La Crise qui guette l'Université des Montagnes

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Fri, 8 Jan 2016 Source: Le Jour

En cette mi-journée du 30 décembre 2015, le visiteur du campus principal provisoire de l’Université des Montagnes (UdM), à Mfetum, Bangangté, est surpris par le calme des lieux. En dehors des oiseaux qui piaillent dans des cyprès hauts, les employés se dévouent à la tâche. Chacun est dans son bureau. A la présidence de l’institution, juste à l’entrée, l’ambiance est des plus ordinaires.

Les cadres entrent et ressortent, après avoir porté leurs problèmes. On est bien loin de l’ambiance qui y a prévalu au début du mois, lorsque des étudiants s’étaient mis en grève et avaient porté le noir pour accompagner leurs revendications, soumises au président de l’université, le Pr. Lazare Kaptué, quelques jours plus tôt. Etudiants de 4ème, 5ème et 6ème années de la filière pharmacie, selon les responsables, ils ont repris les cours.

Les revendications, rappelle-t-on, portent sur une instruction ministérielle qui fait passer le cycle de formation de six à sept ans. Eux ne voulaient ni la faire ni la payer. « Parce qu’ils sont entrés à l’école avant les textes réorganisant cette filière, ils estiment qu’ils ne sont pas concernés par les instructions gouvernementales ». Orientés vers le ministère de l’Enseignement supérieur, avec au besoin un accompagnement et même la collaboration des étudiants d’autres instituts de formation, les grévistes avaient décliné l’offre.

On est le 6 décembre. Deux jours auparavant, une assemblée générale élective de l’Association pour l’éducation et le développement (Aed), promotrice de l’Université des Montagnes (UdM) et des Cliniques universitaires des Montagnes (CuM) s’était tenue dans le même campus. « Sur 47 membres à jour de leurs obligations, 27 étaient effectivement présents et sept représentés », lit-on dans le procès-verbal qui sanctionne les travaux. Le quorum était réuni pour procéder au renouvellement du comité d’orientation. Quelques jours auparavant, le Pr Ambroise Kom, ancien vice-président de l’UdM, suspendu par des personnes qu’il juge non qualifiées, avait servi une citation directe à un certain nombre de membres de l’Aed, au motif de diffamation et d’usurpation de titre.

Lazare Kaptué est convaincu que les étudiants ont été manipulés. « Nous leur avons expliqué que j’étais incompétent pour résoudre ce problème, car la mesure ne concerne pas uniquement l’UdM, mais les autres instituts de formation. C’est une mesure générale », explique-t-il. Il en est d’autant plus convaincu que le jour de leur entrée en grève, une délégation de l’Agence française de développement (Afd), partenaire financier de l’UdM dans la mise en place du nouveau campus, sis à Banekané, devait séjourner à Bangangté.

Déblocage in extremis

Les travaux de construction d’un campus futuriste de 14 bâtiments, incluant des bureaux, des blocs spécialisés, des laboratoires, un amphithéâtre, une bibliothèque avaient en effet été lancés par l’ambassadrice de France au Cameroun, Christine Robichon, le 30 septembre 2015. Dite « pose de la première pierre », il s’agissait plus exactement de l’extension et de la modernisation du site déjà occupé par les Cliniques universitaires des Montagnes et deux autres bâtiments, grâce à un prêt concessionnel de 5 milliards de F.Cfa. « Ils ont été instrumentés pour freiner une mission de l’Agence française de développement. Ils pensaient qu’en voyant les étudiants en grève, ils allaient conclure que rien ne marche et allaient suspendre le déblocage des fonds, prévu dans les jours suivants », tranche Lazare Kaptué.

Après plusieurs jours de concertation, les contours de la crise à l’Aed ont été expliqués à la mission, qui est répartie convaincue de la pérennité du projet. A en croire la hiérarchie de l’UdM, la première tranche des fonds séjourne depuis lors dans le compte de Djemmo Btp, l’entreprise retenue pour les travaux. En clair, l’argent ne transitera par aucun responsable de l’Aed ou de l’UdM. Si sur le campus de Banekané, les travaux n’ont pas beaucoup évolué, c’est, dit-on, parce qu’il fallait laisser la bourrasque passer. Ce qui, dans le camp de Lazare Kaptué, relève du passé. « Nous sommes tranquilles. Nous attendons qu’après les querelles au sommet, on trouve la meilleure formule pour améliorer ce qui se fait déjà de bien ici », confie un responsable, sous anonymat. Un malaise semble régner dans les rangs du personnel, certains cadres ayant entretenu de bons rapports de collaboration avec le Pr Kom, redoutent une chasse aux sorcières.

Quant aux étudiants rencontrés, ils affirment n’être pas concernés par la crise. « Cela ne se ressent pas dans les cours que nous faisons », dit un étudiant de niveau 2 de médecine. Pour autant, la crise n’a pas dévoilé ses derniers effets. En attendant l’issue des procès intentés réciproquement à Yaoundé et Bangangté par les protagonistes, le feu brûle dans les médias et sur la Toile, en témoigne la sortie épistolaire du Pr Kaptué. Personnage connu pour sa bonhomie, il n’a sans doute pas supporté que l’on porte atteinte à sa réputation et, la « mise au point » publiée sur Internet, a lancé une charge virulente contre le Pr Kom qu’il présente comme un amasseur de dollars. Or ces deux-là ont habitué le public à un autre type de discours. L’Université des Montagnes camer.be, disaient-ils en temps de paix, a été conçue pour rompre avec l’université coloniale et postcoloniale en Afrique.

Plusieurs fois, Lazare Kaptué a appelé Ambroise Kom dans des cérémonies publiques pour qu’il vienne expliquer la philosophie de cette nouvelle conception de l’école. « C’est lui qui a les mots justes pour expliquer notre vision », précisait le président. « L’Université des Montagnes est née de l’échec de l’université postcoloniale, qui n’apporte pas les solutions attendues aux problèmes de la population. Nous ne sommes pas ici pour faire de la reproduction ou faire comme les autres. Grâce à nous, l’offre dans la formation sanitaire s’est considérablement améliorée au Cameroun. Nous voulons utiliser notre imagination pour solutionner nos problèmes, sans attendre que la manne nous tombe du ciel », expliquait par exemple le vice-président de l’UdM, à l’ouverture d’une journée pédagogique sur la masso-kinésithérapie le 6 mars 2015, devant une quarantaine de médecins, infirmiers et autres promoteurs de structures de santé, venus à la rencontre des experts importés de France.

Lauriers, bénévolat et camerounismes

Lorsque l’UdM ouvre ses portes en octobre 2000, elle compte 46 étudiants dans les filières médecine et pharmacie. C’est d’abord pour sauver la scolarité des premiers étudiants que l’UdM s’ouvre à l’expertise étrangère. Le souci de la qualité l’amènera à faire venir à Bangangté des partenaires de 21 universités à travers le monde, dont les Universités Paul Sabatier de Toulouse III, de Montpellier, de la Franche Comté à Besançon, de Saint-Etienne... La formation s’est diversifiée à partir de 2001, avec le génie biomédical, Informatique et réseaux, Réseaux et télécommunications.

Source: Le Jour