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Paul Biya, FMI, les Bétis…comprendre l’ampleur de la corruption

Paul Biya Christine Lagarde Paul Biya, FMI, les Bétis…comprendre l’ampleur de la corruption

Mer., 13 Sept. 2017 Source: camer.be

En réponse à l'article de Hughes Seumo "Cameroun, Regard: Servir le Régime en Place et Prendre sa Retraite en Prison», Camer.be 9/10/2017

M. Seumo a présenté une liste des dignitaires du régime de Paul Biya qui -dit-il - « apprécient » leur retraite en prison, sont morts, ou ont fui le pays. M. Seumo reconnaît néanmoins que cette situation a été créée par la pression du FMI et son programme d'ajustement structurel sur le régime Biya; une politique qui est le résultat des thèses néolibérales mondiales et du consensus de Washington sur la globalisation des «réformes prônant le marché libre».

Malheureusement ce que M. Seumo n'a pas fait, c'est placer son article dans un cadre ou un contexte historique, philosophique, politique, et éthique plus large.

En effet il a omis d'expliquer comment le FMI et le régime de Biya ont d'abord redouté la perspective crédible des émeutes et de guerres tribales induites par les crises économiques à répétition, dans un pays où les fonctionnaires ont vu leurs salaires réduits de 2/3, les fleurons de l'économie bradés à vil prix sur le marché mondial.

À cela se sont ajoutées les coupes sombres opérées dans les budgets de l'éducation, de la santé, et de l'agriculture qui, cumulées, ont simplement marqué la fin de l'État-providence, c'est-à-dire le renoncement acté avec l'aide du FMI de toute forme de politique de redistribution au Cameroun.

L'auteur de l'article n'a ainsi pas voulu voir comment le consensus de Washington est en réalité une sorte d'intégrisme de marché qui ne tient en aucune manière compte des droits et des intérêts collectifs, des besoins des plus nécessiteux, et s'intéresse uniquement voire exclusivement qu'aux transactions sur les marchés, et à la libre concurrence individuelle comme seule forme concevable et légime d'activité sociale. Autrement dit il s'agit de transformer le darwinisme social et le culte du laisser-faire capitaliste en seule règle acceptable et autorisée.

Appliqué ainsi au Cameroun, comment les crises économiques y ont eu des ramifications profondes sur la répartition des ressources et de la richesse, du pouvoir, de l'honneur et du statut social, et sur la poudrière complexe que constitue ses politiques ethniques et tribales?

Précisément à travers ce que les Camerounais ordinaires auraient pu ou dû considérer comme étant leurs droits les plus inaliénables, notamment dans l'accès aux biens de subsistance, aux salaires équitables, aux taxes raisonnables, c'est-à-dire une forme d'assurance biopolitique qu'aurait dû leur assurer l’État à un moment où la crise profonde creusait de fortes inégalités, menaçant la cohésion sociale, donc l'équilibre même de la société.

C'est à ce moment-là qu'aurait dû opèrer l'économie morale et qu'elle aurait notamment permis de différencier ce qui doit être considéré comme des comportements légitimes ou illégitimes de l'État, puis établir ou rétablir l'ordre (moral) des nécessités. Car c'est dans le cadre de ce droit à la nécessité que la question de la justice sociale, de l'égalité des droits, de la satisfaction des obligations, puis du devoir de réciprocité aurait dû être posée et débattue.

C'est une fois de plus pourquoi le travail du CL2P est très important. Car le CL2P apporte la démonstration au quotidien qu'au lieu d'une discussion franche et légitime sur l'économie morale – notamment quels types de soins biopolitiques transparents peuvent le mieux aider les Camerounais - le gouvernement camerounais a délibérément choisi de politiser la corruption avec la bénédiction du FMI. Et son imposture de lutte contre la corruption participe de la démagogie politique à plus d'un titre:

- Tout d'abord, le Cameroun a une politique tribale connue sous le nom d'équilibre régional. À travers cet « équilibre régional », il est bien établi que le gouvernement tente en réalité de redistribuer les ressources. Par conséquent, accabler une élite régionale de corruption (voire du monopole de la corruption) est techniquement hypocrite parce que le Rassemblement dit Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), le parti-État au Cameroun, s'appuie sur ces élites (voulues ressources) comme des valeurs sures de l'État. Le RDPC met à leur disposition les ressources de l'État pour acheter les consciences et les votes pour le parti. Le comble de l'ironie résidé précisément dans le fait que certains dignitaires en prison sont toujours membres de haut rang du RDPC!

C'est là où il est important de comprendre que l'équilibre régional est de facto une forme institutionnelle de corruption qui crée une culture de dépendance et d’auto-indulgence par rapport à la «prévarication» organisée des ressources de l’État.

Par conséquent, le régime en place ne saurait en aucun cas être exonéré dans la prolifération de la corruption endémique au Cameroun. Le fait de stigmatiser et de persécuter à titre individuel des membres ciblés du RDPC est une hypocrisie cynique, parce qu'il s'agit d'un problème systémique plutôt que de l'action isolée d'une seule «mauvaise pomme». Le CL2P n'a pas créé l’équilibre régional et n'a jamais profité de cette politique tribale. Il expose simplement ce système pour ce qu'il est.

- Deuxièmement, la politique de l'équilibre régional a toute son importance dans l'environnement totalitaire camerounais parce que, en termes politiques, cette politique est utilisée dans un calcul cynique et un stratagème manipulateur.

En effet le Président de la république qui est aussi le président du RDPC peut user du ministère de la Justice (ce dont il ne se prive jamais) pour éliminer des personnalités perçues comme des menaces politiques existentielles (d'abord internes) à son régime. Comme Sun Tzu dans l'Art de la guerre, M. Biya utilise le pouvoir judiciaire pour éliminer du champ politique toute forme d’opposition sérieuse et crédible, afin de gagner sans même avoir à se battre ou livrer un réel combat.

Le CL2P comprend que les Camerounais ordinaires soient frustrés par cette situation qui perdure, alors que l'État-RDPC n'est pas aussi irréprochable que le prétend le Président Biya. Mais la haine contre CL2P ne résoudra pas le problème, bien au contraire. Parce que tuer le messager ne tue pas le message. Comme casser le thermomètre ne fait pas tomber la fièvre.

Auteur: camer.be