Le Cameroun est mort hier soir, ce pays a déjà coûté la vie à un demi-million de personnes

Pierre Bekolo 2 Jean Pierre Bekolo

Sat, 25 Oct 2025 Source: Jean Pierre Bekolo

Avez-vous entendu ? Depuis hier soir, le Cameroun n’existe plus. Avec cette disparition, nous venons de perdre des décennies d’efforts à croire en quelque chose qui n’a jamais vraiment existé. Nous avons perdu tant d’années de mois de notre temps, je ne parle pas des milliards — et en une seule nuit, tout est parti en fumée.

Vous auriez pu simplement proclamer Paul Biya « président à vie », roi ou empereur — d’autres l’ont fait avant vous, et le monde entier nous connaît déjà, nous Africains, dans ce registre.

Vous faites des arrestations ? Vous êtes gentils : vous auriez pu simplement procéder à des exécutions sommaires. Après tout, c’est ça l’Afrique, n’est-ce pas ?

Vous envoyez des soldats du Sud au Nord, vous arrêtez des Nordistes, vous bouchez leurs quartiers : c’est tout ? Pourquoi ne pas faire comme au Rwanda : monter nos Hutu contre nos Tutsi et en finir une fois pour toutes … à la machette!

Vous dites qu’Anicet Ekane possédait deux AK-47 ? Deux fusils ? Deux? Dites plutôt qu’il avait chez lui de l’uranium pour fabriquer une bombe atomique qui allait anéantir tout le Cameroun !

Vous nous prenez à témoin à travers vos influenceurs. Pourquoi vous donnez-vous tant de peine à nous inonder de messages sur les réseaux sociaux ? Qui sommes-nous à vos yeux ? Rien. Vous êtes tout-puissants. Quoi va faire?

Ce que vous avez détruit hier soir, ce sont des années, voire des décennies, d’un récit démocratique: une école de la démocratie pour un peuple parti de très loin — quand on connaît notre histoire depuis les Manga-Bell, une construction née dans l’adversité entre Camerounais. Ce récit, qui nous dépassait tous et nous faisait croire que nous allions quelque part, a été brisé hier soir. Vous venez de nous faire faire l’exploit d’un grand bon narratif en arrière.

Vous devez être condamnés d’avoir rouvert les plaies de notre douloureuse histoire : les complots fabriqués, les accusations d’insurrection, les arrestations arbitraires — tout ce vocabulaire colonial qui jadis a servi à briser notre lutte nationaliste et à replonger le Cameroun dans ses années les plus sombres. Une histoire qu’on veut toujours secrète au Cameroun malgré le rapport de cette guerre de la France au Cameroun , parce qu’on veut continuer avec les mêmes méthodes.

C’était donc cela, « ne dure pas au pouvoir qui veut mais qui peut »? En maintenant le Cameroun au fond du trou odieux de son histoire pour y puiser les recettes qui nous ont condamnées jusqu’à ce jour?

Comment pouvez-vous nous faire croire qu’Anicet Ekane ne croit pas à la démocratie ? Lui qui a offert son parti, le MANIDEM, à Maurice Kamto, lui-même en première ligne pour encourager les Camerounais à s’inscrire sur les listes électorales ? Comment croire que Djeukam Tchameni, qui, avec Ekane, a contribué à créer sous nos yeux l’Union pour le Changement (UPC) et à œuvrer pour un candidat consensuel, préparait la guerre ? Ces hommes ont cru à la démocratie sous nos yeux ; ils ont cru en la force du vote et en la maturité du peuple camerounais.

Il est impensable qu’une intelligence, quelle qu’elle soit, puisse avaler votre narratif de la répression coloniale . N’en déplaise à ceux que j’appelle les intellectuels domestiqués — les « Domestithinkers » — des gens brillants qui acceptent de se mettre au service de personnes très limitées.

Le pire, c’est pour nos enfants, qui n’avaient plus que la fierté d’être camerounais, d’être « continentaux » — fierté renversée hier soir. Comment, alors que nous étions engagés dans une remontada d’un « ndem » de 43 ans , peut-on, en un instant, renverser tant d’efforts, effacer tant de sacrifices et voler à nos enfants l’héritage démocratique que nous pouvions au moins leur transmettre ?

Comment peut-on replonger le pays dans un récit de trahisons et de violences, un récit qui, selon notre mémoire collective, a déjà coûté la vie à près d’un demi-million de Camerounais — à Um Nyobè, Ernest Ouandié, Osende Afana, Félix Moumié ? Si, comme on dit chez nous, les morts ne sont pas morts, le Cameroun que vous avez tué hier soir ne mourra pas.

Auteur: Jean Pierre Bekolo