Dans plusieurs pays d’Afrique centrale, l’Église catholique est souvent la seule structure institutionnelle et morale qui tient debout sur la durée malgré des vents politiques contradictoires.
Au Burundi, où sa voix dépasse les clivages communautaires, elle est parfois menacée par le pouvoir du président, Pierre Nkurunziza, un chrétien évangélique qui craint son influence. En Centrafrique, la popularité et la capacité d’action de l’archevêque de Bangui – et tout nouveau cardinal – Dieudonné Nzapalainga dépassent largement les frontières confessionnelles.
La visite, en novembre 2015, du pape François dans ce pays, en dépit d’une situation sécuritaire incertaine, a encore renforcé son image. À Kinshasa, la Conférence épiscopale nationale du Congo – dont fait partie le respecté cardinal Laurent Monsengwo, très écouté par le souverain pontife – est devenue le pivot des discussions en vue d’une sortie de la crise politique. Partout sur le continent, y compris dans les pays où les chrétiens sont largement minoritaires, les œuvres catholiques – éducatives, médicales, sociales et intellectuelles – sont saluées par les populations et les autorités.
Depuis l’élection du pape François en mars 2013, une dizaine d’accords ont été signés entre le Saint-Siège et des États africains, du Tchad à la Centrafrique, en passant par le Cap-Vert, pour faciliter le travail des religieux catholiques. L’Afrique est toujours considérée comme une terre de mission par le Vatican, notamment du fait que les religions traditionnelles y occupent encore une place importante.
19,4% de la population africaine est catholique
Même si la concurrence des Églises évangéliques et pentecôtistes s’intensifie, le nombre de catholiques africains continue d’augmenter, avec, selon le Vatican, quelque 222 millions de baptisés recensés sur le continent en 2015.
Les catholiques représentent désormais 19,4 % de la population africaine?: c’est 1,6 point de plus qu’en 2010, même s’il peut y avoir des doubles appartenances confessionnelles. Quant au nombre de prêtres diocésains sur le continent, il a bondi de 20 % entre 2010 et 2015, avec 30?538 membres du clergé ordonnés à cette date.
Mais l’Église catholique et ses évêques en Afrique – qui sont les premiers maîtres à bord dans leur diocèse – font face ces derniers mois à plusieurs scandales de gouvernance. Fin mars, un reportage pour l’émission télévisée Cash Investigation de France 2 révélait l’omerta qui existe sur les questions de pédophilie, et un système quasi institutionnalisé de mutation de prêtres occidentaux accusés de tels crimes, avec des exemples au Cameroun et en Guinée.
Fin mai, peu après que le pape François a nommé cardinal l’archevêque de Bamako, Jean Zerbo, le nom de ce dernier est apparu dans la presse comme titulaire de comptes suisses totalisant en 2007 quelque 12 millions d’euros, une somme qui suscite l’interrogation des fidèles locaux vivant chichement.
Le 8 juin, le pape François a reçu sévèrement une délégation nigériane du diocèse d’Ahiara, dont les prêtres refusent depuis cinq ans leur évêque nommé par Rome, au motif qu’il est originaire d’une autre communauté tribale du Nigeria.
Un silence plus tenable
Enfin, au Cameroun, les spéculations vont bon train depuis le décès inexpliqué de Mgr Jean-Marie Benoît Bala, l’évêque de Bafia, dont le corps a été retrouvé le 2 juin dans une rivière, trois jours après sa disparition. Une mort qui vient s’ajouter à une liste déjà longue de prêtres et évêques assassinés dans le pays.
Cultivant la discrétion depuis toujours, surtout sur les sujets sensibles, l’Église catholique ne peut plus se permettre de mettre sous le boisseau les affaires d’argent et de mœurs de son clergé, ni les tensions intercommunautaires qui l’habitent parfois.
Les fidèles n’hésitent plus à dénoncer certains prêtres
« À l’heure où les réseaux sociaux ont pris leur envol sur le continent, les fidèles choqués n’hésitent plus à dénoncer ad nominem certains prêtres qui, d’un côté, professent une morale catholique conservatrice – les prélats africains sont souvent les plus rigides dans les instances du Vatican –, mais qui ne la mettent pas en pratique eux-mêmes », observe Odon Vallet, auteur de plusieurs ouvrages religieux et dont la fondation éponyme est active notamment au Bénin.
Même si les responsables catholiques, rappelant leurs deux mille ans d’histoire, répètent souvent que « le temps de Dieu n’est pas celui des hommes », il y a urgence pour les évêques du continent, appuyés par Rome, à faire œuvre de transparence. Sinon, comme le fait remarquer le jésuite camerounais Ludovic Lado, « les contre-témoignages de certains mettront un voile dommageable sur tous les services que l’Église rend à l’humanité souffrante en Afrique ».