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Troublantes révélations sur l'histoire du Cameroun

Achille Mbembe 2 Pour éviter la sécession, il faudra procéder à une refonte radicale de l'état - Achille Mbembe

Dim., 25 Juin 2017 Source: Achille Mbembe

M. Paul Biya, président de la république du Cameroun est au pouvoir depuis bientôt 35 ans. Tout comme Robert Mugabe au Zimbabwé, il entretient le secret - qui au fond n'en est pas un - de mourir au pouvoir, voire de gouverner à partir de l'outre-tombe.

A l'heure où nous écrivons, le satrape de Mvomeka est rattrapé par la sénilité. Et - une fois de plus, secret public - par la maladie. Qu'importe! Il ne partira pas de son propre gré. Que ceux qui cherchent à le déposer viennent donc le défenestrer!

Pourquoi s'obstiner alors que plusieurs pans du mur commencent à tomber? Que peut-il encore réaliser au soir d'une vie facile et absorbée par les plaisirs qu'il n'a guère pu accomplir au cours de 34 ans de pouvoir absolu? À la vérité, strictement rien. L'avenir du premier gérontocrate se conjugue désormais au passé et il n'y a rien que quiconque puisse faire par rapport à ce cours naturel des choses.

Il laissera derrière lui une petite bombe à retardement. Trente-quatre ans de gouvernement par l'inertie et la négligence ont fini par produire les conditions nécessaires pour l'émergence sur le flanc septentrional de l'un des mouvements terroristes les plus meurtriers de l'heure - un mélange de Sentier Lumineux, d'apoplexie soi-disant islamiste et de nihilisme tropical.

À quoi s'ajoute le lent pourrissement dans la région anglophone. Pris la main dans le sac, le régime de Yaoundé et ses affidés veulent faire croire qu'il s'agit d'un conflit récent fomente par des voyous eux-mêmes manipulés par des forces externes. Il n'en est rien. Le feu couve sous la cendre depuis le milieu des années 1960.

L'idée de la réunification du Cameroun dans ses frontières allemande est née en même temps que le mouvement nationaliste Camerounais. Avec l'indépendance et le refus d'intégrer l'Union Française, elle fut la pierre angulaire du nationalisme Upeciste. À trois reprises et défiant toutes sortes d'obstacles administratifs, Ruben Um NYOBE défendit cette idée devant la Commission de Tutelle de l'ONU, au prix de maints quolibets et menaces proférés par les 'descendants' d'Aujoulat qui tiennent en main les rênes du pays depuis 1958.

Quand Ahidjo entreprend son petit chemin de Damas après avoir été installé au pouvoir par la France, c'est pour littéralement faire main basse sur une région que l'on soupçonne déjà à l'époque d'abriter du pétrole. La réunification en 1961 ne s'inscrit donc pas dans un véritable projet de 'décolonisation' comme l'avait voulu l'UPC. Elle est un instrument pour parachever la francisation d'un territoire, le seul en Afrique sub-saharienne, ou la revendication de l'indépendance était la plus soutenue et la plus radicale.

Il faut relire les textes de Bernard Fonlon, le théoricien du bilinguisme, pour se rendre compte de la manière dont le régime Ahidjo entreprit dès le départ de vider de son contenu le projet de réunification. Et d'ailleurs quand, en 1972, après avoir fait exécuter Ernest Ouandie et ses compagnons et déclaré la victoire contre le mouvement nationaliste, il organise le pseudo-referendum devant consacrer l'unité du pays, les électeurs dans la zone anglophone n'ont de choix qu'entre un bulletin 'oui' et un bulletin 'Yes'.

Le satrape de Mvomeka ira plus loin encore en supprimant le nom République unie qu'il remplacera par République tout court / ce terme galvaudé, qui suscite désormais les ricanements des nouvelles générations d'anglophones pressés d'en finir avec cette comédie qui n'a que trop duré.

Qui pourrait le leur reprocher? Humiliations et indignité, ils en savent quelque chose, traités comme ils l'auront été au cours du demi-siècle qui vient de se passer! Que, pour se libérer de ce qu'ils nomment la domination francophone, ils puisent dans le lexique colonial britannique peut prêter à sourire. Mais tel est le langage auquel ils ont été acculés et pour l'heure, c'est le seul susceptible de rallier le plus grand nombre.

Pour éviter la sécession, il faudra procéder à une refonte radicale de l'état. Celle-ci passe par une forme ou une autre de fédéralisation des pouvoirs. Un tel projet fédéral ne devra pas seulement s'appliquer à la zone anglophone. La répartition actuelle des provinces pénalise bien d'autres ensembles. C'est le cas de l'ancienne Sanaga Maritime, une région qui continue de payer le prix de sa participation à la lutte pour l'indépendance.

Mais il y a quelque chose de spécifique à la zone anglophone qui devra être constitutionnalisé. La création récente d'une Commission dite du bilinguisme est de la poudre aux yeux! On ne fera pas l'économie de la réforme radicale de l'état. Comme toujours, le satrape prétend apporter une solution bureaucratique à un problème politique de très grande envergure. Ce faisant, il ne fait que reporter les échéances. Évidemment lorsque la bombe à retardement détonnera, il ne sera plus là. Du moins pense-t-il.

La fédéralisation du pouvoir doit aller de pair avec une véritable décolonisation de celui-ci. Cette décolonisation est à la fois économique et culturelle. Économique dans le sens où elle implique, entre autres, l'abolition du Franc CFA. Culturelle dans le sens où elle implique la mise sur pied d'un véritable projet de société multiculturelle et conviviale, respectueuse des minorités et engagée à abolir le sexisme et à prendre enfin au sérieux les questions de mémoire.

Auteur: Achille Mbembe