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Je suis déboussolé par le tribalisme actuel- Enow Meyomesse

Enoh Meyomesse Opposition Camerounaise Plusieurs internautes accusent le MRC d'être un parti de tribalisme

Fri, 14 Sep 2018 Source: panoramapapers.com

1970. Un samedi après-midi, alors que je jouais dans la cour de la maison familiale au quartier Bali à Douala, j’entends une auto qui gare sur le trottoir, puis on frappe au portail. J’accoure et l’ouvre. Je découvre M. Touamo Etienne, Inspecteur Régional de la Jeunesse et des Sports de l’Ouest à Bafoussam, collègue et copain de mon père, Meyomesse David, quant à lui Inspecteur Régional de la Jeunesse et des Sports du littoral, à Douala.

« Fiston, ton père est là ? Non, il est sorti. D’accord, viens prendre ceci pour lui (un sac de pommes de terre, un cageot de tomates, deux ou trois poulets, etc.) ». Je m’exécute, aidé du chauffeur de sa Land-Rover administrative. Puis il entre dans le salon et me demande de lui apporter une feuille de papier. J’arrache une feuille de l’un de mes cahiers. Il écrit un mot, plie la feuille de papier, et me la tend. Tu lui remettras ceci. Moi je continue sur Yaoundé. Après les questions d’usage, « l’école va bien, etc. », il monte dans sa Land-Rover et s’en va.

Retour de mes parents. Je leur présente les vivres qu’a apportés M. Touamo, et remets la lettre à mon père. Il se met à la lire tout souriant, puis subitement, son regard se durcit. Il appelle ma mère. « Touamo dit qu’Ahidjo l’a convoqué à Yaoundé ; il en a très peur ; il est Bamiléké, et le maquis chauffe à l’ouest ; aïe ! il me demande de prendre soin de sa famille si jamais il ne sortait pas libre de l’entretien avec Ahidjo ; lui, il ne sait rien de ces affaires des maquisards, mais en tant que Bamiléké …». Consternation.

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Lundi 13h. Journal parlé. « Par décret présidentiel signé à ce jour, Monsieur Touamo Etienne, Inspecteur de la Jeunesse et des Sports, est nommé Secrétaire d’Etat à l’Enseignement Primaire, en remplacement de M. Tétang Josué appelé à d’autres fonctions ». Stupéfaction, soulagement, puis explosion de joie entre mon père et ma mère, grosses embrassades. M. Touamo tremblait de peur pour rien. Le président Ahidjo avait décidé de le nommer au gouvernement, et désirait le rencontrer auparavant, car telle était la pratique sous son règne …

Un « ngrafi » confie sa famille à un « nkwa »…

M. Touamo Etienne, un Bamiléké pure sang, avait confié sa famille à un Bulu, pure sang également, laissant tous les Bamiléké comme lui qu’il connaissait. Il aurait pu passer par Bafia pour se rendre à Yaoundé, le trajet étant plus court, mais a choisi de passer par Douala à cet effet…

Je fais partie de la génération de Camerounais qui se retrouvent totalement déboussolés par le déchaînement de tribalisme actuel. Je ne reconnais plus mes compatriotes. Les Camerounais d’aujourd’hui, n’ont plus rien à voir avec ceux de l’époque. Ceux d’autrefois pensaient Cameroun ; ceux d’aujourd’hui pensent tribu. Au Ministère de la Jeunesse et des Sports dont mon père a été l’un des fondateurs camerounais, tous ses subalternes ne juraient que par son nom jusqu’à sa mort. Jules Nyonga, l’ex-coach des Lions Indomptables le considérait tout simplement comme son père ; même chose pour Issa Hayatou qui vient de diriger la CAF pendant de longues années, même chose pour … Cavayé Djibril, Président de l’Assemblée Nationale, également un ancien de ce Ministère.

Au Lycée Leclerc où je suis entré en 1966 en classe de sixième, j’ai été à l’internat. Tous ceux de mon époque, se retrouvent dans la même situation que moi, ils ne reconnaissent plus les Camerounais. Dans cet établissement scolaire, nous n’étions pas ceci ou cela, mes de jeunes Camerounais, et rien d’autre. C’était l’année de la création du Lycée Bilingue de Yaoundé. Nous étions donc le même dortoir avec les élèves qui provenaient du Cameroun Occidental, au nombre desquels, Akéré Muna, l’actuel candidat à la présidentielle.

Lui, il était même plus proche de nous, du Cameroun Oriental, que de ses camarades en provenance de là-bas, sans doute parce que nous avions le même âge, à la différence de ceux-ci qui étaient largement plus vieux que nous, mais aussi, à l’évidence, nous avions la même éducation, je présume.

Parmi mes grands frères au lycée, jusqu’à ce jour, lorsque nous nous rencontrons, nous nous jetons dans les bras les uns les autres.

Zoléko qui a été DG de la Sodécao, me klaxonnait toujours lorsqu’il me croisait en route, alors qu’il effectuait la classe de Terminale quand moi j’entrais en 6ème. Même chose avec Yimgeng Moyo, l’architecte célèbre et Président du MOCI, il était en classe de 1ère cette année-là. Je n’oublierai jamais comment il m’avait pris dans ses bras lorsque nous nous étions rencontrés au congrès du MANIDEM à Douala, après ma sortie de prison. Visiblement, il se réjouissait de ma libération. Cela signifie qu’il avait été peiné de mon arrestation. J’en avais été énormément ému…

Mais aujourd’hui …

Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux sont venus détruire le Cameroun. Ils sont assaillis par la racaille. Des gens sans la moindre éducation ni culture, y publient à longueur de journée des abominations, et naturellement sont acclamés par la canaille comme eux-mêmes. Résultat, je publie un livre sur un grand homme politique d’autrefois comme Kemajou Daniel, et ce que je lis comme commentaires me fait tomber de ma chaise.

1/- seuls les Bazou acclament ;

2/- les autres demeurent indifférents, dans le meilleur des cas, où alors l’abreuvent d’injures ;

3/- certains, plus stupides encore, récupèrent le contenu du livre pour montrer comment les Bamiléké sont un grand peuple à l’instar de Kemajou Daniel, et pour aussitôt demander « qu’est-ce que les Beti ont même apporté à ce pays à part l’ivrognerie et le billage ? ».

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Je publie un livre intitulé « G Bulu », dans lequel je dénonce la poignée d’individus qui a conspiré à mon arrestation, puis à mon empoisonnement en prison ; la racaille des réseaux sociaux, quant à elle, en fait une preuve simplement à partir du titre, sans en avoir même lu le contenu : « vous voyez, les Bulu eux-mêmes reconnaissent qu’ils ont fait du mal à ce pays ».

Je publie un livre sur Kum’a Mbappé, dont le village, Bonabéri, a été bombardé au mois de décembre 1884 par les Allemands. Seuls les Duala saluent le livre, le reste y est totalement indifférent. D’autres mettent même en doute mon récit, car selon eux, « ce sont les dula qui ont vendu le Cameroun ». Je prends la parole au cours d’un meeting d’un parti politique d’opposition du reste actuellement engagé à la présidentielle.

A la fin de mon intervention, j’entends plutôt : « vous voyez, même quelqu’un du pays organisateur reconnaît que les Bulu ont échoué ». L’armée nationale est devenue « la milice bulu » ; les soldats qui se font tuer par les bandits sécessionnistes, « l’ont mérité, ils ont accepté de mourir pour un vieux grabataire bulu ». C’est dégueulasse …

Auteur: panoramapapers.com