounais et s’octroie même désormais le pouvoir de supprimer le droit à Internet - qui est en fait un droit basique de la liberté d’expression et d’association au Cameroun - en violation de la Charte de Nations Unies sur les droits humains. Le pouvoir exécutif s’arroge ainsi tous les droits dans le pays. La branche exécutive est composée de légions de bureaucrates qui jouissent de la sécurité d'emploi et ne peuvent être révoqués que sur ordre du Président. L'exécutif est de facto l'autorité légale qui écrit et interprète ses propres statuts. Dans sa propre sphère d'influence, l'exécutif agit en tant que législateur, procureur et juge. Dans ce régime appelé « présidentialiste au pouvoir renforcé » qui signifie fondamentalement que le Président se conçoit comme un monarque avec un pouvoir absolu. Dans ce contexte, le législatif sert de chambre d'enregistrement et le judiciaire n'a pas d'indépendance.

Le pouvoir exécutif travaille non pas pour le bien du peuple mais uniquement pour sa seule pérennisation.

Cela signifie que toute la bureaucratie sert à faire plaisir et à satisfaire le Président. La seule loi est celle de l'auto-préservation et du plaisir du chef. C'est ainsi que Marafa Hamidou Yaya est embastillé car, selon ses propres mots, il avait demandé au président de ne pas se présenter à la dernière mascarade électorale qui tient lieu d'élection présidentielle au Cameroun. D'autres membres de l'élite bureaucratique et des affaires tels que Jean-Marie Atangana Mebara et Yves Michel Fotso croupissent en prison sacrifiés à cause de “L'Albatros," ce fameux avion présidentiel qui n'aurait jamais réussi à voler. Le Président comme principal instigateur de cette acquisition d'un avion défaillant en violation du Fonds Monétaire International (FMI) n'a évidemment jamais eu à expliquer son rôle dans cette échec qui aurait même failli lui coûté la vie ainsi celle que sa famille.

Et concernant le lynchage ou la justice "privée" qui se répand dans le pays, le gouvernement devrait être responsable de la sécurité des citoyens, la sécurité étant considéré comme un droit inaliénable. S'il est louable que le Président de la Cour suprême mentionne la justice «privée», un Président de la Cour suprême n'est pas un policier. Son rôle consiste à interpréter puis de juger conformément à la loi, et non de descendre dans les rues pour arrêter lui-même ou inciter à arrêter les lyncheurs.

À maintes reprises le pouvoir exécutif s’est de la sorte défaussé sur la justice au Cameroun pour régler des problèmes qui révèlent de son incompétence notoire, puis trancher des querelles politiques qui n’ont rien à voir avec les détournements de fonds publics comme l'affaire Marafa. Avec l'équivalent de tout un gouvernement en prison, le président aurait naturellement dû nous expliquer pourquoi cette situation se produit uniquement dans notre pays, mais il n'en a jamais ressenti le besoin et cela n'encourt aucune conséquence. C'est un mode de fonctionnement qui a participé à la légalisation l'incompétence qu'il prétend combattre. Ainsi donc, dans la pratique, rendre ou faire des affaires (gouvernementales) de corruption de banales faits divers sans conséquence participe en réalité de cette culture politique de la «défausse présidentielle», par laquelle le président continue indéfiniment de «pass the Buck» (comme on dit en anglais), c’est-à-dire de se défausser de sa responsabilité sur les autres.

Appliquées à la justice dite “privée” au Cameroun, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire doivent simplement enfin accepter d'assumer leurs responsabilités puis de rendre compte. Par exemple, le pouvoir législatif doit cesser d'abdiquer de ses missions. Cela commence par le vote sur des questions fondamentales comme la limitation du mandat présidentiel. La nomination de personnalités de haut rang doit être examinée et confirmée par le Sénat comme aux États-Unis pour s'assurer que des responsables compétentes sont promus pour faire le travail attendu et que cela s'accompagne d'une réelle réforme ou évolution de la fonction publique.

Le judiciaire doit juger la loi et ne pas se lancer dans la résolution de conflits politiques ou de problèmes de « justice privée », notamment lorsque le gouvernement abdique comme au Cameroun de sa responsabilité d'assurer la sécurité des gens ordinaires en manipulant prioritairement la justice pour embastiller des gens compétents qui font de l'ombre au Président Paul Biya.

Auteur: Olivier Tchouaffe