Demain nous appartient…
Demain, pourtant, nous ne verrons que du rouge et des roses. Le palais va expirer les voluptés et les gracieusetés du péché originel de la coopération franco-camerounaise.
Demain, Paul Biya ne sera pas l’Homme-lion : il sera l’esprit-tortue. Il dissimulera jusqu’au parjure la noblesse de l’instinct de conservation dont il est désormais l’esclave, comme sait le faire la tortue en cage.
Se rappeler ou périr
Demain, malgré le tumulte des gardes et des délégations, malgré les grimaces et la gesticulation des émasculés en armes et aux bourses pesantes qui croient décider de notre avenir, le silence sera de rigueur. C’est le genre de calme étourdissant qui rappelle la présence de Dieu et les devoirs envers le prochain, surtout si on a la charge de conduire la nation et de lui faire traverser la grande nuit.
Demain, Paul Biya se rappellera, furtivement, en qualité de chrétien impénitent, qu’on ne peut revendiquer fièrement la domination de plusieurs dizaines de millions d’individus et le massacre de milliers d’autres, et réussir quand même à entretenir en soi le souvenir de la miséricorde divine. Se souviendra-t-il, au moins, de ce que manquer à ses engagements représente le péché capital en politique ? La métamorphose est-elle possible ? La repentance est-elle d’actualité ? Va-t-on assister à l’ultime sursaut, le moment paradigmatique, messianique, où le monarque rentre définitivement dans l’Histoire pour avoir sauvé le peuple du désordre, des mensonges et de l’oppression ?
Demain, Paul Biya devrait naître de nouveau, idéologiquement, philosophiquement et politiquement, s’il veut tutoyer les grandes figures majestueuses de l’histoire politique dans ce monde. Si le Président oublie de renaître (ce qui est fort probable, connaissant un peu le modus operandi de l’homme), au-delà de la dialectique historique (des relations internationales piégées) qui avale les contradictions au profit de la force brute et qui se constitue à travers la vie des peuples, nous allons renaître dans cet oubli présidentiel de se transfigurer.
Demain, chacun devra, avec fierté, magnifier l’esprit éprouvé du Muntu (l’Africain) qui demeure, malgré tout, un sujet aussi réfléchissant que combattant. Pour (re)naître en nous-mêmes, nous devons d’abord nous exorciser, en détruisant les effets homicides de la politique et de la philosophie officielles, autrement dit, nous devons nous retourner vers la terre et sentir de nouveau dans notre corps, dans notre chair, la pesanteur rafraichissante de notre provenance radicale. Et ce faisant, nous nous établissons avec assurance dans notre conscience d’être, en vomissant ces venins sacrés ingurgités pendant des années et qui sont distillés dans les écoles, les meetings et les réseaux sociaux.
Naître de nouveau, c’est, surtout, se couper de l’imaginaire immaculé qui se greffe sans cesse, depuis des centenaires, aux représentations attachées à notre identité. C’est cet Africain qui s’ébroue en permanence pour se débarrasser du poids de l’Histoire mystifiée qui porte la responsabilité de l’éveil du continent. Il survient à contretemps ; il déjoue les pronostics. C’est l’Africain « qui commence par la décision de refuser ce paternalisme et le contexte d’ignorance et de violence où cette bienveillance à son égard s’est exercée. Même s’il est fils de la mission, il doit mourir à son enfance pour devenir père à son tour, la tête d’une nouvelle lignée d’hommes, mais non perpétuer les Nègres, colonisables et objets d’endoctrinement et de bienfaisance » (Éboussi Boulaga, À contretemps).
Oublier Achille Mbembe
Demain, il ne s’agit plus simplement de « dépoussiérer » les relations franco-africain, camerouno-françaises : il s’agira de démanteler les fondations du mépris, du bavardage et du sabordage historique (notre liquidation géopolitique) de la France et les racines de la cleptocratie (la malédiction du vol) régnante qui s’en inspire à l’intérieur de nos États depuis la fausse indépendance.
Demain, nous nous souviendrons de la séance mémorable de prestidigitation de Montpellier et de ses deux metteurs en scènes, Achille Mbembe et Emmanuel Macron. Nous nous rappellerons, avec un arrière-goût d’amertume, qu’Achille Mbembe, c’est la lucidité la plus poignante de l’Africain, aujourd’hui. Il permet de se voir davantage que la vue n’en est elle-même capable : il est la clarté de tous les regards africains embrouillés par l’aveuglante négativité-crédulité qu’impose les toisements occidentaux. Mbembe est le levier de toutes les interprétations des mondes contemporains à notre sujet…
Demain, malheureusement, nous nous rendrons à l’évidence que Mbembe n’est pas une arme : il est un pont (qu’un infime obus peut faire exploser à tout moment, à la seconde) ! Nous avons besoin de plus que cette remise en question de soi, davantage que cette pénétration de vue qui noie les fausses clartés dominantes.
Demain, nous oublierons donc, provisoirement, Achille Mbembe, car nous ne nous contenterons pas simplement de « provoquer » l’histoire et de la comprendre. Nous l’avons déjà assimilée. Maintenant, nous allons en déboulonner les poutres incendiaires pour travailler, de manière décisive, à en vivre pleinement les battements souterrains et les impulsions les plus manifestes. Le secret de l’histoire est le secret de la vie : il faut la pensée et vivre sa pensée ; il faut penser en homme d’action et agir en homme de pensée, pas en littérateur des tourments et des misères humaines.
L’ensemencement du présent
Demain, chacun sera philosophe, à sa manière, parce qu’il refusera qu’on lui refuse le droit de réfléchir et de décider, au terme de son effort critique ; qu’on lui refuse de dire et d’appliquer le message des inspirations affectives et intellectuelles qui suintent de sa cervelle en ébullition (les Camerounais pensent, les Africains pensent ; ils ont mêmes l’addiction de la pensée, à preuve, ils sont tourmentés par l’interdiction systématique des libertés d’expression et de manifestation). Un peuple qui ne se préoccupe pas de la qualité de son quotidien et de la sécurité de son avenir, en mot, un peuple qui ne raisonne pas n’est pas si actif dans les réseaux sociaux, dans les médias, dans les églises, les terrains de jeu. Si les Camerounais(es) n’étaient pas pleinement conscients de leur embastillement et de leur spoliation, s’ils étaient insensibles aux douloureuses éraflures et blessures gangrénées que leur infligent les chaînes de la dictature des paresseux imposteurs qui les gouvernent, ils ne seraient pas si nombreux parmi les victimes des embarcations échouées aux plages européennes, à la recherche d’une petite bouffée d’air frais pour… penser à comment gagner leur vie.
Demain, les universitaires, les intellectuels, les leaders d’opinions, les hommes politiques et tous les acteurs de premier plan de la société doivent faire leur mue et devenir des hommes et des femmes d’ensemencement, c’est-à-dire des catalyseurs de progrès, des instructeurs du bon goût et du jugement droit. Cultiver le beau et la lucidité contribue à se renflouer d’humanité ; c’est neutraliser la précarité ontologique et économique imposée pour prospecter au cœur des richesses insondables de la vie. Tels furent la stature et le dessein de nos penseurs radicaux, un Towa, un Ela ou un Éboussi, par exemple. Dans Christianisme sans fétiche, ce dernier prévient le lecteur sur sa posture critique : « Ne me demandez pas d’où je parle, qui je suis et à quel public je veux faire du bien ou du mal, écrit-il. Je suis un homme comme vous, je mourrai et je ne suis pas né fonctionnaire de la Vérité ni professionnel du christianisme. J’écris pour ôter mes masques avant que ne s’efface mon visage. L’important n’est pas d’être ceci ou de ne pas croire cela. Seule vaut la manière de n’être point ou de ne pas croire. Le partage qu’elle instaure se situe en dessous des allégeances, des allégations doctrinales et des programmes » (Éboussi Boulaga, Christianisme sans fétiche, p. 17).
Demain, tout le monde comprendra que la philosophie n’est pas seulement un système abstrait de pensées, supposées historiquement dépassées, qu’il convient de perpétrer ad vitam aeternam : elle est un effort actualisé de systématisation du regard par rapport aux problèmes qu’affrontent l’être humain et aux éléments théoriques et pratiques susceptibles d’aider à les solutionner.
Demain, chacun comprendra que Macron a des épaules trop frêles pour entreprendre des réformes radicales préjudiciables au système d’aliénation, d’exploitation et d’ensauvagement de la françafrique, et que la théorie néo-impérialiste en vigueur dans les cercles de décisions à Paris, à Marseille ou à Montpellier est si enracinée dans l’élite dirigeante française qu’on ne peut rien attendre de bon de l’Hexagone.
Demain, enfin, nous allons sortir de la concertation et de la conversation pour fabriquer des pensées détonantes qui forcent la conversion du grand Autre.