En recueillant trois jeunes filles déplacées à la suite de l’attaque de leur village par Boko Haram, François Sakotai ne se doutait pas que ce geste généreux serait à l’origine d’un miracle : la réunion d’une mère avec ses enfants.
Lorsqu’on lui demande son âge, François Sakotai se contente de sourire. « Je ne sais pas, répond-il, 70 ans, 80 peut-être ? Tout ce que je sais, c’est que je suis vieux. Je suis vieux et j’étais seul, jusqu’à ce qu’Élisabeth, Delphine et Waibai arrivent chez moi. »
Revenons au printemps 2015. La région de l’Extrême-Nord subit régulièrement les violentes attaques des troupes de Boko Haram. « Mais elles ne sont jamais parvenues jusqu’ici, à Dzawandai, » explique François. « Certains villages avoisinants n’ont pas eu cette chance. » Pointant du doigt la route sinueuse, François se rappelle. « Deux des quatre villages qui bordent la route ont été attaqués, brûlés et des gens ont été tués. »
Au moins 2,6 millions de personnes ont été déracinées en raison du conflit, dont 1,4 million d’enfants.
Où sont mes enfants ?
Les troupes de Boko Haram ont également pris d’assaut le village de Shogulè, où vivait Rosalie Tawasa avec son mari et leurs cinq enfants. Rosalie faisait ses courses au marché, son bébé dans le dos, lorsque son village a été attaqué.
« J’ai entendu une bruyante explosion dans le village, puis des coups de feu », se souvient-elle. Son mari était parti travailler dans les champs, pendant que ses trois filles et le plus âgé de ses fils étaient restés seuls à la maison. « Je me suis précipitée chez moi pour aller chercher mes enfants, mais lorsque je suis arrivée, la maison était vide. Ils étaient partis. »
Rosalie s’est mise à rechercher désespérément ses enfants ; en vain, ils avaient disparu. « Je tremblais de tous mes membres. J’ai parcouru toutes les routes, tous les chemins, en demandant à chaque enfant que je rencontrais : as-tu vu mes enfants ? Où sont-ils allés ? »
Protéger mes sœurs à tout prix
« Nous avons entendu des coups de feu, mais je ne comprenais pas ce qui se passait. J’avais entendu parler de Boko Haram, mais je ne savais pas que c’était eux », raconte Élisabeth, la fille aînée de Rosalie, âgée de dix ans. Les trois sœurs se sont cachées en se plaquant contre le sol de la maison ; leur frère Alexis, qui jouait dans le quartier, a disparu.
Dehors, tout le monde fuyait et les trois sœurs ont décidé d’en faire autant en allant se réfugier dans les bois. « Pendant les jours qui ont suivi, la forêt est devenu notre refuge », se souvient Élisabeth. « Le plus dur, c’était de ne pas savoir où étaient nos parents ; je devais protéger mes sœurs et moi-même. »
Le premier miracle
Les trois jeunes filles, épuisées et terrifiées, sont arrivées devant la ferme de François. « Elles étaient affamées. Je leur ai donné de l’eau, de la nourriture et leur ai demandé où étaient leurs parents. Elles m’ont raconté ce qui s’était passé et je leur ai proposé de rester chez moi jusqu’à ce qu’elles retrouvent leurs parents. »
Pendant que les trois sœurs étaient en sécurité chez François, Rosalie continuait à chercher ses enfants. Elle ne se rappelle pas combien de jours ou de semaines se sont ainsi écoulés, mais elle a continué à chercher. Un jour, ses recherches l’ont conduite à Dzawandai. Elle a demandé au chef du village s’il avait entendu parler d’enfants déplacés et celui-ci l’a immédiatement emmenée chez François.
« J’ai crié “Maman ! Maman !”, dès que je l’ai vue », raconte Élisabeth, avec un grand sourire. Les trois sœurs étaient enfin réunies avec leur mère Rosalie. Cependant, il manquait encore une personne pour que le bonheur de Rosalie soit complet : son fils Alexis.
Les mois ont succédé aux semaines, sans que Rosalie ne cesse de s’inquiéter pour Alexis. Un an plus tard, alors qu’elle s’était rendue au marché dans la ville voisine de Mokolo, Rosalie remarqua un garçon qui ressemblait à son fils. Le garçon, qui lui aussi l’avait vue, se précipita immédiatement dans ses bras. Alexis avait passé l’année écoulée avec une famille qui l’avait recueilli.
Du temps pour panser les blessures
Un grand nombre de personnes déplacées ont trouvé refuge dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Dans cette région, l’UNICEF et ses partenaires sont présents dans 31 villages et travaillent également avec le camp de réfugiés de Minawao pour fournir un environnement sûr aux enfants victimes du conflit, les mettre à l’abri des risques et protéger leurs droits.
Bien que Rosalie et ses enfants soient maintenant réunis, il leur faudra du temps pour se remettre. Grâce au soutien de l’UNICEF et d’une association locale, ALDEPA , Élisabeth, Delphine, Waibai et Alexis peuvent participer à des activités récréatives et éducatives avec d’autres enfants déplacés et réfugiés.
Deux cents animateurs d’ALDEPA sont déployés dans la région de l’Extrême-Nord pour jouer avec les enfants, organiser des activités éducatives et rendre visite aux familles. Ces interventions ont pour but d’aider les enfants à reprendre une vie normale tout en les aidant à se remettre des violences dont ils ont été témoins, et de les préparer à rentrer à l’école.
L’UNICEF travaille également avec d’autres acteurs essentiels (le gouvernement, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Comité international de la Croix-Rouge et la Croix-Rouge du Cameroun) pour identifier les garçons et filles seuls, séparés de leurs parents, et rassembler les informations qui permettront de retrouver leur trace. Ces efforts facilitent le regroupement familial et la réintégration des enfants seuls dans leur famille.
Ma maison est la leur
« Pour moi, offrir refuge aux enfants était naturel, de même qu’accueillir aujourd’hui Rosalie et son fils », affirme François. « Pour moi, un être humain est un être humain. S’ils décident de partir un jour, ce sera leur propre choix, mais s’ils décident de rester, ma maison leur appartiendra après ma mort. À présent, ce sont eux ma famille. »
Leur nouvelle vie à la ferme s’écoulera entre récoltes et saisons sèches. C’est un nouveau départ. Cependant, Rosalie se demande toujours si son mari reviendra un jour.
« Je ne perds pas espoir », assure-t-elle. « Dieu m’a aidée à retrouver mes enfants, peut-être qu’un jour il m’aidera à retrouver mon mari ».
Y aura-t-il un autre miracle à Dzawandai ?