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Cameroun : une société des païens républicains

Leopold Dassi

Wed, 4 May 2022 Source: Léopold Dassi Ndjidjou

L’effervescence suscitée lors de la Pâques tout comme au cours du Ramadan, interroge par contraste, l’adhésion de la communauté nationale aux prescriptions de la loi de la République, oblitérées par les violations du sommet à la base de l’Etat.

La République, notre temple, notre mosquée de vie de foi commune en un destin partagé, notre Cameroun, est aujourd’hui en situation. Et pour cause ? La communauté nationale dans son ensemble, de par sa manière de vivre au quotidien, donne d’appréhender un peuple réfractaire à la loi républicaine, comme le serait une communauté de croyants affirmés mais complètement déconnectés des enseignements des écritures saintes qui fondent leur foi. Le dire n’a rien d’excessif, car tout le mal du Cameroun est en priorité lié à cet appétit quasi jouissif et collectif de violer la loi. Au sommet de l’Etat, les dirigeants qui sont censés être les modèles, les sacrificateurs ou les imams de notre maison de foi commune, ont pris depuis fort longtemps les tuniques des bergers mercenaires, désacralisant par leurs actions infâmes le saint sacerdoce que le peuple leur a confié. Ils n’officient plus pour le bonheur de tous, mais pour des intérêts égoïstes, individuels et particuliers. Nos dirigeants, qui pourtant sont si attachés aux saintes écritures, certainement par crainte de la sanction du Créateur, se complaisent par contre à fouler aux pieds les lois qui encadrent leur conduite en tant que conducteurs, en tant que bergers au sein de la République. Ceci dit, il convient d’avouer que c’est un sacrilège de trouver en prison des hauts commis de l’Etat, tels que les directeurs généraux des sociétés au service de tous, les ministres de la République, voire même ailleurs des chefs d’Etat déchus pour volonté affichée de se détourner des voies qui conduisent au bonheur de tous. Pour beaucoup d’entre eux, ils ont cru confusément que le patrimoine national était leur héritage individuel ou familial. Qu’est-ce que la loi, si ce n’est l’expression de la volonté du grand nombre au sein de la République ? Violer la loi par un dirigeant est de ce fait une façon d’affirmer son paganisme aux valeurs républicaines. Comment ferons-nous pour que, comme dans une église ou dans une mosquée, les fidèles et les dirigeants soient plus ou moins au même diapason ? Quand est-ce que nos dirigeants seront-ils mus par les souffrances et les difficultés de la population ? Quand bien-même c’est le cas, il ne manquera pas une main intermédiaire dans l’appareillage dirigeante pour torpiller cette volonté. Cette peinture, aussi schématique qu’elle soit, montre peu ou prou une classe dirigeante en rupture avec la population, ce qui fait le lit de tous les antagonismes sociaux, de la volonté de tous azimuts des hommes de pouvoir de bander les muscles à chaque instant au lieu de communiquer pour convaincre la population.

Un peuple sourd et muet

Le paganisme ambiant au sein de notre République n’affecte pas seulement les dirigeants, mais aussi le peuple qui est désormais sourd et muet face aux agissements des dirigeants. Ayant compris depuis des lustres que le rapport de force lui était défavorable, il s’est lui aussi révolté aux prescriptions des lois de la République, arguant qu’il faut la contourner pour vivre. C’est un peuple qui pour l’essentiel est dans le système de la débrouillardise, évoluant dans l’informel, c’est-à-dire en marge des prescriptions légales. Le mutisme et la surdité de la population ne signifient pas pour autant une sorte de résignation, mais bien au contraire le développement des moyens ou des réseaux pour violer la loi. Par exemple sur la voie publique, alors que la loi impose à tous d’avoir une carte d’identité nationale, certains ne vont pas se sentir obligés de se faire établir cette pièce capitale, conscients qu’en recourant à la technique de la corruption, ils pourront s’en sortir à bon compte. Et le comble est que ça marche. On peut multiplier à l’envie les exemples dans une société où les profanateurs de la loi ont pignon sur rue. Cette attitude de l’appétence à violer les lois fait du pays un grand mammouth agonisant où chacun est empressé de se servir une portion, sa part, comme si l’intérêt commun était galvaudé. « Nous sommes un peuple d’individualistes », a reconnu opportunément le premier des Camerounais dans un de ses discours. Aujourd’hui, nous sommes comme un peuple de pécheurs, un peuple qui s’est écarté volontairement avec ses dirigeants de la loi qui construit sa sécurité vitale, « les cris du Mbolé » commencent à se faire entendre, surtout des « paniers de la ménagère en feu », pour reprendre le terme de Patricia Ndam Njoya parlant de la flambée des prix la semaine dernière. Notre paganisme au respect des valeurs de la République commence à nous revenir sur le visage. Nous nous plaignons des coupures intempestives d’Eneo mais en même temps nous sommes les premiers à manipuler les branchements et les compteurs pour minorer le paiement des factures. Nous condamnons la corruption, mais nous sommes tous à la recherche des réseaux pour placer nos enfants dans les meilleures écoles, même si nous savons qu’ils n’ont pas de niveau requis. Nous nous plaignons des résultats des élections truquées, mais nous sommes les premiers à sortir des salles de vote avec des bulletins des opposants pour les vendre à un prix fixé. Nous sommes opposants dans l’âme de manière générale, mais il suffit de quelque gadget pour un retournement spectaculaire de veste. Nous faisons tous les jours un méchant procès au régime de Paul Biya mais il est là depuis 40 ans ! A bien y regarder, à force de vouloir enfreindre la loi, chacun à son niveau, pour vaincre l’adversité du quotidien, nous sommes sous le piège de la loi à l’envers. C’est dire que le contraire du travestissement se produit, décevant les attentes, tant au sommet qu’à la base de la République. Comme qui dirait, le païen n’a pas droit à l’espérance, piégé qu’il est dans la satisfaction immédiate et empressée des besoins immédiats. Pour revenir au respect des lois, il est écrit dans la Bible précisément que « maudit est quiconque ne respecte pas la loi ». Serait-ce notre cas ? Il y a donc urgence d’une repentance nationale pour partir d’un autre pied.

Auteur: Léopold Dassi Ndjidjou