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Crise anglophone: voici pourquoi l'Ambazonie n'existera jamais

Ambazonie Population L'unité est le maître-mot, quoiqu'il arrive

Thu, 5 Oct 2017 Source: Claude Wilfried EKANGA EKANGA

Le vendredi 22 septembre 2017 a plutôt les allures d'un vendredi 13 : pendant que Paul Biya se trouve à New York pour un énième discours de formalité à l'Assemblée Générale des Nations Unies, la zone méridionale du Cameroun est en ébullition. Comme un volcan à la lave restée trop longtemps emprisonnée dans la cheminée souterraine, des manifestations éclatent à Bamenda et Buea, principales villes des actuelles zones chaudes que sont les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays.

Elles n'ont plus grand-chose en commun avec les mouvements d'humeur enregistrés ces derniers mois. Cette fois, la lave est bel et bien arrivée à la surface, et le volcan est en éruption. Ce qui a démarré au dernier trimestre 2016 comme une revendication anodine des syndicats d'enseignants et de juristes, a muté en revendication politique, et est en train d'entrer dans une phase des plus incertaines.

L'incendie de Rome : le tableau

Les hommes et femmes descendus dans la rue ce vendredi se plaignent notamment de l'apparente indifférence du chef de l'Etat face à leurs doléances. C'est de notoriété publique en effet : Paul Barthélémy Biya Bi Mvondo ne parle quasiment jamais à son peuple. Et dans cette crise encore, il ne s'exprime que soit à travers ses représentants (Dont le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, fait figure de chef de file), soit par des actes jupitériens, à l'instar de la grâce présidentielle accordée à des prisonniers. Mais lui-même ne parle pas, encore moins ne descend sur le terrain.

Par conséquent, après le "Me voici donc à Douala " de 1991 en pleine période de villes mortes, on attend toujours le "Me voici donc à Bamenda". Dans cette importante ville historique forte de ses 500 000 habitants (L'équivalent approximatif de Dortmund en Allemagne), les manifestants se plaignent par ailleurs de la non-libération de certains leaders de la contestation, et ce malgré le décret du 30 Août promulgué à cet effet par le Président.

Alors, à grand fracas, ils scandent: "Libérez les anglophones détenus!" Les propos d'une jeune femme au micro de précisant: "Nos hommes, nos frères des régions anglophones, il faut les libérer avant qu'on commence le dialogue, sinon on n'acceptera jamais le dialogue".

Le ton est donné. Alors que la grâce présidentielle se voulait une main tendue pour apaiser les tensions et amorcer le début effectif de la rentrée scolaire, la partie adverse refuse de plier. Là-bas, on martèle : "Le retour des élèves à l'école n'est pas la solution aux revendications des anglophones". La suite devient alors un mano à mano très corsé où aucun camp ne veut céder le premier.

Dans un tel débat de sourds, la situation ne pouvait que s'envenimer. L'explosion de matériel artisanal à Bamenda blessant des policiers a conduit le préfet du département (la Mezam) à instaurer un couvre-feu dans la ville entre 22h et 5h du matin, et le gouverneur de la région à interdire les manifestations et la circulation entre les départements, et ce jusqu'au 3 octobre 2017.

Une date qui ne tient rien du hasard, tant on sait que le 1er octobre marque l'anniversaire de la déclaration de la République Fédérale du Cameroun à deux États, francophone et anglophone, et qu'elle pourrait donner lieu à des heurts encore plus retentissants.

La fédération justement. Il faut dire que, de la même façon que les revendications d'avocats et d'enseignants sont devenues des discussions sur le fédéralisme (Autrement dit, la forme même de l'Etat), les discussions sur le fédéralisme ont quant à elles. , viré chez certains vers des velléités de sécession. Voilà qui explique que l'on ait parmi les manifestants, ces quelques personnes ou groupes de personnes qui brandissent le drapeau d'un nouvel État à l'appellation ridicule: Ambazonia.

Rome est donc en train de brûler, mais Néron est absent. L'histoire rapporte en effet qu'en l'an 64 de notre ère, alors qu'il est empereur de Rome (De 54 à 68), César Néron apprend, depuis sa ville natale Antium où il est en vacances, que la capitale est en flammes. Mais à son retour, il s'en ira plutôt d'abord au sommet du Quirinal, la plus élevée des sept collines de Rome, pour jouer à son instrument de musique favori, la lyre.

Et la ville brûle six jours durant.

Le ping-pong politique (les 3 P) entre gouvernants et gouvernés

Où est donc la personne physique Paul Biya pendant que le feu se déclenche? La première étape pour avancer face à une crise grave, est de reconnaître les raisons et les torts des forces en présence et de les exposer de manière objective. Il ne s'agit pas de prendre parti, mais de mettre chaque acteur face à ses responsabilités, afin de résoudre ladite crise au plus vite.

1 - Les abscisses

Ainsi, du côté du gouvernement, cette absence criarde du Chef de l'Etat sur les lieux de braise passe mal dans les zones anglophones. Et on les comprend avec aise, vu que dans l'absolu, le Camerounais lambda n'aperçoit son Président qu'une fois tous les dix ans (Et encore, avec beaucoup de chance). Même Douala, la ville la plus grande et la plus peuplée du pays, n'aura reçu la visite présidentielle que sporadiquement. Lors de la pose de la première pierre du pont sur le Wouri par Biya en 2013, le portail < cameroun -info.net> en précisait le nombre par "Moins de 6 visites en 30 ans".

Sans oublier de mentionner que certaines de ces 6 visites étaient le fait de circonstances accidentelles, indépendantes de sa volonté. A titre d'exemple, l'atterrissage forcé en 2004, à bord du célébrissime "Albatros", dont le train d'atterrissage avait refusé de rentrer au moment du décollage de Yaoundé-Nsimalen pour Paris-CDG.

Secret de polichinelle donc. Biya est un Président absent, et selon toute vraisemblance, présent plus longtemps à Genève qu'au Cameroun, le pays dont il a pourtant la charge. Cette crise aura été l'occasion de modifier ces habitudes irrationnelles, or rien ne semble évoluer dans ce sens.

Parallèlement, ses opposants, en dépit des railleries sur leur relatif manque de poids politique, se distinguent par leur présence au cœur du cyclone. C'est ainsi que la chef du CPP (Cameroun People ´s Party), Edith Kah Walla est descendue sur les lieux. Le rapport du Secrétaire Général du parti, Franc Essi, analyse d'ailleurs la situation dans un communiqué de presse impressionnant d'exactitude. En voici un extrait:

" D’une part, on peut citer le maintien en détention d’une partie des personnes arrêtées, l’insuffisance des solutions aux revendications sectorielles des syndicats d’avocats et d’enseignants, la persistance de la répression, la militarisation des régions concernées et la non reprise du dialogue. D’autre part, nous observons une augmentation des messages radicaux, la persistance des villes mortes, la multiplication des actes de violence, des atteintes à des établissements d’enseignements secondaires et la montée de l’insécurité"

Le Président de la République a beau être très puissant, force est de reconnaître néanmoins l'extrême proximité de ses opposants envers les citoyens. Le professeur Maurice Kamto du MRC (Mouvement pour la Renaissance du Cameroun) a même revêtu le boubou culturel caractéristique des régions concernées pour s'y rendre.

Mais plus largement, comme le constate le communiqué du CPP, le gouvernement est coupable d'avoir dans un premier temps sous-estimé, ignoré, voire méprisé les revendications. Néron n'a pas éteint le feu tout de suite, alors les flammes se sont épaissies.

2 - Les ordonnées

Tout cela est bien beau. Sauf que, dans les récents événements, la victime est en train de commettre l'erreur fatale d'utiliser les méthodes de son bourreau. Car ne nous y trompons pas : si on fustige la répression et qu'en retour on réprime soi-même ses semblables, on perd son statut de victime à protéger. On ne pourra donc bientôt plus revendiquer le rôle d'opprimé.

Car en vandalisant, en réprimandant ceux qui ne veulent pas obéir au mot d'ordre de grève, en brûlant des bâtiments administratifs, en intimidant les élèves souhaitant gagner les classes, en usant de bombes artisanales, on légitime aussi l'action gouvernementale. L'Etat fait alors appel à son appareil répressif, que le sociologue allemand Max Weber désigne dans son ouvrage comme "Le moyen de la violence légitime".

Reconnaissons que dans certaines circonstances, la voie pacifique peut sembler inefficace. Reconnaissons que de nombreuses révolutions (Burkina-Sankara, Cuba, Viet-Nam, Chine ...) ont eu recours à la violence pour concrétiser de très nobles ambitions, mais il est nécessaire dans ce cas de figure, que les révolutionnaires soient sûrs de leur capacité à mener à bout leur révolution. Car à partir du moment où on choisit l'option du conflit, il faut être certain de vaincre, ou du moins, accepter de ne pas se plaindre en cas de défaite Car la guerre ne connaît plus l'éthique. Le vainqueur est le plus fort, et donc c'est lui qui a raison.

La branche violente du mouvement anglophone possède-t-elle ces certitudes? Ou navigue-t-elle à vue, en l'amusant toujours au destin. Dans ce cas, cela signifierait qu'elle court la tête en avant vers la muraille, et qu'il y a un gros risque de fracture crânienne.

La grande marche du sel de Mohandas Karamchad (alias "Mahatma") Ghandi du 12 mars 1930 est un illustrateur parfait qu'il reste possible, encore aujourd'hui, de remporter une bataille par la méthode non-violente. Concédons toutefois aux anglophones que le premier à avoir tiré, c'est l'Etat. D'où la culpabilité de ce dernier, telle qu'évoquée plus haut.

Le discours de Biya à l’ONU : les tops et les flops

L'allocution du Président ce 22 septembre à l'ONU a suscité le mécontentement de beaucoup, qui s'insurgent notamment contre son mutisme perpétuel. Il lui est reproché d'avoir persisté là aussi dans son silence agaçant, en ne faisant "aucune" mention du fameux "problème anglophone".

Cependant, ce prétendu silence est à relativiser. Car à New York, ce n'est pas son indifférence que "PoPaul" a montré au monde, mais une autre, sinon la principale de ses particularités politiques, à savoir : la subtilité et la ruse.

Effectivement, le discours du vieux lion d'Etoudi fait de larges allusions à ce qui se passe actuellement dans son pays. Comprenne qui pourra. L'homme est plus rusé qu'une vipère. Mais les extraits suivants nous permettront d'y voir plus clair:

En ouverture de rideau, il déclare :

"La présente session se tient dans un contexte international où de nombreux foyers de tension persistent dans le monde,"

Il tentera ensuite une approche plus explicite, en mentionnant le pays, avant de s'inscrire dans une approche globale :

"Pour le Cameroun, comme pour la plupart de nos États, la paix est une condition sine qua non de la survie de l’humanité et de tout développement durable."

Dans ce discours d'un quart d'heure, Paul Biya démontre son talent dans la manipulation de l'art furtif. Pour dire les choses simplement, le Président ne s'agite jamais, ne s'empresse jamais, fait toujours les choses à son rythme (Et si ça le chante, ne les fait pas du tout). Le plus grand mérite de cette méthode pour le moins controversée, c'est qu'elle illustre pourquoi il gagne toujours haut la main face à ses challengers.

Car quand on parle peu, quand on ne dévoile rien, quand on fait ce qu'on veut quand on le veut et comme on le veut sans rendre le moindre compte, on écœure ses adversaires, mais on incite en même temps leur respect. Quand à vos partisans et à la population, ils vous prennent pour un dieu.

Et au Cameroun, Biya est un dieu. Pour certains de ses ministres, nous sommes même ses "créatures". Rien que ça!

Qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas (et on ne peut pas dire que je l'aime), il est indéniable qu'il correspond à la description que fait de lui la France, notre très encombrante puissance coloniale : "prudent, rusé et attentif". L'homme qui règne d'une poigne de fer sur le royaume Cameroun depuis le 6 novembre 1982 est assez rodé pour comprendre qu'il n'est pas bon de dévoiler nos problèmes politiques à l'extérieur, ou pire, de demander l'aide de la "Communauté Internationale".

C'est une attitude très dégrafante et humiliante, telle que l'a affichée Jean Ping, candidat déchu aux résultats de l'élection gabonaise du 27 Août 2016, qui avaient reconduit Ali Bongo Odilba au pouvoir. C'était aussi un vendredi, non pas le 22, mais le 2 septembre. Ping adressait alors une demande d'assistance solennelle à la France, afin de faire de lui, le seul Président légal du pays. Deux jours plus tard, le 4 septembre, le journal écrivait alors dans un sarcasme à peine voilé : "L'opposant d'Ali Bongo espère que le président français va intervenir pour rétablir l'ordre dans le pays et soutenir son accès au pouvoir"

Un tableau digne des plus grandes heures de la Françafrique. On serait presque tenté de féliciter Biya de n'avoir sollicité personne à venir "aider" le Cameroun dans sa crise anglophone. (Aux Africains de résoudre les problèmes de l'Afrique).

On passera sur la fausse polémique de la salle vide. Même la surpuissante Premier Ministre britannique Theresa May en sait quelque chose. Cela dit. Malgré les forces subtiles qu'on a pu déceler, le fait est que depuis maintenant 35 ans, les discours de Paul Biya, ici comme là-bas, sont devenus de plus en plus creux et insipides. Il n'y aurait objectivement eu aucune raison de remplir la salle. En termes de balance, ça reste finalement plus une perte de temps de l'écouter parler. Toutes ses interventions publiques s'avèrent être des déceptions qui se répètent. De gros flops.

Focus : l’Allemagne et le piège du ‘faux’ fédéralisme

Pour les adeptes d'un État fédéral comme solution de crise, je veux bien qu'ils prennent en exemple, des pays dans le monde où ce modèle semble marcher. Mais avant toute chose, on peut se demander pourquoi sur la question de la sortie du franc CFA, certains d'entre eux changent soudain d'approche et ne citent plus que les pays où une monnaie souveraine n'a pas apporté le développement. Si on n'est pas capable de gérer une monnaie, peut-on gérer un État dans un État? Il y a là un souci de cohérence.

Si on prend les exemples par le haut pour se donner raison, sachons donc aussi le faire même dans les cas où ça ne nous arrange pas. D'ailleurs, en observant bien les exemples des fédérations dans les pays dits développés, on voit que la chose est beaucoup plus nuancée qu'à première vue. Le cas de l'Allemagne:

Après la capitulation en 1945, l'Allemagne est divisée en quatre (04) zones d'influences, dont trois (03) à l'ouest (Partagée entre le Royaume-Uni, les USA et la France), et une à l'est (gérée par l'URSS). Le point culminant de cette opposition sera la scission du territoire en deux pays en 1949 : la RFA (République Fédérale d'Allemagne) d'une part, et la RDA (République Démocratique d'Allemagne) de l'autre. Même Berlin subira cette partition interne, avec la construction du "Mur de la Honte" ("Mauer der Schande" en 1961, qui tiendra 28 ans.

Ce qui nous intéresse dans cet exemple, c'est de constater que de nos jours, les États fédérés que compte le pays n'ont strictement rien à voir avec les zones d'occupation occidentalo-sovietoques de l'après-guerre. Pour cette raison, l'Allemagne compte aujourd'hui seize (16) États au lieu de quatre. Ils répondent aux aspirations intrinsèques des Allemands.. A l'inverse, au Cameroun, on veut sérieusement recréer des identités coloniales imposées, et le pire c'est qu'on en est fier. Pour brandir si fièrement l'étiquette : "Je suis franco/ anglophone", il faut avoir un sérieux problème avec soi-même, et ignorer totalement les circonstances historiques dans lesquelles nous sommes devenus ces lamentables zombies culturels.

Et si les pygmées se révoltaient à leur tour contre la marginalisation dont ils sont victimes (Comme tous les Camerounais par ailleurs) et réclamaient à leur tour un État fédéral, pour quelle raison ne devrait-on pas le leur accorder? Plus loin, sachant que le pays rassemble environ 280 groupes ethniques, quel résultat aurions-nous si tout le monde faisait l'anglophone?

Existe-t-il aux USA, un 51eme État Fédéral pour Noirs (Black State)? Ou pour Amérindiens? Or Dieu sait qu'ils auraient raison d'en réclamer un, vu qu'il y a une nette différence de culture et de parcours historique d'avec la majorité blanche.

De plus, il est naïf de penser que dans ces républiques fédérales, la vie est un long fleuve tranquille.

La Bavière (Bayern), État le plus riche d'Allemagne, gronde de temps à autre son autonomie jalouse, au point où son chef-lieu Munich est souvent baptisé "La capitale sécrète". Au Royaume-Uni, après le Brexit, ce sont les pays satellites à l'Angleterre qui désirent de plus en plus se détacher du Royaume-Uni. En Espagne, sans pourtant être une fédération, la Catalogne veut tracer sa propre voie. En Belgique, la Wallonie et la Flandre sont au coude à coude, et ne sont encore unies que grâce à Bruxelles, qui possède un statut neutre (ou plutôt hybride). En Chine, Taïwan veut son indépendance de Pékin, et ainsi de suite.

Face aux événements, la chaîne publiait le 26 octobre 2012, un article ayant pour titre : "L'influence des mouvements séparatistes inquiètent les gouvernements européens"

Autrement dit, au moment où les gouvernements étrangers veulent préserver l'union à tous les prix, nous en Afrique, préférons s'amuser à jouer avec le feu romain comme si l'Histoire ne nous avait rien appris. Le séparatisme est non seulement l'antithèse à l'unité nationale dans un de nos pays, mais surtout l'antithèse au panafricanisme prôné par nos illustres icônes, telles que Sankara et Nkrumah.

Lorsque, comme dans le cas actuel du Cameroun, les bases d'une fédération reposent sur la frustration et le divorce national, il n'y a pas de raison à ce qu’elles ne débouchent pas par la suite sur une volonté de sécession. Or les événements récents en Libye, en Côte d'Ivoire et au Soudan nous enseignent que l'Afrique ne peut/ ne doit plus se permettre d'être morcelée davantage.

Conclusion : Madame, où se trouve la sortie?

Il n'est jamais facile d'invoquer une solution miracle à nos problèmes, encore moins quand ils sont si complexes. Mais au vu du passé récent que l'Afrique traîne avec elle, on peut au moins souligner facilement ce que la solution n'est pas. En un mot, les différentes choses à ne pas faire:

Primo: la solution ne doit pas venir de l'extérieur.

Seuls les Camerounais (A fortiori les Africains) régleront le problème anglophone. A cet effet, des conclusions du rapport de l'ONG International Crisis Group (ICG) relayées par journal proposent les solutions : (1)) la reconnaissance du problème anglophone par le Président Biya, (2) un remaniement ministériel, et une réorganisation de la haute administration en vue de mieux refléter le poids démographique, politique et historique des anglophones, et (3) des sanctions contre les membres de forces de sécurité responsables de bavure durant la crise.

Ces conclusions semblent fondées, mais heureusement, elles ne font que sembler l'être, car elles ne le sont pas. On peut même les qualifier d'absurdes, car (1): il y a un problème anglophone oui, mais qui est le même que pour les autres entités qui peuplent le Cameroun. Les anglophones n'ont donc pas l'exclusivité de la souffrance et ne doivent leur présence au-devant de la scène qu'au fait qu'ils aient été les premiers à avoir le courage de se dresser à nouveau contre le gouvernement.

Peut-être qu'en ayant revendiqué au nom de tout le peuple, ils auraient d'ailleurs suscité plus d'adhésion, On aurait alors pu déboucher sur une révolution véritable et un changement de champion, tel que vécu le 31 octobre 2014 au Burkina Faso.

Dans les colonnes du journal , des ressortissants du Nord-Ouest/ Sud-Ouest s'offusquaient en ces termes: «Ici, il n’y a aucune industrie. Nous avons des ressources minières, mais nous n’en bénéficions pas. Du pétrole, mais nos routes sont mauvaises. Du cacao, mais nous avons d’énormes difficultés pour le transporter ».

Il est évident que tout Camerounais peut se sentir concerné par ces mots. C'est d'ailleurs l'Afrique tout entière qui souffre de cette politique. Dans ce cas précis, il n'y a en effet pas de problème anglophone exclusif. Il est juste une pièce de puzzle dans le géant problème camerounais, et Africain.

(2) S'il faut un remaniement ministériel qui ne prend en compte que le clivage linguistique colonial, alors nous nageons une fois encore dans la sorcellerie. Mais que dira donc notre Pygmée, notre Mbororo? Ou encore le chef traditionnel qui s'est vu déposséder de ses pouvoirs au profit du modèle politique occidental imposé et enseigné comme "civilisation" aux Nègres que nous sommes?

Les membres d'un gouvernement doivent être nommés sur la base de leur compétence, et non sur le concept bancal d'équilibre régional. Et même si l'un n'exclut pas toujours l'autre, il est précisément crucial de privilégier la compétence sur l'équilibre des origines.

(3) L'ICG est à l'image de toutes les ONG étrangères qui parlent d'Afrique en experts auto proclamés. Pour ces " observateurs internationaux ", la faute n'est que très rarement partagée. Il n'y a quasiment toujours qu'un seul coupable, et celui-ci est l'Etat. C'est une démarche très dangereuse, et qui a déjà causé d'immenses dégâts à nos pays par le passé.

Ainsi, en 2015, alors qu'il espérait acquérir du matériel sophistiqué pour vaincre la secte Boko Haram et sécuriser le pays, le Président du Nigeria, Muhamadu Buhari s'est heurté au refus catégorique de l'ancien Président américain Barack Obama. Ce dernier invoquait alors la Loi Leahy, règle qui interdit de livrer des armes à un pays coupable de violation des Droits de l'Homme (On se demande bien ce que c'est).

En gros Abu Bakr Al Shekau pouvait décapoter à sa guise, mais le gouvernement n'avait pas le droit de riposter, ni d'interroger les terroristes capturés, sous peine d'être accusé par les ONG de violer les Droits de l'Homme très flous. Et c'est un Buhari effaré et sans voix qui rentra à Abuja.

Dans la même mouvance, un énième rapport nauséabond d'Amnesty International datant du 20 juillet 2017 parlait de "chambres de torture secrètes" au Cameroun, mais sans jamais être en mesure de l'étayer par des preuves irréfutables. Double jeu quand tu nous tiens.

Secundo : la solution n'est pas un autoreverse

Un récent article de la plateforme en ligne analysait la question anglophone de manière linéaire, en soutenant que vu que le référendum de 1972 a créé la situation actuelle, il suffirait simplement de faire le chemin inverse, en revenant au fédéralisme d'avant 61. Dans cette optique, l'analyse présentait comme réalité historique incontestable, le fait que les anglophones vivaient dans la paix et la prospérité absolues pendant les dix ans de la fédération. Mais cette observation simpliste, voire simplette, présente un point d'interrogation inquiétant :

Pendant cette période, le Cameroun oriental (la partie francophone) souffrait de la terrible répression coloniale menée par le tandem France-Ahidjo, contre les nationalistes de l'UPC (Union des Populations du Cameroun), dont la dernière grande figure de proue, Ernest Ouandjé, sera assassiné le 15 janvier 1971,m. Si l'on considère que le Cameroun occidental anglophone coulait des jours heureux pendant ce temps, cela voudrait dire qu'elle n'a jamais vraiment été concernée par l'idée d'union nationale. Alors la question de départ revient logiquement : qu'est-ce qui l'empêcherait, en cas de retour à la République fédérale, de faire sécession ?

C'est très léger comme vision. Et l'Afrique ne peut plus se permettre de se craqueler. Le spectre du "diviser pour mieux régner" rode dans nos nuits à nos portes. Il est grand temps de les garder fermées.

Alors madame, elle est où la sortie?

Les solutions sont à voir à court terme (Bricolage temporaire) et à long terme (Projets de fond)

A court terme, le gouvernement doit respecter dans les faits, les textes de la Loi fondamentale tels qu'ils furent promulgués et approuvés. Cela signifie qu'il doit respecter le principe des deux langues officielles que sont le français et l'anglais. Un administrateur francophone dans une région qu'on sait anglophone peut faire tâche. Ce qui fut d'ailleurs un des Motors de la contestation à son origine.

(On peut évidemment objecter que le Cameroun est bilingue, et donc que le français aussi devrait être valable à Bamenda. Mais dans ce cas, il faudrait aussi envoyer arbitrairement des administrateurs anglophones dans les bureaux de Yaoundé. Or Dieu sait que les anglophones s'en sortent infiniment mieux en français dans notre pays que leurs alter ego francophones avec la langue de Shakespeare).

Dans la même mouvance, toujours à court terme, le Common Law doit faire loi en zone anglophone, et ne pas se voir voler la vedette par l'application du droit civil de la partie orientale.

Mais au-delà de toutes ces solutions d'urgence, la stratégie pour bâtir une véritable nation d'avenir est de redéfinir ce qui fait de nous les citoyens de ce territoire. Nous devons africaniser nos institutions, insérer nos langues en priorité dans le modèle d'éducation futur, ressusciter le droit coutumier et adapter la législation à notre réalité africaine. Car il n'y a rien de plus ridicule que de s'entre-déchirer pour des paradigmes qui ne sont pas les nôtres. Les Allemands ne se battront jamais pour l'Ewondo, alors pourquoi s'auto humilier de la sorte? Le syndrome de Stockholm doit trouver son remède, et vite.

A la fédération, il faut privilégier la décentralisation, qui donne déjà une autonomie et de larges prérogatives aux administrateurs des régions (On est bien heureux de constater que d'une manière générale, c'est l'avis qui ressort le plus). Car rien ne dit que la population du nouvel Etat ayant fait sécession ne sera pas ostracisée par ses dirigeants comme l'est l'ensemble du peuple aujourd'hui, quand on sait que c'est le propre même des pays de l'actuelle zone franc.

A titre d'illustration, l'on remarque que Ni John Fru Ndi, cher du principal parti d'opposition, le SDF (Social Democratic Front), occupe ce poste depuis la création de ce parti il y a 26 ans. Comment plaider le "Biya Must go" quand on ne suit pas soi-même cet exemple?

Il est donc à craindre que ceux qui se plaignent de la paille dans l'œil du voisin n'aient pas vu la poutre dans le leur.

Quoiqu'il en soit, l'unité est le maître-mot, quoiqu'il arrive. Les grandes nations à travers l'histoire le sont devenues en agrandissant leurs territoires, pas en les rétrécissant. Admettons volontiers que le Cameroun en lui-même est une construction coloniale. Admettons qu'avant les Allemands en 1884, nous étions des chefferies disparates. Mais s'il est impossible de revenir à l'heure zéro, s'il est impossible de prendre une référence autre que l'ère coloniale. Alors on peut au moins imiter les dégâts, en choisir une base qui nous unit plutôt qu'en qui nous disperse. D'où la préférence de l'année 1972 sur 1961.

D'autant plus que la population du Cameroun est relativement jeune (La moitié des Camerounais ont sensiblement moins de 25 ans). C'est une jeunesse qui n'a pas vécu le fédéralisme, et qui ne peut donc pas objectivement argumenter sur la base d'un souvenir nostalgique quelconque.

Quant aux sécessionnistes, je ne peux que répondre en phase avec cette affirmation du journal dans une chronique parue le 19 juin dernier, et dire. :

"La République d’Ambazonia n’existe pas et ne verra très certainement jamais le jour."

Auteur: Claude Wilfried EKANGA EKANGA