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Paul Biya sacrifie un cinquième de la population pour sa réélection

Paul Biya Fantôme Le régime de Paul Biya porte une lourde responsabilité dans la crise actuelle

Ven., 5 Oct. 2018 Source: Cathy Macherel

À quelques jours de l’élection présidentielle, ce dimanche 7 octobre, la confusion règne au Cameroun. Alors que Paul Biya, 85 ans, au pouvoir depuis trente-six ans, brigue un septième mandat face à huit candidats, les séparatistes des deux provinces à majorité anglophone du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui regroupent 17% de la population camerounaise, jurent qu’ils empêcheront la tenue des élections dans leur région. Sur les 6,5 millions d’électeurs inscrits, près d’un million d’entre eux pourrait être privé de vote. Les séparatistes avertissent qu’ils s’en prendront à toute personne qui ira voter, et les fonctionnaires de l’État, visés par des attaques depuis des mois, fuient la région. Tout comme les civils francophones. L’ONU estime que près de 275 000 personnes ont quitté la province du Sud-Ouest.

La crise anglophone ne date pas d’hier. Elle puise ses racines dans les héritages du colonialisme et de la réunification, mal gérée, des deux États fédéraux, en 1972. Des leaders anglophones réclament depuis des années davantage de dé centralisation, voire un retour à un État fédéral, mais la crise a pris désormais une tout autre dimension. Depuis deux ans, des séparatistes, qui rêvent d’un nouveau pays, l’Ambazonie, se font entendre les armes à la main dans les deux provinces de l’ancien Cameroun britannique.

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Le résultat d’un déni

«Le régime de Paul Biya porte une lourde responsabilité dans la crise actuelle, car la seule réponse apportée aux revendications des provinces anglophones a été d’ordre sécuritaire. Au bénéfice de l’un des appareils policiers les plus efficaces d’Afrique, le régime agit dans le mépris et le déni, il n’a jamais été éduqué à être redevable envers la population», explique Hans De Marie Heungoup, politologue et chercheur à l’International Crisis Group, spécialiste de l’Afrique centrale. À l’automne 2017, des manifestations de professeurs et d’avocats anglophones, dénonçant le non-respect du bilinguisme dans le pays, étaient réprimées dans le sang, événements déclencheurs de la rébellion armée dans les provinces anglophones.

Selon le chercheur, les séparatistes compteraient un millier de combattants, dont 40% posséderaient des fusils. Leur tactique consiste à s’en prendre aux représentants de l’État. Quelque 170 policiers et militaires au moins auraient été tués depuis le début du conflit. Et les civils, victimes de meurtres, rapts, cas de torture, ne sont pas en reste dans ce conflit. Selon Amnesty International, quelque 400 civils sont morts depuis le début de l’année, victimes de violences commises par les séparatistes anglophones, mais aussi par les forces armées.

Un reportage de l’Agence France Presse ces derniers jours à Limbé, cité balnéaire de la province du Sud-Ouest, anglophone mais où vit une importante communauté francophone, donne une idée du climat. Des groupes armés rôdent dans les quartiers périphériques, machettes à la main. La population francophone dit sa peur face au risque d’exactions, le kidnapping en particulier. Francophones et anglophones, qui avaient l’habitude de se côtoyer dans cette ville cosmopolite, forment désormais des groupes séparés, par méfiance mutuelle. Jusqu’où iront les tensions?

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Et après les élections?

Le pays est en ébullition, mais Paul Biya, «qui tient l’appareil électoral, l’appareil sécuritaire, les élites par le clientélisme et qui ne subit aucune pression internationale», rappelle le chercheur, sera bien sûr réélu le 7 octobre. Au vu du climat de tensions, peut-on craindre le pire après les élections? «Entre la non-reconnaissance des résultats par l’opposition, les séparatistes qui refusent le pouvoir de Yaoundé, et un gouvernement habitué à régler les problèmes par la répression, on peut s’attendre à tout, avance Hans De Marie Heungoup. Mais il y a tout de même une prise de conscience au sein du pouvoir qu’il va bien falloir trouver d’autres voies pour résoudre la crise.»

L’une d’elles réside dans l’initiative de dignitaires religieux, chrétiens et musulmans, qui proposent d’organiser une conférence anglophone en novembre. Celle-ci réunirait toutes les parties, y compris les rebelles séparatistes. La proposition est soutenue par l’International Crisis Group, ONG qui s’implique dans la résolution des conflits. Mais la voie est étroite: pour l’heure, tant le pouvoir que les séparatistes, qui tous deux s’autolégitiment par le conflit, en rejettent l’idée. Il faudrait que les puissances étrangères s’impliquent davantage pour soutenir ces voies pacifiques. Pour l’heure, elles se sont souvent bornées à soutenir le régime (la France, de longue date) ou à le condamner (les États-Unis, il y a quelques jours), par intérêt économique ou stratégique. (TDG)

Auteur: Cathy Macherel
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