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La signification de la terre et du territoire dans la pensée Bamiléké

Image illustrative

Thu, 20 Apr 2023 Source: Mauris Samen

Nkohn en langue medumba est l’une des appellations des lois sacrées.

Selon les érudits bamiléké la terre dans leurs chefferies n’est pas la propriété d’un seul homme. Dans la construction de l’identité culturelle et religieuse bamiléké, le territoire n’est pas perçu comme une notion essentielle. La terre est appelée couramment tcha ou ta ; le sol ou le bas, si ; tandis que terme le plus utilisé pour désigner leur Divinité suprême est Si. Ce lexique signale une corrélation entre le bas, le sol et le sacré, et la Divinité Si s’exprime elle-même par la terre. La Terre est le plus souvent appelée « Si-tcha », que l’on pourrait traduire mot à mot par « Divinité-terre » ou encore « Divine-terre ». Les fondements socio-politiques des lah (chefferies) reposent sur Si qui de manière figurative, les aurait établis en tant que structures permettant aux Hommes d’avoir la possibilité d’accéder à un état d’être et de connaissance « élevé ». En tant que fondatrice du lah, Si est aussi perçue comme première souveraine et force immanente se réincarnant dans tous les fo (rois) « Si be fo » (Si est fo) (Garnier & Fralon, 1951 ; Hirsch, 1987) et établit les règles de vie appelées nkohn5.

Dans un lah, la terre possède un caractère sacré ; elle est inaliénable. Au cours d’un entretien dans sa chefferie à Bamendjinda, le fo Tanefo renchérissait que : « c’est un sacrilège de vendre la terre » (J.-M. Tanefo, communication personnelle, Bamendjinda, 13 janvier 2013). Le lah étant établi sur une terre qui n’appartient pas à ses habitants, les érudits envisagent le territoire comme nécessaire à l’établissement du lah sans toutefois être essentiel. Ce point marque – à mon avis – une différence fondamentale, et trop souvent ignorée, entre chefferie et lah. Employé par l’administration coloniale dans le cadre de la territorialisation, le terme « chefferie » fixe géographiquement un lah. Or le lah existe au-delà du territoire, il est avant tout une communauté spirituelle sur terre (tcha) avec pour dessein principal le renforcement des liens entre l’Homme et le sol, entre l’Homme et Si-tcha (Divinité-terre). Quoique cette conception ne soit pas spécifique aux Bamiléké, il est impératif de la prendre en considération afin d’analyser les raisons pour lesquelles appartenir au lah est pour ces derniers d’ordre vital (Samen, 2018). La sacralité du sol renvoie donc à un rapport complexe entre l’Homme, la terre, le territoire et la chefferie.

Il est à noter que le sens du monde dans cette conception du monde est du haut vers le bas.

20L’établissement d’un lah sur une terre, ainsi que la garantie de son intégrité territoriale, dépend des bons rapports que les habitants entretiennent avec le sol ou la Divinité Si. La qualité de ces rapports est influencée surtout par l’observation ou non des lois sacrées, et a en retour un impact sur l’épanouissement d’un individu. Les bonnes relations garantissent aussi l’intégrité territoriale, physique, matérielle et spirituelle, ainsi que la descente du défunt dans le monde souterrain des ancêtres6.

Au sein des lah, il existe une différence entre le père biologique et le père social. Le père so (...)

21L’idéal bamiléké sera de renforcer ce lien avec Si-tcha, la Divinité-terre. Ce lien est d’ores et déjà établi dans la mesure où l’Homme vit sur terre. Pour le renforcer, les Bamiléké utilisent divers procédés, symbolisés par des rites. Par exemple, dès la naissance, le symbole du renforcement de ce lien entre l’Homme et la terre se fait par l’enterrement du cordon ombilical du nouveau-né sur le domaine de son père social7 afin de marquer son appartenance à un réseau social et à un lieu géographique donné, indispensables à son épanouissement dans la vie future. L’enterrement du cordon ombilical s’apparente à une « formalité d’identification de la personne », car l’Homme appartient au lieu où son cordon ombilical a été enterré. Tout au long de sa vie, cet endroit exact demeure, pour un Bamiléké, le lieu de référence pour l’exécution de rites qui lui permettent de grandir sur le plan physique, social et spirituel (Kamga, 2008).

L’immense Terre abrite en son sein les ancêtres. Afin d’établir le contact entre un Homme et ses ancêtres, il devient nécessaire de trouver un endroit approprié pour rentrer en relation. En enterrant le cordon ombilical, l’enfant est relié symboliquement à ses ancêtres grâce au lieu en question (Kamga, 2008). La « terre » d’un Bamiléké se trouve là où demeurent ses ancêtres, représentés par leurs reliques, en l’occurrence leurs crânes (Tanefo, 2012 ; Tchoutezo, 2006). Ceci explique, comme nous le verrons dans la section suivante, pourquoi quitter sa terre n’est pas sans conséquences pour l’identité d’un Bamiléké ou sa perception de soi.

Auteur: Mauris Samen