Les jours passent et les leaders d’opinion camerounais sont de plus en plus nombreux à dénoncer le fédéralisme communautaire prôné par le président du PCRN, Cabral Libii. Si Maurice Kamto se montre prudent, l’ancien député du RDPC Jean-Simon Ongola Omgba critique lui sévèrement les idées de Libii dans cette tribune.
Comme un feu de braise, le tribalisme et la montée des conflictualités ethniques et régionales brulent jour après jour sous la peau du Cameroun. Des identitaires de toute obédience et par opportunisme, sans forcément avoir pris la mesure de la gravité de leur démarche, s’engagent sur un terrain escarpé qui est un danger pour la République.
En lieu d’un Cameroun uni et indivisible, certains regroupements et acteurs politiques suscitent et réclament un pays morcelé dans un fédéralisme communautaire. Les constitutionnalistes compétents dont regorgent nos institutions universitaires, sauront dans les prochains jours nous apporter des éclairages sur le caractère utopique et funeste de ces projets. Il est certes naturel et légitime de revendiquer son appartenance à une ethnie. Mais l’État-nation-qui est un sanctuaire pour tous les Républicains a besoin de toutes les tribus pour bâtir un avenir commun. Les regroupements régionaux ont une immense responsabilité dans la consolidation de l’unité et de la cohésion nationale.
Le Président Paul BIYA, homme d’État chevronné, pragmatique et lucide, parfait connaisseur des arcanes de la société camerounaise sur la question centrale du tribalisme nous rappelle judicieusement dans son ouvrage Pour Le Libéralisme Communautaire : « Je vous dis chers compatriotes, du plus profond de ma conviction d’homme d’État et de mon attachement aux idéaux républicains, fort de la distance parcourue ensemble du temps passé à vous écouter et à vous servir, que le salut se trouve dans la construction solidaire et complémentaire d’un Cameroun qui transcende les ethnies... »
Le Cameroun est taraudé par une crise tribale aux relents communautaristes. On observe de plus en plus que c’est d’abord sur l’appartenance ethnique ou communautaire que se cristallise le débat sur l’avenir du pays, avec une volonté de diabolisation des supposées rivalités entre les BULU et les NANGA, entre les PEULHS et les KIRDI, entre les SAWA du sud-ouest et les autochtones du nord-ouest culturellement proches des BAMOUN et des BAMILEKE. Ce mal rampant alimenté par des politiciens et des médias irresponsables, est un sujet d’inquiétude et une réelle préoccupation pour tous les Républicains. Le silence assourdissant des acteurs politiques et des élus de tous bord face aux talibans de la pensée tribale dans notre pays ne peut laisser personne indifférent. Nous attendons une indignation infatigable et une répression impitoyable face à tous ceux –qui par un discours équivoque et factieux-tentent de faire vaciller le fragile édifice du vivre-ensemble.
Le tribalisme et le communautarisme -qu’ils soient au niveau local ou fédéral- au lieu d’être instrumentalisés, doivent être débattus et combattus. C’est un devoir patriotique et républicain. Ce que la situation actuelle commande, c’est un choc de prise de conscience de nos fragilités. Le Cameroun ne doit pas se laisser piéger dans la spirale de l’exacerbation du tribalisme. C’est dans ce contexte que tous les regroupements et discours qui revêtent un soupçon de repli ethnique, avec tous les présupposés simplistes mais efficaces, sont de véritables dangers pour tous.
Le bradage de la cohésion nationale est facilité par les médias qui font preuve d’une talentueuse truculence désacralisatrice des valeurs républicaines et du vivre ensemble. Si nous n’y prenons pas garde, la constellation ethnique et régionale qui semble vouloir prendre le dessus dans les médias, va répandre dans nos villes, quartiers et villages son haleine fétide. Elle va gagner le cœur de nombreux Camerounais, surtout les jeunes empêtrés et assommés par les difficultés et le chômage. Il y’a une responsabilité que nous devons assumer : le désarroi moral des Camerounais ne tient pas seulement aux difficultés de la vie quotidienne, mais aussi à l’instrumentalisation des questions identitaires à des fins d’opportunisme voire d’imposture politique. Ceux qui veulent continuer à faire croire que la tribalisation de la société camerounaise est une vue de quelques illuminés, courent le risque de nous faire payer le prix de cet incroyable déni.
C’est dans ce climat que dans les milieux FANG-BETI, on entend souvent cette interpellation « Les autres s’organisent. Qu’attendons-nous ». Cette question contient les germes de la fracturation ethnique qui nous menace tous et préfigure de l’émergence d’une crise politique sans précédent. Le lexique tribal « tontinards » et « sardinards » forme un précipice qui rappelle le climat qui a précédé l’ivoirité, le génocide rwandais, la déflagration ethnico religieuse de la Centrafrique. Le moment est propice pour inverser le raisonnement. C’est au nom de l’appartenance à une même nation que toutes les tribus, collectivement doivent rechercher des progrès concrets dans l’égalité des droits et des libertés. C’est au nom de la conception militante de la République qui privilégie le commun au détriment du particulier, la bonne gouvernance, la transparence et la compétence au détriment de la corruption et de l’incompétence, l’État-nation au détriment de l’ethnie qu’il faut relever le défi du « vivre ensemble », mieux du « vouloir vivre ensemble ».
Tout ceci suppose une vision et un projet politique collectif. Casser les ghettos du tribalisme et donner corps à la promesse républicaine, porteuse de paix et de développement est un enjeu national. L’immense majorité des Camerounais n’est pas tribaliste. Cependant, elle peut le devenir à force de suivre les envolées communautaristes de certains. Œuvrer ensemble pour bâtir un avenir commun est un devoir qui conditionne l’existence des jeunes générations dans un univers où nationalisme, racisme et populisme se sont emparés de nombreux pays. Le Cameroun n’est pas un laboratoire d’expérimentation du fédéralisme communautaire, qui peut se transformer en une des formes les plus hideuses et détestables du tribalisme. Cette malheureuse initiative est une faute politique.